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Pas de transport à l’hydrogène vert sans aide ni mutualisation

Par Guillaume Trecan | Le | Supply chain

Qu’ils soient chargeurs comme Michelin et Yves Rocher ou transporteurs, comme DB Schenker et Stef, tous sont d’accord sur le fait que l’hydrogène est une solution pour réduire l’empreinte carbone des transports longue distance. Ils conviennent également que pour passer le pas, ils devront être aidés et rester groupés.

Pas de transport à l’hydrogène vert sans aide ni mutualisation
Pas de transport à l’hydrogène vert sans aide ni mutualisation

Invité à débattre dans le cadre de l’université Paris Dauphine par France Supply Chain, lors d’un colloque co-organisé avec France Hydrogène, le responsable études du transporteur Stef, Sébastien Jacquet, n’a pas cherché a bercé de faux espoir son auditoire. « L’hydrogène reste encore une énergie en devenir », rappelle-t-il en précisant : « l’équation économique est complexe à tenir vis-à-vis de nos clients. »

Des camions deux à trois fois plus cher

En euros sonnants et trébuchants, cela donne un « surcoût annuel en TCO de 50 000 à 80 000 euros », selon une estimation de France Supply Chain rapportée par le président de son Lab SupplyChain4Good, Ivan Baturone. En moyenne, le TCO d’un camion électrique à hydrogène est en effet deux à trois fois plus élevé que son équivalent au diesel.

Sachant qu’il convient d’ajouter à cela toute une série d’incertitudes allant du coût de conversion des véhicules, à la disponibilité de l’hydrogène, en passant par l’organisation d’une filière de maintenance et de recyclage des camions… sans oublier le coût de l’hydrogène lui-même. Si Air Liquide affiche actuellement un coût de 9 à 10 euros le kilo, il promet de passer à 7 à 8 euros le kilo en 2025 et 6 euros en 2030.

Appel d’offres groupé de chargeurs

Mais toutes ces zones d’ombres n’empêchent pas les initiatives de se développer. A commencer par celle de France Supply Chain, qui a réuni plusieurs chargeurs pour lancer un appel à projets européens pour l’achat de 150 camions à pile à hydrogène dans au moins six pays.

Le groupe Michelin participe à cette initiative groupée, motivé par « la recherche du juste équilibre entre le niveau de service au client, la performance économique de la supply, son niveau de stock et l’empreinte carbone », comme le rappelle François Le Goff, responsable des achats de prestations logistiques. « Nous allons nous intéresser à une combinaison de solutions et de technologies dites bas carbone », poursuit-il. Pour ces quelques 3 000 camions complets par jour, dont beaucoup sur des trajets longue distance, il reconnait des atouts indéniables à l’hydrogène, les mêmes que celui du thermique d’ailleurs : flexibilité, agilité, autonomie, facilité et rapidité de recharge.

Oléo 100, électrique et, pour la longue distance, hydrogène

Jean-Louis Lamidon, le directeur logistique du groupe Yves Rocher, compte pour sa part sur l’hydrogène pour remplir les engagements ambitieux pris par le groupe de cosmétique breton en 2019 dans le cadre de Fret 21. D’ici à la fin de cette année, la moitié des livraisons de ses magasins doivent en effet être réalisées avec des moyens de transport qui ne soient pas 100 % gazole. A l’heure actuelle, les transports entre les usines et les entrepôts du groupe en Bretagne sont effectués avec des camions à l’Oléo 100 ou camions électriques.

« Quand s’est posée la question de l’étape suivante, l’hydrogène s’est imposé tout naturellement », explique Jean-Louis Lamidon, qui regrette que les autres alternatives à sa disposition ne permettent que de réduire les consommations de CO2 dans des proportions de 40 à 50 % ; 80 % dans le meilleur des cas.

Yves Rocher ; un partenariat avec DB Shencker, Lhyfe, Engie et E-Neo

Afin de basculer vers une solution plus décisive, le groupe Rocher est donc en train de conclure un partenariat le producteur d’hydrogène vert Lhyfe, le transporteur DB Schenker et Engie, qui a des centres de distribution sur la région. Un autre accord en cours de conclusion, avec la société E-Neo qui transforme des véhicules gazole en véhicules à hydrogène. En s’appuyant sur ce partenariat, l’idée est de démarrer rapidement une liaison quotidienne avec un tracteur à hydrogène, sans doute entre la Bretagne et Paris.

A l’image de DB Shenker dans cette initiative, d’autres transporteurs engagent des pilotes. Stef, notamment, qui a testé l’an dernier, avec Carrier, Bosch et Lamberet, un semi-remorque dont le froid était produit par de l’électricité d’origine pile à combustible à hydrogène. Préoccupé par la nécessité de trouver de l’hydrogène d’origine verte et suffisamment de points de ravitaillement, le spécialiste du transport de produit frais, envisage également de s’impliquer dans la production d’énergie. « Nous avons plusieurs mètres carrés de toit, notamment en Europe du Sud et nous nous posons la question d’auto-produire notre hydrogène pour le futur, peut-être pas pour des véhicules, mais pour des moyens de manutention », explique Sébastien Jacquet.

Eric Michineau coordinateur de la stratégie bas carbone de DB Schenker - © D.R.
Eric Michineau coordinateur de la stratégie bas carbone de DB Schenker - © D.R.

L’électricité est notre énergie de demain, la batterie pour la courte distance et l’hydrogène pour la longue distance

Pour Eric Michineau coordinateur de la stratégie bas carbone de DB Schenker, qui s’est fixé l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2024, la voie à suivre est très claire : « l’électricité est notre énergie de demain, la batterie pour la courte distance et l’hydrogène pour la longue distance », assène-t-il. Ce qui signifie, pour DB Schenker, 3 000 véhicules exploités en France en messagerie et 1 200 véhicules en tractions longue potentiellement éligibles à l’hydrogène.

Il faut se concentrer sur des usages réguliers de flotte, avec des passages réguliers pour créer un maillage de distribution 

Mais, étant donné les surcoûts de la traction à l’hydrogène, Eric Michineau ne cache pas que rien ne pourra se faire sans une aide substantielle, et surtout cohérente, des pouvoirs publics. « Il faut aider massivement l’usage et aider l’usage passe par le fait de cibler l’usage », précise-t-il. « Aider les transporteurs en général n’a aucun sens. Les petits transporteurs avec leur niveau de marge actuel, ne pourront pas acheter des véhicules à hydrogène, même demain et même avec une économie d’échelle importante. En outre, beaucoup d’usages ne seront pas concernés par l’hydrogène, le dernier kilomètre par exemple. Il faut se concentrer sur des usages réguliers de flotte, avec des passages réguliers pour créer un maillage de distribution », conseille Eric Michineau.

Compte tenu de l’ampleur des investissements et des surcoûts à assumer pour les précurseurs de l’adoption du transport à hydrogène, le coordinateur de la stratégie bas carbone de DB Schenker estime également que mutualiser les besoins est indispensable. « Une des clefs du succès c’est d’avoir à nos côtés des chargeurs prêts à s’engager dans ces innovations. En considérant qu’il ne s’agit pas de comparer un coût entre différents modes de transport, mais dans le fait de poser la première pièce d’un édifice que l’on ambitionne de construire pour les années à venir », résume-t-il. Une démarche de regroupement de chargeurs d’ailleurs tout à fait comparable à celle initiée par le Lab SupplyChain4Good dans à l’égard du transport maritime à la voile.