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Loïc Henaff : « l’achat peut tout déclencher »

Par Mehdi Arhab | Le | Environnement

L’ancien président du réseau Produit en Bretagne et dirigeant de l’entreprise familiale éponyme, Loïc Hénaff, qui n’a de cesse de louer les bienfaits de l’achat local, peigne un programme destiné à favoriser la relocalisation des achats des entreprises bretonnes. Et pour cause, cette personnalité fortement engagée compose désormais avec son statut de conseiller régional sur la liste du président de gauche de la Région, Loïg Chesnais-Girard. 

Loïc Henaff, dirigeant de l’entreprise familiale Henaff et conseiller régional de la Région Bretagne - © D.R.
Loïc Henaff, dirigeant de l’entreprise familiale Henaff et conseiller régional de la Région Bretagne - © D.R.

Quelles raisons vous poussent à penser que l’achat local est indispensable ?

J’ai présidé durant six ans l’association « Produit en Bretagne », qui compte près de 500 entreprises membres, pour près de 110 000 salariés. Cette association, depuis sa genèse en 1993, promeut l’achat local ; partant d’une simple intuition à l’époque : si nous affirmions aux Bretons qu’un produit était pensé et façonné localement, peut-être seraient-ils plus tentés de l’acheter, pour générer une dynamique économique, culturelle et pour l’emploi positive. Un peu plus de 4 000 produits sont aujourd’hui porteurs du logo, soit près de 500 millions de produits vendus chaque année, dont les deux tiers le sont hors de la région Bretagne. 

Il est facile à présent de démontrer par des chiffres de panels - panel Kantar et autres -, que la dynamique des produits qui portent le logo est meilleure de deux à trois points que celle des produits non porteurs du logo. Depuis dix ans, l’association travaille pour mieux intégrer les impacts sociaux et environnementaux dans son action. Son constat est simple : nous ne pourrons plus faire des affaires en faisant abstraction de ces externalités négatives. Elle s’est approchée de l’agence française Lucie, pour mieux percevoir ses impacts environnementaux et sociaux. Fort cette initiative, elle a renforcé les exigences pour devenir adhérent au réseau et a créé le label « Bretagne 26 000 », certifié au choix par Bureau Veritas ou RSE VAL, qui fait la part belle au local. Les entreprises bretonnes se caractérisent déjà par une forte pratique de l’achat local. 

Qu’est-ce que cela représente vous concernant ? 

Pour ce qui est de notre entreprise, créée par mon arrière-grand-père pour apporter un peu de prospérité au territoire et de l’emploi, l’achat local est dans sa raison d’être. Nous avons initié en 2019 une démarche de responsabilité, « Be good 2030 », au sein de laquelle nous mesurons 64 indicateurs, dont la part de nos achats faits en France et en Bretagne.

Aujourd’hui, pour ce qui est de mon entreprise, 88 % de nos achats sont opérés en France, dont 80 % en Bretagne

Aujourd’hui, 88 % de nos achats sont opérés en France, dont 80 % en Bretagne. Cette conviction, que je porte, est liée à des réalités et calculs d’impacts directs, d’impacts indirects et d’impacts induits. Acheter localement a des effets bénéfiques pour le tissu économique territorial. Il n’est pas nécessaire de produire tout localement et il n’est pas possible de le faire, en revanche densifier l’écosystème économique par plus de relations locales ne peut engendrer que des effets souhaitables. 

Vous êtes conseiller régional et il vous a été confié une délégation sur les relocalisations. Quelles actions menez-vous ?

Nous avons lancé le mois dernier un programme, qui nous amènera en 2023 à déployer un certain nombre d’actions pour aider les entreprises à relocaliser leurs achats de produits et services en Bretagne. Notre conviction est que l’achat peut tout déclencher. Pour les entreprises désormais, le chiffre d’affaires représente, peu ou prou - en tenant compte la déduction de la marge bénéficiaire, leur montant d’achats en prestation, matériaux, énergies…

Le but est de rapatrier ce qui est fait en dehors des frontières européennes au plus près et ce qui est fait au sein de la communauté européenne en France pour construire des relations durables de proximité et plus sérieuses. Cela ne peut tout concerner, bien sûr, d’autant si le partenaire éloigné sollicité garantit des résultats comparativement meilleurs que des acteurs en France ou dans la région. Il ne serait pas judicieux dans ce cas de changer d’approche. Il faut se concentrer sur ce qui fait sens sur le plan économique, social et environnemental.

En quoi cela est intéressant en matière de TCO ? 

Là où la France consomme 33 % en énergie au transport, la Bretagne en consomme 38 %. Une preuve de notre surconsommation. La route représente 94 % du transport de marchandises et les camions roulent à 90 % au gasoil. La marche à franchir est immense et nous devons nous mobiliser, d’où le travail que nous menons pour décrire une politique fret plus claire. 

Quel type de services ou produits peuvent-être achetés sur le territoire régional ?

Pour ce qui est de notre entreprise, avec 80 % d’achats réalisés en Bretagne, nous sommes face à une asymptote. Il nous sera difficile de monter plus haut. La quasi-totalité de nos matières premières agricoles est d’origine bretonne. Nous sommes dans la maîtrise de nos achats et des risques qui y sont liés. En revanche, il est impossible de localiser certains achats, comme le poivre que nous achetons à une coopérative basée sur l’île de Sao-tomé que nous avons soutenue ou encore certains de nos emballages spécifiques, qu’aucune entreprise à proximité ne produit.

Nous pourrions, non pas relocaliser, mais bien localiser certaines activités vertueuses d’un point de vue économique, social et environnemental

La question reste de savoir ce que nous ferons demain. À titre d’illustration, nos saucisses fraîches sont emballées dans des barquettes en plastique, constitué en RPET, un matériau recyclable issu de bouteilles en plastique elles-mêmes recyclées et recyclables. Un emballage vertueux en soi, qui à ce jour, n’est malheureusement pas produit en France. Nous avons dû faire un choix entre le local et le vertueux environnemental ; la deuxième option nous paraissait être la meilleure. Par chance, notre fournisseur installera prochainement un site en France et la permettant la production de ce matériau en local.

L’objectif de la Région se pose désormais aussi sur la manière dont nous pourrions, non pas relocaliser, mais bien localiser certaines activités vertueuses d’un point de vue économique, social et environnemental. En mutualisant nos efforts, avec des fournisseurs ou entre industriels, nous pourrions par exemple créer des filières de production de barquettes biosourcées par intégration verticale, plutôt que de les acheter hors de France. Il faut néanmoins ne pas négliger la question de la viabilité économique, sociale et environnementale.

La formation de filière est un vrai sujet …

Il y a beaucoup de choses à inventer, la tendance à rapatrier est nette et un grand nombre ne cache plus son envie d’aller vers cela. De nombreuses entreprises bretonnes se sont d’ailleurs organisées de façon collective. Des outils tels que le GIE « Synergie Achats », qui administre les achats de 18 entreprises de la région, constituent de beaux exemples pour mutualiser de gros volumes, des spécifications techniques, des cahiers des charges. Notre entreprise compte une cellule achats, rattachée à la direction exécutive. Elle pilote les grands achats stratégiques du groupe et l’autre partie de nos achats est confiée à ce GIE. L’intégration verticale est un choix stratégique et les dirigeants ne doivent plus redouter de former une entreprise en commun sous la forme d’un co-investissement ou d’accompagner un fournisseur en entrant dans son capital. Ici réside toute la beauté des relations modernes de parties prenantes. Il ne s’agit pas d’avoir un fournisseur et un client d’un côté et de l’autre, mais bien de nouer des relations long-termes à portée sociale et environnementale.

Sans appui de leur hiérarchie, les Achats peuvent-ils vraiment s’orienter vers le local ?

Sans actualisation des cahiers des charges et sans dialogue avec la plus haute autorité de l’entreprise, il leur sera difficile d’y arriver et d’avancer. C’est à la direction générale d’une entreprise de positionner son curseur et affirmer son attachement aux sujets environnementaux, sociaux et sociétaux, au-delà du socle réglementaire. Certaines figures qui la composent peuvent l’être à titre personnel, mais la clientèle de l’entreprise beaucoup moins, car peu encline à payer plus par exemple.

L’important n’est pas de rester immobile comme un lapin avec les phares dans les yeux. 

En repassant au crible les critères sociaux, environnementaux et économiques, il est possible de trouver des marges de manœuvre. Dans certains cas, bien qu’elles soient faibles, l’essentiel est d’avancer. Quoi qu’il en soit, tout ne pourra pas être fait du jour au lendemain, le chemin sera long. Il faut se donner du temps, même si l’histoire montrera peut-être que nous en aurons moins que prévu à disposition. L’important n’est pas de rester immobile comme un lapin avec les phares dans les yeux. 

Je ne pense pas que la relocalisation soit illusoire, il faut regarder la chose point par point. Sans déni et avec objectivité. Le but n’est pas de toucher à la perfection, mais bien de passer à l’action et d’obtenir des résultats à sa portée. Dès l’an prochain, avec le Pacte vert pour L’Europe et la taxonomie européenne, beaucoup de choses ne seront plus accessibles. De nombreuses entreprises n’ont pas assez bien anticipé le poids de la législation et du réglementaire. Le contexte réglementaire et législatif va les pousser à opérer différemment, en témoigne la loi Climat et Résilience qui va changer beaucoup de choses.