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Région Île-de-France : « La complexité des marchés publics et du jargon utilisé est un vrai sujet »

Par Mehdi Arhab | Le | Ha inclusif

Sylvie Mariaud, Vice-présidente chargée de l'Économie sociale et solidaire et des Achats responsables à la Région Ile-de France, est revenue sur les grands enjeux auxquels est confrontée la collectivité. Forte de son milliard d’euros d’achats, elle fait montre d’une sacrée volonté en matière d’achats durables et socialement responsables ; cela en s’appuyant sur divers textes structurants. Un témoignage unique.

Sylvie Mariaud, Vice-présidente chargée de l’ESS et des Achats responsables - © D.R.
Sylvie Mariaud, Vice-présidente chargée de l’ESS et des Achats responsables - © D.R.

Quels sont les principaux axes de travail pour la Région dans les années à venir en matière d’achats responsables et quelles actions prévoyez-vous ?

Pour ce qui est de la délégation à l’économie sociale et solidaire et aux achats responsables qui est la mienne à la Région, trois textes cadres ont été votés au cours de l’année 2022. Le premier porte sur la stratégie de développement économique des structures de l’ESS, le second est relatif au schéma de promotion des achats publics régionaux socialement et économiquement responsables. S’ils sont distincts, ces deux rapports se recoupent. Nous avons souhaité avec la Présidente de la Région, Valérie Pécresse, mettre en cohérence les dynamiques des achats responsables et du développement de l’ESS en Île-de-France ; d’où, d’ailleurs, la création d’une vice-présidence unique autour de ces deux sujets, qui m’a été confiée en juillet 2021.

Le troisième texte, baptisé « Impact 2028 » et voté en fin d’année, est le schéma régional de développement économique d’innovation et d’internationalisation (SRDEII). Il fixe les grandes orientations stratégiques de la Région en matière économique et trace les contours de notre politique de développement économique jusqu’en 2028. À ce titre, de nombreuses concertations, auditions et tables rondes ont été menées pour entendre le maximum de parties prenantes du territoire francilien, notamment les chefs d’entreprises. Nous voulons que la Région montre l’exemple et entraîne tous les acteurs économiques vers des pratiques socialement, territorialement et écologiquement responsables. Le climat change, le monde évolue, notre société aussi ; et il me semble que les différentes perturbations que nous avons traversées récemment ont eu le mérite de faire prendre conscience du rôle que chacun pouvait tenir.

La commande publique est une manne absolument colossale sur laquelle nous pouvons nous appuyer

En cela, la commande publique peut jouer un rôle des plus importants, notamment auprès et à travers les structures de l’ESS. Chaque année, le montant annuel de commande publique en France - en excluant les entreprises publiques exerçant une activité marchande - oscille entre 150 et 200 milliards d’euros, soit entre 7 et 10 % du PIB en moyenne. La région Île-de-France pèse quant à elle pour un milliard d’euros d’achats. Que l’on s’intéresse au chiffre global ou simplement à celui de la Région, la commande publique est une manne absolument colossale sur laquelle nous pouvons nous appuyer et qui peut avoir un effet d’entraînement sans commune mesure sur le développement économique du territoire.

Quels sont vos objectifs prioritaires ? 

La volonté de la Région est d’aller vers plus d’achats responsables (socialement, écologiquement et territorialement). Fort de son milliard d’euros d’achats, la Région veut pleinement jouer son rôle dans le développement économique du territoire. Pour ce faire, nous avons donc rédigé, voté et adopté le 19 mai 2022 un SPASER autour de quatre axes. L’objectif étant que l’achat public soit un instrument de développement économique du territoire francilien. Nombre de structures franciliennes étaient de facto exclues des marchés publics car trop petites pour répondre à des marchés de taille conséquente comme nous pouvons avoir pour la construction et l’entretien des lycées publics dont nous avons la charge par exemple ! Cet axe traduit notamment notre intention de faciliter l’accessibilité de la commande publique aux TPE et PME, via le principe de l’allotissement.

L’acte d’achat doit se faire selon des règles déontologiques strictes

D’autres piliers structurent ce SPASER, parmi lesquels la donnée sociale, avec l’idée de faire de l’achat public un levier d’accélération pour un mouvement économique dit plus social et solidaire en faveur du secteur de l’inclusion et du secteur adapté. D’autres structures, comme les coopératives ou des structures commerciales agréées entreprise solidaire d’utilité sociale (Esus) peuvent également être concernées par ce point. La réglementation et le code de la commande publique mettent à notre disposition de nombreux leviers pour les aider à accéder aux marchés publics, comme le sourcing ou l’intégration de clauses et critères sociaux. Il est toujours bon de rappeler par ailleurs que l’acte d’achat doit se faire selon des règles déontologiques strictes, auxquelles sont soumis tous nos acheteurs et qui doivent être partagées en retour par l’ensemble de nos fournisseurs.

Le sujet environnemental entre bien évidemment en compte dans notre feuille de route ; la commande publique pouvant largement contribuer aux objectifs français de transitions écologiques, définis par la législation, notamment la loi Agec. Surtout, nous ne souhaitons pas simplement répondre aux obligations du cadre législatif, nous voulons aller au-delà. En ce sens, nous portons une attention toute particulière à l’approvisionnement en denrées des cantines de nos lycées. D’ici à 2024, nous œuvrons pour que 100 % des lycées franciliens soient approvisionnés en produits locaux, parmi lesquels 50 % devront être des produits bio. Nous participons pour cela à la mise en place d’une plateforme d’approvisionnement pour la restauration scolaire de l’est parisien. 

Une centrale d’achats a été mise en place par la Région il y a quelques années. Pouvez-vous nous décrire son rôle et ses ambitions ?

En 2019, la Région a effectivement créé une centrale d’achat, avec l’idée de fédérer l’ensemble des acheteurs franciliens des collectivités maillant le territoire régional. Les premiers marchés de la centrale d’achats étaient effectifs dès 2020. Elle compte aujourd’hui près de 500 adhérents. Pour l’anecdote, l’activité de la centrale a décollé au moment de la crise sanitaire, avec un bon des adhésions de 30 % entre 2020 et 2021, cela parce qu’elle permettait aux collectivités de s’approvisionner en produits spécifiques, comme les gels hydroalcooliques, masques, tests antigéniques. La Région, via sa centrale d’achats, a également proposé aux lycées franciliens de s’équiper en purificateur d’air.

Notre collectivité administre 474 lycées publics en Île-de-France et ces établissements ont des besoins somme toute similaires.

Notre collectivité administre 474 lycées publics en Île-de-France et ces établissements ont des besoins somme toute similaires. L’ambition de cette centrale d’achat est de faire bénéficier aux lycées de la Région des marchés de qualité, à des prix intéressants et qui respectent l’ensemble de nos engagements en matière environnementale et sociale. Les marchés de la centrale d’achats portent sur les denrées alimentaires (épiceries, surgelés, produits laitiers …), les solutions d’impression, les protections périodiques mises à disposition dans les lycées, les défibrillateurs, ou encore l’entretien technique obligatoire.

Vous parliez d’allotissement et de la difficulté des PME et TPE à répondre aux marchés publics. Comment y remédier ? 

La complexité des marchés publics et du jargon utilisé est un vrai sujet, notamment pour les structures de l’ESS qui n’ont pas, souvent, suffisamment de ressources humaines. Nous travaillons pour cela à une simplification de nos cahiers des charges, d’une part pour améliorer l’accès des PME et TPE à nos marchés et pour faciliter l’acte d’achat d’autre part. Nous nous appuyons pour cela sur une dématérialisation complète du processus achats, à la faveur des outils déployés dans le cadre du GIP Maximilien, dont la Région est un membre fondateur. Nous nous appuyons également sur des solutions permettant de recueillir toutes les attestations et documents nécessaires pour répondre à un marché.

Un travail de communication est mené en parallèle depuis quelque temps par la Région afin d’informer les opérateurs économiques, notamment les plus petits, de notre programme pluriannuel d’achats ; cela pour leur donner la possibilité de se positionner ou se regrouper. Nous organisons un certain nombre de rencontres fournisseurs chaque année, pour entraîner, à nos côtés, les opérateurs de la région. Le principe étant de favoriser le sourcing et de faciliter l’accès à des marchés via la mise en relation de différentes structures avec des acheteurs.

Nous y invitons également les collectivités, mais aussi les acheteurs privés. L’une d’elle, organisée en 2022, portait sur la transition écologique, réunissant des donneurs d’ordres et des structures porteuses de solution dans le cadre de la transition écologique, labellisées par la Fondation Impulse. Une réunion a par ailleurs été organisée dans l’hémicycle de la Région avec tous les maîtres d’œuvre et AMO afin de leur présenter notre plan pluriannuel d’investissement, notamment dans les lycées.

Le soutien à l’économie sociale et solidaire reste une priorité pour la Région. Quel travail de transversalité est mis en place entre les services de la région autour de l’ESS ?

Tous les deux ans, nous organisons une conférence régionale de l’ESS. Elle est le fruit d’une obligation règlementaire et regroupe l’État, via la préfecture, la Région et la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire. La dernière date de l’automne 2021. C’est une occasion rêvée pour réunir tout l’écosystème, mettre sur la table les problématiques rencontrées et faire un point d'étape sur les avancées réalisées. Durant la rencontre, nous avons lancé de nombreuses concertations, communes à celles du SRDEII, en vue de l’élaboration de notre stratégie ESS, adoptée en septembre et lancée le 22 novembre.

La stratégie régionale ESS (2022-2028) s’articule autour de trois axes, onze objectifs et trente actions. Celle-ci est le fruit d’un long travail, débuté avec la définition d’une première approche stratégique en 2017. Nous avions déjà du recul sur un certain nombre de dispositifs instaurés ; nous avons ouvert aux structures de l’ESS l’accès à des aides financières proposées par la Région, nommées TP’up, PM’up et Innov’up. Nous avons, lors de la précédente mandature, veillé notamment à adapter les règlements d’intervention. Nous voulons continuer sur notre lancée et amplifier l’accès des structures de l’ESS à ces aides de droit commun. En novembre 2021, 12 % de ces aides étaient attribuées à des structures de l’ESS, pour un montant débloqué de deux millions d’euros, soit 160 000 euros par structure aidée. 

Il existe dans la région 33 400 structures relevant de l’ESS, pour un équivalent de 400 000 emplois

Il existe dans la région 33 400 structures relevant de l’ESS, pour un équivalent de 400 000 emplois, soit un peu plus de 7 % des emplois salariés en Île-de-France. C’est en dessous de la moyenne nationale ; notre marge de progression est de ce fait importante. Nous étions et sommes convaincus de la capacité des structures de l’ESS à contribuer à répondre aux enjeux sociaux et environnementaux auxquels la Région est confrontée. Elles sont largement en mesure d’inspirer, d’infuser et d’entraîner l’économie régionale.

Pour les y aider, nous allons encore étendre d’autres dispositifs, tels que le fonds invEss et l’accélérateur ESS, un programme d’accompagnement sur deux ans, confié à HEC. Il mêle diverses formations, individuelles et collectives. D’autres dispositifs s’ouvrent d’ailleurs avec la création d’un incubateur à impacts ce mois-ci, le ‘’Perqo’’, dans les locaux de la Région. L’idée est d’y accueillir toute structure porteuse de solutions innovantes à impact social et environnemental positif dans les domaines du handicap, des technologies vertes et du sport.