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93 : « L’achat public n’est pas assez partie prenante de l’exécution des marchés »

Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha

Franck Barrailler, directeur de la commande et de l’achat public du conseil départemental de Seine-Saint-Denis (93), a entrepris la création d’un bureau de l’exécution, de l'évaluation et du contrôle interne au sein du service des achats pour accompagner les prescripteurs dans l’exécution des marchés. Il expose également une vision de la Commande publique qui n’obéit pas à une simple logique juridique ou financière. 

Franck Barrailler, directeur de la commande publique et des achats publics du 93 - © Nicolas Moulard
Franck Barrailler, directeur de la commande publique et des achats publics du 93 - © Nicolas Moulard

Vous êtes directeur de la Commande publique et de l’achat public d’un département important. Quelles sont les particularités de la direction que vous pilotez ?

La dénomination de la direction a été imaginée bien avant mon arrivée en janvier dernier. Cette direction est composée de deux services ; le premier est celui de la Commande publique et le deuxième, des Achats publics. Le service de la Commande publique administre des marchés publics et des marchés complexes, comme les concours ou les MGP. De son côté, le service Achats publics gère tous les achats critiques du département, définis au sein d’une matrice agencée autour de différents critères, parmi lesquels le manque de fournisseurs criant qui engendrerait de potentielles situations de mono-source par exemple… À mes yeux, la Commande publique ne doit pas être perçue comme un simple instrument juridique. Le pilotage économique de la Commande publique ne peut être niée et, plus globalement, la Commande publique ne peut suivre uniquement une logique financière ou juridique. Nous déployons diverses stratégies pour cela. 

Nous devons également nous faire connaître davantage auprès du tissu économique français, pour attirer de nouveaux fournisseurs, afin de dynamiser notre panel

Pour commencer, nous veillons à entretenir de bonnes relations avec les autres directions métiers du département pour travailler de la meilleure manière qui soit. D’autant plus avec les directions manquant de ressources internes. Ainsi, nous pourrons accompagner dans de bonnes conditions les collaborateurs du conseil départemental et les faire monter en compétences sur les questions de Commande publique.

Pour le reste, nous voulons assurer un verdissement de notre Commande publique, avec la poursuite de notre stratégie RSE et le développement, dans nos marchés, de clauses sociales et environnementales. Nous devons également nous faire connaître davantage auprès du tissu économique français, pour attirer de nouveaux fournisseurs, afin de dynamiser notre panel, ne plus s’appuyer uniquement sur nos partenaires historiques et disposer de plus de choix. Un travail qui passe par des études de marchés menées par le service Achats publics, la mise en place d’actes de sourcing variés et l’organisation de rencontres avec des prospects. En ce sens, nous nous dotons de la solution portée par Silex dès 2023. 

Comment ces axes de travail se traduisent-ils au quotidien ?

J’encadre une équipe de 25 personnes, qui gère sur l’année 2022 un budget achats de 400 millions d’euros. Une enveloppe qui est amenée à augmenter de 100 millions d’euros en 2023. Nos marchés emblématiques sont relatifs à la tenue des prochains Jeux Olympiques et Paralympiques en 2024, à la maintenance des bâtiments du département, à la rénovation énergétique de nos collèges et, deux fois par an, à des concours pour la construction de nouveaux collèges.

Nous avons par ailleurs amorcé un plan de recrutement pour élargir et renforcer nos effectifs, avec neuf nouvelles arrivées d’ici le début d’année prochaine sur des postes de conseillers Commande publique et des fonctions d’acheteur. La création récente du bureau de l’exécution, de l'évaluation et du contrôle interne au sein du service des achats a aussi poussé en ce sens.

Quel sera son rôle ? 

Au regard de mon expérience, au sein de la ville de Clamart notamment, il me semble que les prescripteurs sont insuffisamment armés et préparés pour affronter des évènements imprévus qui interviendraient au moment de l’exécution des marchés. Cela peut être relatif à une défaillance du fournisseur, une mauvaise exécution du contrat, une absence de conformité par rapport aux délais d’exécution… D’autre part, certains contrôles, notamment ceux de l’AFA, ont pointé le fait que la direction de la commande et de l’achat public n’est pas assez partie prenante de l’exécution des marchés. De fait, nous avons fait le choix de créer ce bureau afin de remédier à ces constats.

Cet outil de conseil et d’accompagnement sera conduit par une cheffe de bureau et deux managers de contrats, au profil de juriste ou d’acheteur. Chacune des directions métiers pourra y recourir pour être aiguillée. Charge à moi et à mes équipes désormais de faire connaître ce projet. Les prémices sont très prometteuses, certains de nos prescripteurs, comme la direction de l’enfance et de la famille, se sont en effet manifestés et se disent très enthousiastes car ils rencontrent de nombreuses difficultés avec certains de leurs fournisseurs.

Votre entrée en fonction est intervenue dans un contexte difficile compte tenu de la conjoncture. Quels leviers de performance privilégiez-vous ?

Le département va signer le 17 novembre prochain, la Charte relations fournisseurs et achats responsables

Les relations que nous entretenons avec nos fournisseurs sont essentielles. À ce titre, le département va signer le 17 novembre prochain, la Charte relations fournisseurs et achats responsables. Nous devons tout mettre en œuvre pour devenir le client préféré de nos fournisseurs. Le bureau de l’exécution, de l'évaluation et du contrôle interne au sein du service des achats publics aura un rôle important à jouer pour que nous y parvenions. La recherche de performance impose également de sourcer et donc, la recherche de nouveaux fournisseurs.

Le 7 avril dernier, nous avons organisé au Stade de France une rencontre fournisseurs pour échanger avec nos partenaires et des prospects de travaux et leur présenter les différentes opérations de travaux que le conseil départemental de Seine-Saint-Denis allait mener au cours de l’année. L’ouverture de la concurrence nous permettra indéniablement de disposer de fournisseurs compétitifs, performants et vertueux. L’amélioration de la rédaction de nos contrats et l’utilisation du Legal Design constituent du reste d’autres leviers de performance, sur lesquels nous devons nous fonder. Sans oublier l’acte de négociation, bien sûr.

Quels autres chantiers avez-vous ouvert depuis votre arrivée ?

À ma prise de fonction, j’ai entamé un audit sur le fonctionnement de la direction, qui suit encore son cours. Cela nous a amené, notamment, à travailler de manière beaucoup plus rapprochée avec les directions métiers, sur la base d’une stratégie de business partner, quand auparavant, la direction de la commande et de l’achat public peinait à proposer des solutions aux problèmes rencontrés, avec l’instauration d’un management transversal directif. Cette approche nouvelle impose des méthodes et des manières de communiquer différentes, ainsi que la volonté de créer de nouveaux liens avec les prescripteurs. 

Un autre travail majeur a été initié et porte le nom de « projet Artemis », qui consiste à construire, lors de plusieurs formats d’atelier, la direction de la commande et de l’achat public idéale. C’est une action collaborative dans laquelle sont impliqués tous les agents de la direction, afin que ceux-ci coconstruisent une organisation propre et qui leur sied au maximum.

Sur quelles autres actions vous reposez-vous pour faire décoller vos équipes ?

D’autres travaux de ce type pour resserrer les liens sociaux en interne arriveront prochainement sur la table. Je souhaitais les mener à bien plus rapidement, mais cela fut impossible pour plusieurs raisons ; comme, à titre d’illustration, les départs du chef de service Commande publique et de son adjoint. De fait, les équipes du service Commande publique m’ont été rattachées hiérarchiquement en attendant l’arrivée de nouveaux collaborateurs à ces postes. Ces préoccupations managériales et ce turn over, hélas, nous ralentissent sur de nombreux sujets de fond.

J’insiste sur la nécessité de prôner une approche managériale bienveillante pour libérer et faire monter en compétences mes agents. Délégation, autonomie et confiance sont autant d’éléments qui permettent à nos collaborateurs de s’épanouir et donner le meilleur d’eux-mêmes. « Artemis » montre tout l’intérêt d’un management participatif. Cette approche nous permet de tenir et de travailler dans de bonnes conditions, malgré les nombreuses difficultés, notamment celles que nous rencontrons pour recruter. Une situation qui s’explique en partie par la professionnalisation de la fonction achats dans le secteur public, qui conduit de plus en plus de collectivités à rechercher des acheteurs et par la pénurie actuelle de juristes. 

La structuration de notre stratégie achats, la mise en œuvre du verdissement de notre Commande publique et notre politique de formation sont des éléments différenciants qui donnent du sens

Pour autant, les nouveaux arrivants qui s’inscrivent dans notre organisation œuvrent sur des projets majeurs, qui enrichiront grandement leur savoir et leur expérience professionnelle. La structuration de notre stratégie achats, la mise en œuvre du verdissement de notre Commande publique et notre politique de formation sont des éléments différenciants qui donnent du sens. C’est une belle manière de façonner notre marque employeur.

Justement, de quelle manière vous positionnez-vous sur l’axe achats responsables ?

Nous voulons nous inscrire dans une démarche de service de qualité, qui sert à nos prescripteurs et aux habitants du département. Il existe une forte demande de nos élus en matière d’achats responsables. Le verdissement de notre Commande publique représente un enjeu majeur. Nous retravaillons en ce moment notre SPASER et plus particulièrement sur une nouvelle version actualisée. Entre 2018 et 2020, 250 000 heures d’insertion sociale ont été réalisées à travers nos marchés. Nous voulons encore progresser à ce niveau et introduisons également, pour certains marchés, des notes éliminatoires pour ce qui concerne les clauses environnementales. Mais avant cela, nous devons acquérir encore beaucoup de maturité pour avancer correctement sur ce sujet. C’est un travail à mener minutieusement et au long cours.