Schenker : « En l’espace de deux ans, nous avons profondément transformé notre flotte »
Christophe Rocton, directeur des achats France du transporteur Schenker explique comment le groupe associe ses clients à ses investissements dans la décarbonation sous la forme d’une contribution à la transition énergétique. Il était le grand témoin de l’atelier-débat « fret : comment partager le surcoût de la décarbonation » lors des HA Days Achats indirects des 16 et 17 octobre à Deauville.
Comment intégrez-vous la décarbonation dans vos objectifs ?
Avec mon équipe nous gérons tous les achats en France, notamment le parc roulant de Schenker dont la flotte en propre est très conséquente : 350 tracteurs, plus de 2 500 remorques et 800 porteurs. Nous avons constitué un groupe de travail baptisé TED (pour transition énergétique et décarbonation) avec le directeur de l’immobilier, qui gère notamment les infrastructures de recharge, et le patron de la RSE. Nous sommes source de propositions pour alimenter le comité de direction de la Route et le Comex, dans le but de trouver des solutions de décarbonation.
Pour accroître notre flotte de véhicules décarbonés tout en valorisant auprès de nos clients les investissements qu’elle nécessite et les associer à son financement nous avons créé une Contribution à la transition énergétique
Pour accroître notre flotte de véhicules décarbonés tout en valorisant auprès de nos clients les investissements qu’elle nécessite et les associer à son financement nous avons créé une Contribution à la transition énergétique (CTE). Il est d’autant plus intéressant de communiquer sur cette CTE dans un contexte où la situation économique se tend, afin d’inviter chacun à contribuer à l’effort de décarbonation.
Quel est le montant de cette CTE ?
Elle correspond à l’addition de tous nos surcoûts, mis en rapport avec le nombre de position que nous livrons à la route chaque année. Elle était de 56 centimes d’euro en 2024, de 85 centimes d’euro en 2025 et devrait légèrement dépasser un euro en 2026. Cette CTE demandée à nos clients augmente naturellement à mesure que nos investissements dans notre décarbonation s’accroissent. Elle nous permet d’aller chercher plusieurs millions d’euros par an.
En mai 2025, le gazole ordinaire ne représentait déjà plus que 50 % de la synthèse énergétique mensuelle et 43 % pour le HVO
Quel est aujourd’hui le mix énergétique de vos camions ?
Il évolue en permanence. En l’espace de deux ans, nous avons profondément transformé notre flotte. En 2024, le poids du gasoil (du B7 ordinaire) dans notre mix carburant, était de plus de 70 % en valeur. Le HVO pesait 25 %, le biogaz 2,3 % et l’électrique, encore balbutiante 1,8 %. En mai 2025, le gazole ordinaire ne représentait déjà plus que 50 % de la synthèse énergétique mensuelle et 43 % pour le HVO. Nous avons converti plus de la moitié de nos 42 cuves en propre au HVO. Avec 56 porteurs, le biogaz représente toujours 2,3 %. Nous avons continué à accroître le nombre de kilomètres parcourus à l’électrique mais il ne représente encore que 1,6 % du total. Tous ces efforts de décarbonation ont un coût mensuel important (VS diesel ordinaire).
Quels indicateurs constituent le TCO d’un camion électrique ?
L’équivalent électrique, en termes de charge utile, du porteur diesel de 12 tonnes, qui était notre camion type il y a encore deux ans, est un 16 tonnes. Son prix facial est 2,5 fois celui d’un porteur diesel. En introduisant le coût de l’énergie dans l’équation, le TCO électrique VS diesel ne reste plus supérieur que de 25 % à 30 %. Pour éviter que les coûts s’envolent, nous avons fait le choix de recharger nos véhicules essentiellement sur nos réseaux en interne et de bénéficier d’un meilleur prix de l’électricité, plutôt que de les recharger à des tarifs publics sur des bornes haute puissance. En ajoutant les aides et subventions potentielles (dossiers longs et complexes à établir), le surcoût pour l’électrique a parfois pu être réduit à 3 % ou 5 %.
Constatez-vous un recul des aides publiques dont pouvait bénéficier la décarbonation de votre flotte ?
Les appels à projet Ademe nous ont aidé à acquérir nos véhicules. Nous pouvons aujourd’hui accéder à une prime par véhicule sans répondre à des appels à projet. Cela nécessite de construire un business case fin pour prouver que le véhicule va faire les kilomètres pour lesquels nous nous sommes engagés. Nous avons donc construit des scénarios pour les véhicules de distribution.
Pour les infrastructures il est beaucoup moins judicieux d’aller chercher des fonds, notamment pour le stockage énergétique dans le cadre de programmes d’autoconsommation dont les tarifs sont encore assez dissuasifs.
Avez-vous la possibilité de dégager des marges de manœuvre dans l’optimisation opérationnelle en interne ?
Dans la distribution, nous avons différentes gammes de services pour lesquelles nous garantissons les délais avant 18 heures, voire avant 13 heures. Dans ces cas de figure, les marges de groupage sont faibles, d’autant que nous sommes déjà très efficients. Nous évitons surtout de faire partir des camions qui ne seraient pas plein la nuit entre nos différentes agences.
Le levier de décarbonation le plus puissant consiste à accroître l’intensité d’usage des véhicules électriques
Le levier de décarbonation le plus puissant consiste à accroître l’intensité d’usage des véhicules électriques. Nous commençons à utiliser des tracteurs électriques. Nous en aurons une dizaine à la fin de l’année. Nous ne les utiliserons pas seulement pour faire du camionnage et de la distribution autour de l’agence en journée, mais aussi des tractions entre agences en soirée. Plus ils seront utilisés, plus les surcoûts seront amortis.
Ce sujet modifie-t-il vos relations avec vos clients ?
Cette approche gagnant-gagnant sur les sujets de décarbonation infuse toutes les relations commerciales. Nous aidons nos commerciaux à mettre en place l’argumentaire qui va leur permettre d’expliquer cette CTE. Les surcoûts ne se limitent d’ailleurs pas aux moyens de transport. Nous développons une logistique de proximité en prenant des surfaces dans des HLU (hôtels logistiques urbains) dont les prix aux mètres carrés sont bien plus importants que pour une plateforme logistique classique.