Benjamin Gallezot : « Plus la rareté des métaux est grande, plus le recyclage devient compétitif »
Par Guillaume Trecan | Le | Environnement
Il sera grand témoin du dîner de rentrée du Club Planète Sourcing, mardi 3 septembre, le délégué interministériel de la délégation aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques (DIAMMS) explique par quels moyens la France s’efforce de développer des alternatives pour lutter contre la rareté de certaines matières premières stratégiques. Le recyclage est un levier important pour cela, qui devrait par exemple permettre d’augmenter de près de 50 % les capacités de production d’aluminium en France.
Quelles sont les missions de la délégation interministérielle aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques ?
Sur la base des recommandations du rapport confié par le Gouvernement à Philippe Varin, remises en janvier 2022, le Gouvernement a décidé de constituer en décembre 2022 une délégation interministérielle aux approvisionnements en métaux stratégiques (DIAMMS). La DIAMMS coordonne l’action de l’État en matière de sécurisation des approvisionnements en minerais et métaux stratégiques.
Nous avons trois grandes fonctions, la première consiste à coordonner l’action de l’ensemble des administrations centrales et des établissements publics impliqués dans cette politique. La deuxième est tournée vers les entreprises productrices et utilisatrices, en développant des projets pour constituer des chaines de valeur complètes : usines d’extraction, de transformation, de raffinage et de recyclage. Le troisième volet de notre action se situe au niveau des relations européennes et internationales. La France a été très active dans la préparation et la négociation du Critical Raw Materials Act (CRM Act). Ce texte a été adopté dans des délais records (8 mois), il a reçu un fort soutien des Etats membres et a été approuvé à une large majorité au Parlement européen. Par ailleurs, depuis mi-2022, la France a défini une feuille de route pour la diplomatie des ressources minérales, établissant une liste de pays producteurs prioritaires avec l’objectif de forger des partenariats. Plusieurs accords dédiés aux « métaux critiques » ont été signés en 2023 et 2024 (Australie, Brésil, Canada, RDC, Japon, Kazakhstan, Mongolie) et d’autres en préparation (Chili et Arabie Saoudite notamment).
Quels sont les moyens à l’appui de votre action ?
La DIAMMS est soutenue logistiquement par le Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté Industrielle. Ses moyens d’action sont intégrés dans le programme France 2030, les budgets des ministères concernés, et utilisent divers dispositifs transversaux comme les crédits d’impôts et les financements internationaux. Nous soutenons activement le développement des projets industriels dans les filières des minerais et métaux stratégiques grâce à plusieurs outils.
Tout d’abord, l’appel à projet « métaux critiques » de France 2030, géré par Bpifrance, est doté d’une enveloppe de 400 M€ environ pour soutenir (subventions et avances remboursables) des projets d’extraction, de transformation et de recyclage de métaux en France.
Également, nous avons mis en place un crédit d’impôt spécifique : le crédit d’impôt « investissement industries vertes » (C3IV). La France est actuellement le seul pays européen à avoir mis en place un tel crédit d’impôt, validé par la Commission européenne début janvier 2024. Il permet d’apporter des fonds propres les projets liés aux chaînes de valeur des batteries, éoliennes, panneaux solaires et pompes à chaleur en France. Ce dispositif s’étend aussi aux projets d’extraction, de transformation et de valorisation des matières premières critiques alimentant les chaines de valeur des batteries. Les petites entreprises peuvent recevoir jusqu’à 45 % de leurs dépenses d’investissement (CAPEX) en zones d’aides à finalité régionale (AFR), et 40 % hors zone AFR. Pour les grandes entreprises, c’est 25 % en zone AFR et 20 % hors zone AFR, avec des limites respectives de 200 millions € et 150 millions €.
L’Etat a aussi suscité la création d’un fonds d’investissement dans les métaux stratégiques. La gestion de ce fonds a été confiée à Infravia, avec l’objectif de lever au moins 2 milliards €, dont 500 millions € proviennent de l’État via France 2030. Ce fonds a pour but de prendre des participations minoritaires dans des projets d’extraction, de transformation ou de recyclage en France et à l’étranger respectant les meilleurs standards ESG, afin de sécuriser des approvisionnements pour l’industrie française et européenne. Enfin, le nouvel inventaire minier, annoncé en septembre 2023 par le président de la République permettra de mieux identifier le potentiel de la France et initier un renouveau minier sur notre territoire.
Les industriels n’ont pas souvent connaissance du détail des métaux et minerais qui entrent dans la composition de leurs produits
Sur quels métaux et minerai veillez-vous plus particulièrement ?
La France a fait le choix de ne pas avoir de liste nationale. Elle s’appuie sur des listes européennes de matières premières critiques et stratégiques, récemment mises à jour avec le Critical Raw Matérials Act (CRM Act), publié le vendredi 3 mai 2024 au Journal Officiel de l’Union européenne (JOUE). Ce règlement européen vise à sécuriser les approvisionnements de l’Union européenne (UE) et définit 34 matériaux comme critiques, dont 17 comme stratégiques.
Les approvisionnements français et européens sont principalement satisfaits par des importations, via des chaînes d’approvisionnement globalisées, concentrées et complexes, offrant souvent peu de visibilité sur les fournisseurs de rang inférieur. Pour la plupart des filières industrielles, ces dépendances se retrouvent concentrées par quelques pays. Dans ce contexte, connaître nos besoins et anticiper leurs évolutions est déterminant.
Proposez-vous des outils pour permettre aux entreprises d’améliorer leur connaissance dans leur exposition à ces risques ?
Afin d’orienter la politique de sécurisation des approvisionnements, la France a créé en décembre 2022 l’Observatoire Français des Ressources Minérales (OFREMI), dans le but de regrouper toutes les expertises et de recenser les besoins des filières industrielles stratégiques (notamment batteries, aéronautique-défense, énergies renouvelables, électronique, etc.). Piloté par la DIAMMS, cet organisme produit des études sur les besoins en métaux, les chaînes de valeur, l’offre, les stocks nécessaires, la résilience des chaines d’approvisionnement etc. (les fédérations industrielles et les entreprises doivent adhérer à l’Ofremi pour bénéficier de ses analyses).
Quelle est la place du levier économie circulaire dans l’arsenal de vos leviers d’action ?
Historiquement, les métaux représentent le premier secteur de recyclage. Il est toujours possible de recycler de l’acier, du cuivre ou de l’aluminium, avec des taux assez élevés. Notre premier enjeu consiste à augmenter ces taux de recyclage et à intégrer davantage de produits recyclés dans les nouveaux produits.
Pour rappel, la filière de recyclage comporte trois étapes principales, réalisées par divers acteurs : la collecte, le traitement et la réincorporation dans la chaîne de valeur. L’organisation de plusieurs filières repose sur les filières REP (Responsabilité Élargie du Producteur), des dispositifs particuliers d’organisation de la prévention et de la gestion des déchets. Ces dispositifs stipulent que les metteurs sur le marché de produits doivent assurer le financement et/ou l’organisation de la collecte et du traitement des déchets. Concernant les métaux, plusieurs REP sont concernées, notamment la REP DEEE (équipements électriques et électroniques), les batteries et les véhicules hors d’usage (VHU).
Au-delà de l’amélioration de la collecte, notre stratégie passe également par le développement des capacités de recyclage sur le territoire national, comme avec l’exemple du projet ReLieVe à Dunkerque, porté par Eramet et Suez. Inscrite dans le cadre de France 2030, la stratégie d’accélération « Recyclabilité, recyclage et réincorporation des matériaux » (RRR) vise à améliorer la performance des marchés des matières premières de recyclage en identifiant les freins et les leviers d’action à mettre en place aux différentes étapes de la chaîne de valeur du recyclage : recyclabilité des produits mis sur le marché, collecte et tri des produits en fin de vie, production des matières premières de recyclage, réincorporation des matières premières recyclées dans de nouveaux produits.
La stratégie RRR, couvrant l’ensemble des étapes de l’amont (R&D) à l’aval (démonstration), vise toutes les matières premières, en particulier les plastiques, le papier/carton, le textile et les métaux critiques. La stratégie met notamment l’accent sur le développement du recyclage des métaux stratégiques nécessaires au déploiement des technologies bas carbone. L’objectif est de se doter, d’ici 2030, des capacités industrielles pour recycler au moins la totalité des volumes de batteries des véhicules électriques arrivant en fin de vie en France. Pour cette stratégie, 254 millions d’euros sont mobilisés par France 2030.
L’appel à projets RRR de l’ADEME, maintenant clos, était multithématique (papier, textile, plastiques, composites et métaux) et a soutenu six projets lauréats concernant les métaux, avec une aide cumulée de 15,6 millions d’euros. D’autres projets sont encore en cours d’instruction. Par ailleurs, l’appel à projets « métaux critiques » de France 2030 a également soutenu douze projets de recyclage de métaux pour un montant de 149 millions d’euros.
Comment faire en sorte que dans leur calcul en TCO, des acheteurs privilégient une source d’origine recyclée ?
Deux aspects peuvent influencer les comportements d’achats, à commencer par les réglementations qui poussent à incorporer de plus en plus de matières recyclées. Le nouveau règlement européen sur les batteries, adopté le 12 juillet 2023, vise à instaurer une circularité des chaînes de valeur. Le recyclage est présenté comme un moyen essentiel pour répondre aux besoins à long terme et remplacer une partie des besoins primaires par une production secondaire. Compte tenu de la durée de vie envisagée des batteries, la production secondaire restera faible jusqu’en 2035, provenant principalement des rebuts de fabrication (les « scraps »).
Toutefois, plusieurs défis doivent être relevés pour atteindre les objectifs fixés par la réglementation européenne. Le règlement prévoit un objectif de valorisation du lithium à partir des déchets de batteries de 50 % d’ici à la fin de 2027 et de 80 % d’ici à la fin de 2031. Il impose également des niveaux minimaux obligatoires de contenu recyclé pour les batteries industrielles, issues de déchets post-consommation et de déchets de fabrication de batteries. Pour le lithium, ces niveaux sont fixés à 6 % en 2031 et à 15 % en 2036. Ces objectifs peuvent être modifiés par des actes délégués en fonction de l’évolution du marché, de la technologie et de la disponibilité du lithium. D’autres enjeux incluent la capacité de collecte des batteries, la limitation des exportations hors de l’Union européenne et le développement de capacités de traitement suffisantes.
Au-delà des mesures de soutien financier aux projets, il est nécessaire de réfléchir à la mise en place de différents outils pour favoriser le recyclage et éviter les exports à l’étranger notamment hors d’Europe (bonus/malus dans le cadre des filières REP, mise en place de contrats long terme, etc.). Ces différents points seront étudiés au cours de l’élaboration du plan national de « circularité » que la France doit, comme les autres Etats-membres, définir d’ici deux ans au plus tard en application de l’article 26 du CRM Act.