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Firmenich, Breitling, Idex : les fournisseurs, clefs de la politique RSE

Par Guillaume Trecan | Le | Environnement

Trois industriels, trois secteurs d’activité et trois fois l’obligation de faire progresser ses achats responsables, exposés lors du salon Produrable par deux responsables RSE et un directeur des opérations. Revue des enjeux et des méthodes avec un mot d’ordre : accompagner plus qu’imposer.

Firmenich, Breitling, Idex : les fournisseurs, clefs de la politique RSE
Firmenich, Breitling, Idex : les fournisseurs, clefs de la politique RSE

En réunissant autour de cette table-ronde trois de ses clients, la société d’évaluation des performances RSE, Ecovadis, a eu la bonne idée de choisir trois industriels aux métiers totalement différents et aux attentes clients extrêmement variables en ce qui concerne la RSE. Mais, à chaque fois la nécessité est la même et l’enjeu entre les mains de la direction des achats est crucial. Un enjeu éclairé d’emblée par Laurent Auffret, responsable stratégies achats responsable d’Ecovadis, en faisant référence à une enquête du cabinet E&Y qui évalue que 70 % de l’impact environnemental des entreprises se situe dans leur chaîne de valeur.

 

Firmenich : 96 % de l’enjeu chez les fournisseurs

Pour le créateur de parfums et d’arômes Firmenich (4,8 milliards d’euros et 11 000 salariés), c’est beaucoup plus. « Nos scopes 1 et 2 représentent à peine 4 % de notre impact climat global », précise le directeur développement durable, Thomas Andro. L’importance de l’axe RSE dans la stratégie achats est à la hauteur des enjeux. La totalité des acheteurs a, à ce jour, été formée à la RSE, un sujet qui fait bien en entendu partie des objectifs des cadres dirigeants achats. Pour ce groupe familial qui ambitionne d’être neutre en carbone dans trois ans sur toutes ses opérations, 100 % de l’énergie consommée sur ses sites est déjà d’origine renouvelable.

Pour les fournisseurs, qui ont entre leurs mains 96 % de l’impact environnemental du groupe, les objectifs sont également ambitieux : être à 60 points minimum en termes de notation Ecovadis d’ici à 2025 et être inscrits dans une démarche CDP (Carbon Disclosure Project) pour 80 % d’entre eux, contre 30 % aujourd’hui. D’ici à 2025, le parfumeur veut aussi avoir calculé 100 % de l’impact social et environnemental de ses produits, contre 90 % aujourd’hui, avec des objectifs sur la biodégradabilité et la renouvelabilité des ingrédients entrant dans la composition des produits. 

Quand vous parlez à une petite coopérative de vanille à Madagascar sur le calcul de son empreinte carbone, il ne faut pas s’attendre au même niveau de maturité

Le groupe a ainsi fait l’acquisition de DRT en 2020, une entreprise du sud-ouest de la France qui utilise des co-produits de l’industrie papetière utiles dans la fabrication des fragrances. « Nos propres coproduits sont réutilisés dans le process de l’industrie papetière », complète Thomas Andro.

La trajectoire ambitieuse du groupe doit toutefois prendre en compte l’extrême variété du panel. « Quand vous parlez à une petite coopérative de vanille à Madagascar sur le calcul de son empreinte carbone, il ne faut pas s’attendre au même niveau de maturité que lorsque l’on s’adresse à un grand groupe », prévient Thomas Andro. Dans la foulée, le directeur RSE explique que, pour être petits, ces fournisseurs lointains n’en portent pas moins des enjeux forts. « Nous avons été certifiés salaires décents, mais dès lors que l’on source du vétiver en Haïti, de la menthe en Inde, ou de la vanille à Madagascar, il faut être conscient qu’une bonne part de notre impact humain est dans ces pays », affirme-t-il.

Reste que, au regard de son marché et des attentes de ses clients, la motivation d’une telle stratégie ne souffre aucun doute. « Pour nos clients c’est un pré-requis », assène Thomas Andro, qui ajoute à cette nécessité commerciale un bénéfice marketing : « vous pouvez développer une proximité client par votre démarche RSE. »

 

Idex : faire, faire savoir et faire avec les fournisseurs

Pour le groupe Idex, qui conçoit et exploite des réseaux de chaleur et de froid et des usines de biomasse pour des clients industriels, collectivités territoriales, ou encore acteurs de la santé, le retour sur investissement est, certes, moins immédiat, mais la démarche achats responsable n’en est pas moins une évidence, y compris commerciale.

Vos clients vont fonder leur stratégie sur les données que vous allez leur communiquer

De plus en plus, pour Idex, il faut faire et surtout faire savoir. « Vos clients, les fonds d’investissement, que vous soyez une entreprise cotée ou pas, vont vous questionner sur ce que vous avez mis en place en matière de RSE », rappelle Guillaume Guesdon, responsable RSE en charge de la stratégie climat qui souligne l’enjeu de communication en une question : « êtes-vous en capacité de communiquer des données fiables ? Vos clients vont fonder leur stratégie sur les données que vous allez leur communiquer. » Il ajoute un autre bénéfice beaucoup en pointant le lien intrinsèque entre développement durable et innovation. « On peut co-innover avec des entreprises matures sur ces questions », explique-t-il.

Pour un énergéticien comme Idex, le scope 1 représente 74 % de l’enjeu environnemental, la chaîne d’approvisionnement, n’étant qu’en deuxième place, à l’origine de 10 % des émissions, soit 640 000 tonnes de CO2. Mais cela ne change rien à la nécessité de progresser. La trajectoire est moins rapide et accorde une grande importance à l’accompagnement des fournisseurs.

Il est difficile pour un fournisseur de s’engager dans une démarche d’évaluation. Parce qu’il y a toujours la crainte, si l’on a des mauvais résultats, d’être déréférencé

Ainsi, tout en se fixant l’objectif d’avoir 100 % de ses fournisseurs sous contrat-cadre évalués Ecovadis, ou labellisés B-Corp, ou encore LUCIE, Idex s’applique à expliquer son intention. « Il est difficile pour un fournisseur de s’engager dans une démarche d’évaluation. Parce qu’il y a toujours la crainte, si l’on a des mauvais résultats, d’être déréférencé. Mais ce n’est pas du tout notre démarche. Nous nous engageons dans un accompagnement de nos fournisseurs », explique Guillaume Guesdon.

A ce jour, la moitié de ses 200 fournisseurs invités dans la démarche de notation Ecovadis ont suivi le mouvement. C’est un bon début pour le directeur RSE, soucieux de pouvoir établir avec eux un « état zéro » à partir duquel définir une démarche d’amélioration. Les fournisseurs notés en dessous de 35, sont audités par la direction achats.

 

Breitling : imparfait mais organisé pour s’améliorer

Dernière exemple, à la croisée du luxe et de l’industrie, cette fois, avec le fabricant de montres Breitling, dont le directeur des Opérations, Daniel Braillard expose une démarche humble, pragmatique et ciblée.  Il explique ainsi l’ampleur de la tâche : « Nous travaillons avec plus d’une centaine de fournisseurs et suivent derrière tous leurs sous-traitants. » Loin d’être découragé, il philosophe : « Le plus difficile c’est de démarrer », avant de préciser d’autres prérequis : « participer là où nous avons une sphère d’influence pour améliorer les choses » et « engager la direction ».

Sur ce dernier point, le joailler implique tous ses cadres dirigeants dans un comité ESG et s’est donné les moyens humains d’avancer, en recrutant des spécialistes capables de structurer les projets, de les coordonner et d’accompagner les fournisseurs.

En ce qui concerne sa « sphère d’influence », Breitling l’a clairement identifiée. Les vingt fournisseurs représentant plus de 70 % des achats ont signé un code de conduite. Sur les six composants entrant dans la fabrication des montres - acier, or, caoutchouc, laiton, saphir et rubis -, l’or est à l’origine de 50 % du carbone consommé par le groupe. En analysant son sourcing en la matière, la direction des Opérations en a conclu qu’elle peut surtout agir efficacement sur l’or extrait de mines dont l’empreinte est plus significative pour pour l’or CoC (Chain of Custody), ou issu du recyclage. L’objectif est désormais de faire progresser les pratiques dans ces mines artisanales aux méthodes parfois chaotiques qui emploient plus de 40 millions d’ouvriers.

Il faut accepter que nous sommes tous imparfaits et que l’on ne peut pas résoudre tous les problèmes d’un coup

Pour engager une démarche d’amélioration, le groupe accepte de payer un premium pour participer à des projets impacts positifs sous trois conditions : qu’il s’agisse de mines artisanales, organisées de manière à avoir impact positif et auditées pour s’assurer que l’argent est utilisé à bon escient

Mais là encore, Daniel Braillard rappelle le point commun avec ses deux homologues industriels : la nécessité de s’armer de patience et de pédagogie vis-à-vis de fournisseurs inégaux face à ces défis : « La maturité de nos fournisseurs par rapport aux problématiques ESG est variable. Certains sont des petits artisans, petites sociétés très loin de ces considérations. Il faut accepter que nous sommes tous imparfaits et que l’on ne peut pas résoudre tous les problèmes d’un coup », commente Daniel Braillard.