L’achat inclusif : un générateur de business
Par Mehdi Arhab | Le | Ha inclusif
Le dernier Club des Managers Achats a vu une vingtaine de directeurs et responsables des achats développer leur conscience ainsi que leurs connaissances sur un sujet en vue, bien que peu apprivoisé : les achats inclusifs. Une approche amenée à devenir de plus en plus importante malgré quelques obstacles.
Est-il réellement possible de mener une politique achats responsables sans l’appui de sa direction générale ? Difficile de répondre par l’affirmative, tant la politique achats d’une organisation découle de l’approche stratégique des hautes sphères de l’entreprise. Et sans relai de la gouvernance, bien difficile pour les Achats de faire entendre leur voix. « Notre action est au service de la politique générale de l’entreprise. Si la direction ne porte pas le sujet, il sera difficile de réussir. Mener des opérations par-ci, par-là prouve notre bonne volonté, mais ne contribue pas à la construction d’une histoire », pointe Pierre-Alexandre Goulmot, directeur des achats de NRJ et président du CMA.
Un constat partagé par de les donneurs d’ordre présents et Yann Le Coz, consultant achats et présent pour l’occasion en qualité d’expert. « C’est un sujet de gouvernance, l’important étant de voir si la politique RSE de l’entreprise prône ou non l’inclusion et l’insertion. » Pourtant, les achats solidaires, auprès du secteur adapté et du secteur de l’insertion peuvent se révéler comme d’excellents leviers de compétitivité.
Un moyen de prolonger la politique RSE groupe et de développer du business
En effet, les axes achats inclusifs et solidaires constituent autant de moyens de prolonger la vocation et la raison d’être de l’entreprise. Pour l’un des convives, ce sont aussi autant d’éléments différenciants pour l’entreprise dans son ensemble.
Mener une politique achats responsables permet de contracter des avantages concurrentiels à la vente
« Nos clients sont très demandeurs, avec une part croissante de critères liés à l’inclusion dans leurs appels d’offres ». D’ailleurs, pour Yann Le Coz les achats responsables s’intègrent dans une démarche de progrès. « Mener une politique achats responsables permet de contracter des avantages concurrentiels à la vente, » assure-t-il.
L’inclusion va bien au-delà du secteur du handicap
Pour bien mener sa politique achats solidaires, il est important de rappeler que l’inclusion vise à insérer des personnes éloignées de l’emploi du fait de leur situation sociale. Partant de cette définition, les jeunes, les personnes âgées et les détenus en milieu pénitentiaire sont également à incorporer dans la réflexion des achats solidaires. Permettre à ces derniers de travailler constitue au demeurant des opportunités d’affaires majeures, sur lesquelles de nombreuses directions des achats misent, mais sur lesquelles elles « se refusent souvent à communiquer », regrette l’une des invitées. « Ce sont des actions avantageuses pour le business et qui sont profitables à des personnes qui ne demandent qu’à travailler et à avoir une activité, mais elles sont malheureusement peu valorisées », poursuit-elle.
Obligation ou volonté politique : quelles sont les motivations à acheter solidaires ?
Depuis quelques années, la loi dispose aux employeurs, publics ou privés, qui comptent 20 salariés d’embaucher des personnes en situation de handicap dans une proportion de 6 % de leur effectif total. Depuis deux ans désormais, la sous-traitance n’est plus comptabilisée dans le taux d’emploi de 6 % des effectifs. Cependant, son recours est valorisé sous forme d’une déduction de la contribution annuelle des employeurs. Un avantage qui pourrait pousser les entreprises à se lancer dans le grand bain. Pour l’un des directeurs des achats présent, l’obligation ne constitue pas une solution. Pour certains, rien ne pourrait s’opérer sans elle. Je suis convaincu que la réglementation a un intérêt majeur, sans elle, il n’y aurait aucune avancée, avance l’un d’eux.
il est difficile d’adapter notre sensibilité dans le cadre du travail à l’aune de la pression financière, d’autant plus que nos actions portent souvent sur des dépenses minimes et des catégories à faible valeur ajoutée
Certains donneurs d’ordre font donc face aux injonctions de leurs dirigeants, plus souvent passionnés par les comptes de résultats que par leur implication à l’équilibre social et sociétal. « Je pense que nous sommes tous, ou du moins une grande majorité, sensibilisés par cette cause importante. Néanmoins, il est difficile d’adapter cela dans le cadre du travail à l’aune de la pression financière, d’autant plus que nos actions portent souvent sur des dépenses minimes et des catégories à faible valeur ajoutée », constate un directeur des achats d’une ETI.
Pour un autre convive, si certaines entreprises ont instauré des initiatives en la matière, c’est aussi et surtout pour une question financière et de taxes. Par ailleurs, la loi du devoir de vigilance impose un fort engagement dans le suivi de l’ensemble de la chaîne de production et la sous-traitance en particulier. Le devoir de reporting a fait aussi son apparition à l’échelle européenne, obligeant les entreprises à déclarer ses performances extra financières, avec une liste détaillée des actions qu’elle mène dans le cadre de sa responsabilité sociétale.
Une politique achats socialement responsables peut toucher des métiers à forte valeur ajoutée
Outre les traditionnelles prestations d’entretien d’espaces verts, de blanchisserie et de distribution de fournitures de bureaux, Yann Le Coz défend l’idée que, au même titre que les entreprises ordinaires, les EA ou encore ESAT sont en mesure d’assurer des prestations de service de qualité, compétitives et de travailler d’égal à égal avec leurs clients, peu importe leur taille.
Les achats inclusifs ne pointent pas que sur de la sous-traitance de propreté et l’entretien des espaces verts, mais aussi sur la prestation intellectuelle, le conseil
Cela d’ailleurs sur des tâches à très forte valeur ajoutée, comme la prestation intellectuelle. « Avec le temps, nous apprenons que les achats inclusifs ne pointent pas que sur de la sous-traitance de propreté et l’entretien des espaces verts, mais aussi sur la prestation intellectuelle, le conseil ou encore la gestion d’exploitation », embraye l’un des convives.
Un écosystème segmenté, plus large qu’il n’y paraît et accessible
Ces prestations peuvent être accomplies par deux écosystèmes fournisseurs spécifiques. Le premier, celui du secteur de l’insertion par l’activité économique, concentre les AI, les EI ou encore les ETTI. Le deuxième écosystème, celui du secteur du travail protégé et adapté, regroupe les ESAT, des entreprises sous agrément de la Dreets, qui accueillent en leur sein des personnes en situation de handicap à 55 % de leurs effectifs ou encore des TIH, travailleurs indépendants handicapés.
Tandis que certains avouent éprouver quelques difficultés à sourcer des entreprises en mesure de répondre à leur marché, l’expert du sujet rappelle qu’il existe de nombreux outils et plateformes de sourcing, sur lesquels de nombreux acteurs du marché de l’emploi des personnes handicapées sont référencés. Ceux-ci, comme les outils mis à disposition par le Gesat et Handeco, ou encore la plateforme Inclusion et le marché de l’inclusion permettent de sourcer efficacement et de trouver chaussure à son pied, sur des métiers en tension notamment. Des acteurs comme Les Petites Rivières permettent également de passer en revue une large partie des marchés adressés par les donneurs d’ordre. Charge à eux aussi désormais de casser la force de l’habitude et les idées reçues, sur le prix, la qualité des prestations, afin de susciter l’envie chez les opérationnels.