L’IA générative va redessiner en profondeur les méthodes de travail et les compétences clés
Directeurs achats du public et responsables de centrales d’achat ont confronté leurs pratiques autour de l’IA générative : cas d’usage concrets, risques à encadrer, compétences à développer et évolution du métier. Un atelier-débat initié par Camille Labeaune, directrice des systèmes d’information ventes et data au Resah, principale centrale d’achats publique hospitalière.
Le débat en trois points clés
• L’IA générative est déjà massivement utilisée et doit être encadrée par une gouvernance, une charte et des outils choisis par l’organisation
• Les premiers gains se trouvent dans l’automatisation des tâches répétitives : bureautique, recherche d’information, contrôles de cohérence des dossiers
Le métier d’acheteur évolue vers plus d’analyse, de relationnel et de gestion des risques ; maîtriser l’IA devient un avantage décisif, sans se substituer au jugement humain.
Des usages déjà bien ancrés dans le quotidien des acheteurs
« Dans notre organisation, plus de 80 % des collaborateurs se sont déjà connectés au moins une fois à un outil d’IA générative avec leur ordinateur professionnel. On ne sait pas encore exactement ce qu’ils en font, mais on ne peut plus faire comme si le sujet n’existait pas. »
« L’IA doit rester une assistante, pas un expert magique qui penserait à notre place : elle propose, mais c’est à nous de challenger les réponses, surtout quand elles engagent juridiquement ou financièrement la commande publique. »
« L’achat public est un terrain de jeu idéal pour l’IA générative : des processus très normés, beaucoup de traçabilité, des volumes importants… Dans une étude interne, nous avons identifié plus de 140 cas d’usage potentiels rien que pour les fonctions support et achats. »
Encadrer les risques avant de généraliser
« Dans les hôpitaux, un professionnel sur trois utilise déjà une IA personnelle pour des besoins professionnels. C’est du shadow IA à grande échelle, avec des données de santé en jeu : si l’organisation ne reprend pas la main, on crée un risque majeur de sécurité. »
« Nous avons rédigé une charte d’usage : pas de données personnelles ni de documents confidentiels dans les outils grand public, respect strict du RGPD, et rappel que les outils déployés par la structure ne servent pas à préparer ses courses de Noël. C’est à la fois un sujet d’éthique et de sécurité. »
« On ne peut pas déléguer notre jugement à une IA pour analyser les offres : elle peut aider à dire “conforme / non conforme”, mais pas décider seule de ce qui est “très bien”, “correct” ou “insuffisant”. Sinon on finit avec des DCE rédigés par IA, des offres rédigées par IA et des analyses d’offres faites par IA… et plus personne responsable de la décision. »
Compétences et acculturation : une nouvelle grammaire à apprendre
« Nous avons commencé par envoyer tout le monde en formation aux bases de l’IA générative, puis par créer une charte et un comité qui examine les idées. Il n’y a pas de “mauvais” cas d’usage, mais il faut vérifier qu’ils apportent de la valeur et qu’ils servent le collectif. »
« On ne remplacera pas les acheteurs par des IA, mais les acheteurs qui maîtrisent l’IA finiront par remplacer ceux qui ne la maîtrisent pas. C’est un vrai sujet d’acculturation, pas un gadget : il faut que chacun sache au minimum dialoguer efficacement avec ces outils. »
« Certains grands groupes ont déjà licencié massivement des collaborateurs qui refusaient de se former à l’IA. Cela montre que la compétence IA devient un prérequis de base, au même titre que savoir utiliser un tableur il y a quelques années. »
Automatiser d’abord les tâches à faible valeur ajoutée
« Nous avons commencé par l’IA bureautique : générer des ordres du jour, structurer des comptes rendus, suivre les décisions… Nous avons une culture très orale, et l’IA nous aide à formaliser et partager l’information sans y passer des heures. »
« Un gros sujet, c’est la recherche d’information dans les marchés : retrouver une clause RSE dans un CCTP, un SIRET dans un formulaire, une modalité de pénalité dans un CCAP… Aujourd’hui, des équipes font ça à la main. Demain, un agent conversationnel peut extraire et structurer ces données. »
« Sur l’analyse des candidatures, on commence à tester des solutions capables de vérifier automatiquement la complétude des plis : quelles pièces sont présentes, lesquelles manquent, quels documents sont incohérents. On ne supprime pas le contrôle humain, mais on lui évite de feuilleter des centaines de pages. »
Vers un acheteur augmenté, plus stratégique et plus relationnel
« Si l’IA nous débarrasse d’une partie du reporting et de l’administratif, je préfère que les acheteurs consacrent ce temps gagné au sourcing, aux échanges avec les fournisseurs et aux rencontres avec les prescripteurs : c’est là que se crée la vraie valeur. »
« Les fournisseurs vont eux aussi utiliser l’IA pour répondre à plus d’appels d’offres et produire des mémoires techniques impeccables. On va devoir renforcer les auditions, les négociations et tout ce qui permet de vérifier, en face à face, que l’entreprise sait vraiment faire ce qu’elle écrit. »
« Demain, les assistants IA ne se contenteront plus de répondre à nos questions : ils suivront les dossiers, répartiront les charges, relanceront les échéances. Le métier d’acheteur va se déplacer vers plus de pilotage, mais le sens de l’intérêt général et la responsabilité finale resteront humains. »