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Volvo : « le coût de l’inaction sera beaucoup plus important que celui de l’action »

Par Mehdi Arhab | Le | Énergie environnement

Le constructeur de camions Volvo et le sidérurgiste SSAB se sont distingués en développant un véhicule avec de l’acier décarboné. Une prouesse technique, récompensée de la médaille d’or lors de la quinzième édition des Trophées des Achats, dans la catégorie « co-construction ».

Un camion éléctrique Volvo, dont le châssis sera constitué d’acier vert uniquement verra le jour - © D.R.
Un camion éléctrique Volvo, dont le châssis sera constitué d’acier vert uniquement verra le jour - © D.R.

Ce partenariat entre les deux groupes suédois et leur écosystème a permis la conception de véhicules en acier vert, sans qu’aucune énergie fossile n’intervienne dans le processus de transformation de l’alliage. L’histoire commence en 2016 lorsque SSAB présentait une nouvelle technologie pour produire de l’acier zéro fossile à son client Volvo, détenteur notamment des marques Renault Trucks, Mack Trucks et UD Trucks. Dans le même temps, le constructeur affichait sa détermination à respecter des engagements majeurs en faveur des objectifs posés par l’accord de Paris, afin de mener son secteur d’activité dans la transformation de ses modes de production de manière à atteindre la neutralité carbone d’ici 2040.  

SSAB répondait parfaitement à nos objectifs de décarbonation. Pour nous, cela semblait être le meilleur acteur possible, avec la meilleure technologie à disposition et avec le délai le plus court

« La convergence était évidente, souffle Pierre Voutsinos, chargé des achats d’acier chez Volvo. Plusieurs chemins mènent à la décarbonation de l’acier : une première voie consiste à optimiser le process existant, une autre consiste en une transition technique et la dernière consiste en une rupture technologique pure et simple. » Volvo décidera in fine de tenter l’aventure de cette troisième voie, vers laquelle SSAB s’est orientée. « SSAB répondait bien à nos objectifs de décarbonation. Pour nous, cela semblait être le meilleur acteur possible, avec la meilleure technologie à disposition et avec le délai le plus court », explique Pierre Voutsinos, qui est établi à Lyon, comme 400 des 1 300 acheteurs du groupe. 

Deux véhicules déjà opérationnels 

Le résultat final est à la hauteur des espoirs de Volvo, puisque quelques années plus tard, le consortium Hybrit (Hydrogen Breakthrough Ironmaking Technology), formé en 2016 par SSAB au côté du minier LKAB et de l’énergéticien Vattenfall, a réalisé le premier acier vert au monde. Les premières plaques ont été livrées par l’aciériste au constructeur en août 2021. Celles-ci ont été produites grâce à une technologie de réduction directe du minerai avec de l’hydrogène, dans l’usine pilote Hybrit à Luleå, au nord de la Suède, à proximité de nombreuses mines et barrages hydrauliques. Cette même usine a conçu en juin 2021 sa première éponge de fer désoxydé, qui a ensuite été transformée en acier dans un four à arc électrique de SSAB, sur l’un de ses sites à Oxelösund. 

Depuis, deux véhicules réalisés à partir d’acier vert ont été dévoilés par Volvo. Le premier, « Tara », révélé en octobre dernier, est un véhicule de mine autonome et électrique. Le deuxième, un engin de chantier, a été présenté en juin 2022 et a déjà trouvé preneur. « Notre première lettre d’intention date de février 2021. Ce fut un travail de longue haleine et aujourd’hui, nous tenons un client », se félicite Pierre Voutsinos. Prochaine étape : la réalisation de longerons pour camion constitués uniquement d’acier décarboné. 

Une fonction transversale par excellence

Il était nécessaire de décomposer, outre les coûts et les prix, la chaîne logistique afin de savoir quels fournisseurs, quelles mines et quels procédés étaient impliqués

Dans cette action, le rôle des Achats été essentiel ; le département servant « d’interface entre le marché fournisseur et l’entreprise ». Le service a par ailleurs œuvré pour remonter soigneusement et en toute transparence la chaîne de l’acier zéro fossile. « L’acier nous permet de réaliser les cabines ou encore les châssis des camions. Nous transformons cette matière première aussi bien en interne qu’en externe. La majorité de nos pièces stratégiques sont embouties et formées par nos soins. Nos besoins sont importants et il était nécessaire de décomposer, outre les coûts et les prix, la chaîne logistique afin de savoir quels fournisseurs, quelles mines et quels procédés étaient impliqués », rappelle Pierre Voutsinos.

Si Volvo a proposé d’accompagner SSAB sur le plan financier, l’aciériste, qui compte près de 15 000 collaborateurs, ne ressent pour le moment pas le besoin de se faire appuyer. Les coûts initiaux dans les infrastructures, essentielles pour permettre de passer du charbon à l’électricité et à l’hydrogène, du gaz naturel au biogaz et des granulés de minerai de fer au minerai préréduit, sont pourtant colossaux. « Ce sont de gros investissements pour notre fournisseur, qui se chiffrent en milliards d’euros, d’autant plus qu’il doit revoir ses procédés. Néanmoins, il n’éprouve pas le besoin de se faire accompagner financièrement, même si cela constituait et constitue encore une possibilité », assure Pierre Voutsinos.

Co-construction interne et mise en place d’un comité de direction paritaire

Outre les Achats, trois autres métiers, dont la logistique, le marketing et la communication ont été mobilisés. « Le niveau de collaboration en interne était important. Nous partageons, aux côtés de SSAB, des évènements, tels que des salons… Cela est poussé par la communication de notre groupe, afin d’expliquer notre démarche », dévoile Pierre Voutsinos. La dernière ligne managériale engagée fut celle du département R&D, qui établira au côté de SSAB une feuille de route, afin de produire des véhicules moins lourds et plus résistants. « Au niveau technologique, nous veillons à produire des véhicules plus légers en utilisant moins d’acier, de façon qu’ils soient plus écologiques. S’ils sont plus légers, nos véhicules consommeront moins d’énergie, cela tout en garantissant qu’ils soient plus sûrs », développe Pierre Voutsinos.

Une nouvelle organisation, qui implique l’instauration d’un comité de direction paritaire mêlant des membres de SSAB et de Volvo, a été pensée. Les responsables des achats et responsables techniques du constructeur y siègent et se réunissent une fois par trimestre afin de noter les avancements du projet, les points bloquants et les éventuels besoins de financement. Une nouvelle structure dédiée aux achats des matières premières - acier, ferraille, aluminium - a été créée. Elle a pour mission de fonder une roadmap pour faire en sorte que 10 % de matières premières utilisées par Volvo soit écoresponsables en 2030. Pour ce faire, le groupe recherche de nouveaux acheteurs, au profil pointu et dédié matière première.

Acier totalement décarboné en 2040

La demande augmentant plus rapidement que l’offre, Volvo a forgé un véritable tour de force. Le groupe compte d’ailleurs, à l’horizon 2040, se fournir exclusivement d’acier vert. Une approche ambitieuse, qui pourrait s’avérer très dispendieuse. Mais qu’importe pour le géant suédois, cet obstacle ponctuel vaut la peine d’être surmonté, tant l’acier vert est un produit de haut vol et novateur, qu’il sera difficile d’obtenir.

« Il est probable que nous serons confrontés à un surcoût, admet Pierre Voutsinos. Cela reste pour le moment difficile à évaluer, compte tenu des fluctuations incessantes. Cependant, nous voulons imposer un nouveau paradigme. Il nous faudra avoir la capacité d’innover avec toutes les parties prenantes, en particulier notre écosystème fournisseur, pour atteindre non seulement nos objectifs de décarbonation, mais également pour garantir notre compétitivité future. Nous pensons que le coût de l’inaction sera beaucoup plus important que celui de l’action. »

Pour mettre un point d’orgue à cette collaboration, Volvo envisage désormais de proposer à SSAB des engins indispensables à son business, réalisés à partir d’acier zéro fossile. Cela, pour boucler la boucle.