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Club Planète Sourcing : la décarbonation aux Achats, quel plan d’action ?

Par Mehdi Arhab | Le | Environnement

Le troisième Club Planète Sourcing de l’année a vu près d’une trentaine de directeurs et directrices achats grands groupes échanger autour du sujet du moment : la décarbonation. Un enjeu de taille qui impose la mise en place d’un plan d’action minutieux … Or, beaucoup naviguent encore à vue.

Club Planète Sourcing : la décarbonation aux Achats, quel plan d’action ?
Club Planète Sourcing : la décarbonation aux Achats, quel plan d’action ?

Comment les Achats peuvent-ils bien contribuer à la trajectoire de décarbonation de leur entreprise ? Vaste question … Encore faut-il, pour y parvenir, que le groupe ait effectué son bilan carbone. Une évidence, mais un passage forcément obligatoire. Et pour cause, sans diagnostic, impossible d’avancer … ou presque. « S’il est courant de dire que l’on ne gère bien que ce que l’on mesure, il est tout de même possible de mener quelques initiatives », tempère l’un des convives, directeur des achats Europe d’une grande ESN asiatique. Reste néanmoins que sans bilan, difficile de se fixer des objectifs quantitatifs. Et charge, de l’autre côté, aux Achats d’évaluer le poids du scope 3 dans l’empreinte carbone de leur entreprise.

Choisir ses combats pour avancer

Pour ce qui concerne La Poste Groupe par exemple, l’empreinte carbone représente quelque 2 400 000 tonnes par an, soit 0,5 % du carbone généré en France. Le scope 3 pèse pour 87 % de ce total. Le bilan carbone du groupe est avant tout cramponné à son transport - sous-traité pour une très grande partie - pour près de 90 %. De fait, une attention toute particulière est portée à cette catégorie d’achats. « Nous achetons beaucoup de véhicules, camions, véhicules légers et des vélos, vélos cargos et carrioles pour le dernier kilomètre.  Le but est de décarboner chaque élément de la chaîne. Le biogaz et l’électrique sont des axes privilégiés », décrit Laurence Laroche, directrice des achats du groupe et invitée spéciale de la soirée. 

Toutefois, la faible autonomie des véhicules électriques impose à la direction des achats de penser le sujet plus largement. Ainsi, elle passe des marchés réservés sur des points d’avitaillement en énergie : bornes de recharge électrique et stations de biogaz à proximité des plateformes du groupe. Une approche globale qui inclut donc ses infrastructures et une plus large partie de sa chaîne de valeur. Par son volontarisme et ses achats, le groupe a d’ailleurs observé une décroissance importante de l’intensité des émissions CO2 au colis.  Les différents directeurs achats présents ont salué l’approche structurante du groupe La Poste et de sa direction des achats : cibler ses catégories d’achats les plus émissifs et lancer des actions sur les plus importants. Plusieurs affirment justement opérer de la même façon.

« De notre côté, nous travaillons sur nos 20 segments d’achats aux émissions carbones les plus élevées, parmi lesquels le génie civil, la chaudronnerie et la tuyauterie. Nous ciblons sur chacun d’entre eux 20 % de nos fournisseurs, de manière finalement à adresser 80 % de l’empreinte carbone dudit segment », commente l’un des convives. 

Le bilan carbone, c’est bien, précis, c’est mieux

Lorsque l’on calcule l’empreinte carbone, on calcule un taux d’incertitude

À l’instar de La Poste, comme le rappelle Jérémie Joos, partner ESG chez KPMG, l’un des sponsors de la soirée, les grands groupes cotés en bourse ont pour la (très) grande majorité entrepris le calcul de leur bilan carbone, car soumis à des pressions en matière de performance extra-financière. « Mais le niveau de fiabilité est variable. Lorsque l’on calcule l’empreinte carbone, on calcule un taux d’incertitude », précise-t-il. En effet, « les chiffres peuvent être sujets à caution. La question se pose effectivement sur la précision du calcul, car nous pouvons être dans l’obligation d’utiliser des facteurs d’émissions imprécis », indique l’un des invités, directeur des achats d’une grande entreprise française du secteur de l’énergie. 

Le tout étant, quoi qu’il en soit, « d’établir un plan d’action pour réduire ledit taux d’incertitude », dixit Jérémie Joos, et de parvenir à embarquer largement la chaîne de valeur pour obtenir des résultats concrets. Un impératif, d’autant que pour un bon nombre d’entreprises, certains fournisseurs, les plus petits notamment, risquent de se voir écarter faute d’avoir les moyens de produire les efforts nécessaires en matière de décarbonation. Mais, a contrario, cela pourrait constituer un moyen de se démarquer pour ceux qui se lanceront dans le grand bain, avec des innovations à la clé.

Et qu’importe si le scope 3 augmente quelque peu du fait de l’électrification de sa flotte de véhicules par exemple, « le but de l’acheteur étant dans ce contexte d’apporter de la performance carbone à son entreprise, en ayant in fine une influence positive sur les scopes 1 et 2 et toute la vie des produits », assure l’un des invités. Mais chaque secteur jouit d’une maturité différente, comme le rappelle Vincent de Poret, business developer chez SAP. « Certaines industries sont beaucoup plus intégrées que d’autres et opèrent avec différents niveaux de maturité. L’industrie de l’automobile, de laquelle la notion de supply chain est en partie née, est capable d’embarquer tout l’écosystème avec elle et d’aller plus vite ».

Et la data dans tout cela ? 

Mais pour entamer et poursuivre sa politique de décarbonation afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici une vingtaine d’années, les entreprises doivent mettre en place une culture de la data. Chose qui implique de former des professionnels, d’accompagner ses plus petits fournisseurs sur le sujet, voire de se faire accompagner pour apprendre à collecter et manipuler, nettoyer ces données. L’enjeu va donc être pour les entreprises d’avoir suffisamment de données et des données de bonnes qualités, sans quoi il sera impossible de piloter. Il incombe dès lors de mettre en place une gouvernance des données et d’intégrer le critère carbone dans la décomposition des coûts pour le suivre in fine dans ses systèmes d’information de gestion des dépenses.

La décarbonation : un sujet subi ?

Si les directives européennes devraient peu à peu imposer des niveaux d’audit plus élevés sur les informations de performance extra-financière, beaucoup d’entreprises font preuve d’engagement, incluant la question de la décarbonation au cœur de leur feuille de route. Une impulsion, sous forme de révolution quelquefois, qui cache bien évidemment des objectifs business pour ne pas se laisser déborder. « Le sujet de la décarbonation est au cœur de la feuille du plan stratégique du groupe La Poste, imposé par la présidence et porté par la direction de l’engagement sociétal », explique Laurence Laroche. Cette dernière indique par ailleurs que 30 % des objectifs des cadres du groupe sont liés à la RSE et que la prise de conscience du groupe sur les enjeux environnementaux avait largement participé au bon développement de sa marque employeur.

Face aux tensions sur le recrutement, c’est un vrai avantage

« Face aux tensions sur le recrutement, c’est un vrai avantage », affirme la directrice des achats de La Poste. Si dans certains groupes le sujet a été amené sur la table par leurs salariés, donnant une crédibilité et une intensité particulières au projet de décarbonation, d’autres en ont fait leur raison d’être … sans toutefois mettre complètement le pied à l’étrier. Et de fait, les collaborateurs peinent à se jeter à l’eau. « Il faut prendre conscience que beaucoup de choses restent à accomplir et le sujet n’est pas suffisamment ancré dans les esprits », regrette de son côté l’un des convives lorsqu’il dépeint le contexte de son groupe en interne.