Focus sur les achats responsables de Ferrari, Eiffage, Barilla, Lexmark et Total Energies
Par Guillaume Trecan | Le | Consultant
La première édition de la conférence annuelle de l’EIPM depuis son intégration dans le groupe Meogroup et depuis la fin du covid s’est tenue à Paris avec une série de témoignages sur les défis des achats responsables. Témoignages des directeurs achats de Ferrari, Eiffage, Barilla, Lexmark et Total Energies.
Un an après son rachat par Meogroup, l’EIPM (European Institue of Purchasing Management) a réactivé sa conférence annuelle, un des rares événements achats en France susceptibles d’attirer des directeurs achats venus de l’étranger pour se benchmarker avec l’écosystème achats français. L’événement était resté en sommeil depuis le covid, il a réuni environ 200 personnes le 27 mars à Paris sur le thème des défis à venir des achats en matière de développement durable.
Il y a plein d’opportunités de réduire à la fois les coûts et les émissions carbone
Pour le directeur de recherche de l’EIPM, Hervé Legenvre, le défi est colossal : « nous avons quinze ans pour réinventer 150 ans d’industrie », lance-t-il à son auditoire. Les Achats ont évidemment un rôle de premier plan à jouer, à commencer par la réduction des émissions carbone, dans laquelle ils vont devoir impliquer leurs fournisseurs en décidant notamment lesquels devront être engagés dans cette démarche en priorité. Ils devront aussi mettre cet objectif en harmonie avec leurs autres missions. Sur ce point, Hervé Legenvre se veut rassurant : « Il y a plein d’opportunités de réduire à la fois les coûts et les émissions carbone ». Il indique également des outils qui pourront permettre de faciliter l’action des directions achats en matière d’économie circulaire, le Digital Product Passeport, qui permettra de tracer des informations sur le produit et faciliter son recyclage. Aux yeux d’Hervé Legenvre, c’est jusqu’à la question cruciale de la diversité que devront s’impliquer les directions achats en tant que managers des ressources externes : « la diversité ne sera pas amenée par la main invisible du marché mais par la main visible du management », assène Hervé Legenvre.
Ferrari : pilotage de la data et de la relation fournisseurs
Le constructeur Ferrari a bien pris la mesure de ces défis, jusqu’à l’intégrer dans sa culture d’excellence industrielle. Le responsable des achats de matières premières de Ferrari, Marco Longeri en témoigne, en expliquant que la marque au cheval cabré vient de réaliser un prototype de moteur construit en aluminium recyclé. C’est le résultat d’une véritable révolution dans le groupe qui a commencé par mettre en place, en 2020, une stratégie de pilotage de ses fournisseurs unique mais avec différentes déclinaisons selon les catégories d’achats. Toutes se retrouvent sur des objectifs transverses en particulier celui d’une baisse de 30 % du scope 3 amont par voiture.
Derrière cet objectif c’est en particulier un chantier de gestion de la data qui attend le constructeur italien, qui produit en même temps quinze modèles distincts, susceptibles par exemple d’être déclinés en 250 couleurs de peinture différentes. Chaque voiture est unique et toutes les pièces qui la composent ont un poids de CO2 associé. Pour gérer la complexité de ces données, la direction achats entend pouvoir s’appuyer sur la puissance de calcul de l’intelligence artificielle.
Au-delà de la seule question de la data, la clé de cette politique passe par un pilotage plus fin des fournisseurs. Le constructeur travaille avec 500 fournisseurs dont beaucoup sont des petites entreprises très dépendantes de Ferrari. En retour, le groupe est lui-même très dépendant de certains de ces fournisseurs avec lesquels il développe des relations de partenariat.
Eiffage : affiché le poids CO2 en miroir du prix en euros
Dans un secteur certes bien moins prestigieux, celui du BTP, le directeur achats responsables d’Eiffage, Bertrand Touzet, n’a pourtant pas à rougir de la comparaison. La préoccupation du développement durable s’est en effet invité dans la stratégie du groupe depuis bien plus longtemps puisqu’Eiffage a publié son 26 rapport développement durable l’an dernier. De son côté la direction des achats a pris l’initiative sur plusieurs sujets. Elle est par exemple devenue le hub de connaissance du groupe concernant les PPA (Power Purchase Agreement).
Bertrand Touzet et ses confrères ont su s’appuyer sur des atouts propres à leur secteur, notamment une base fournisseurs particulièrement mature sur ces sujets. Le top 50 des fournisseurs représente en effet 60 % des émissions du groupe et 90 % d’entre eux sont engagés dans des actions de réduction du CO2. En s’appuyant, elle-aussi sur un travail en profondeur sur sa data, la direction achats d’Eiffage est parvenue à structurer la data CO2 des produits avec une méthode d’analyse du cycle de vie qui lui permet d’afficher le poids carbone d’un produit dans son catalogue en ligne, en miroir de son coût en euros.
Barilla : faire évoluer l’agriculture italienne
Encore un changement de décor avec le groupe Barilla, qui associe au pilotage des achats une mission d’accompagnement des agriculteurs. Simone Agostinelli le responsable des achats de blé dur en Italie centrale a un double rôle de coordinateur du projet d’agriculture durable. Tout comme son homologue de Ferrari, les actions RSE servent de ciment à ses politiques achats qui sont pourtant loin d’être standards mais déclinées par pays et par marque.
Conscient et fier de son impact sur le territoire italien où il réalise 37,7 de son chiffre d’affaires, le groupe Barilla a réussi à engager 9 000 fermes sont engagées dans des programmes d’agriculture durable et 80 % des volumes produits sont couverts par des programmes d’analyse du cycle de vie.
Lexmark : réindustrialisation et nearshoring
Chez Lexmark, l’économie circulaire est au cœur du business model, au moins en ce qui concerne les cartouches d’encres et tonners. « Nous faisons de l’économie circulaire sans appeler cela de l’économie circulaire, mais du re-manufacturing », explique le directeur achats et industrie EMEA, Patrick Carminati.
En 2011, aucun des tonners et cartouches vendus en France n’étaient produits en France mais venaient de Chine. L’idée de Lexmark pour rendre cette stratégie industrielle économiquement viable était de fabriquer et remanufacturer les produits au même endroit et sur les mêmes lignes sans coûts additionnels. Résultat, en 2024 75 % des produits vendus en Europe sont fabriqués en Europe.
En retour, Lexmark enregistre une réduction évidente des leadtime ; 30 % des produits vendus sont remanufacturé, des emplois ont été créés, l’impact carbone lié aux imports lointains ont été drastiquement réduits et les autres sites du groupe au Mexique et en Chine ont été challengés.
Total Energies : les achats responsables, un atout concurrentiel
Chez Total Energies, qui investit chaque année sept milliards d’euros dans la transition énergétique, le KPI principal de suivi des objectifs achats responsables est le nombre de fournisseurs ayant pris des engagements. « En tant que grande entreprise, nous avons un devoir d’accompagnement et d’explication vis-à-vis de nos fournisseurs pour les engager ». Là encore, la concrétisation des ambitions du groupe passe par la segmentation et le ciblage des fournisseurs prioritaires. Une démarche colossale, puisque 1 500 fournisseurs représentent 70 % des dépenses et 400 sont des fournisseurs majeurs présents dans le monde entier.
Mais, pour le directeur achats groupe, Stéphane Cambier, la politique achats responsables s’impose d’autant plus qu’il perçoit ces démarches comme « un atout pour se démarquer des autres acteurs ». Pour preuve de son point de vue, le directeur achats groupe de Total Energies évoque un appel d’offres gagné en Irak sur lequel le groupe a intégré dans son offre la récupération des gaz pour alimenter les systèmes de chauffage des populations, la construction d’une ferme solaire et le traitement de l’eau.