Bouygues : « L’idée de coordination achats s’est imposée devant l’évidence du levier massification »
Marc Jakubowski a accepté de relever un défi majeur lancé par Edouard Bouygues : coordonner une partie des achats indirects d’entités aussi différentes que Bouygues Construction, TF1, Bouygues Télécom, Colas, Equans ou encore Bouygues Immobilier. Il a partagé son expérience lors des HA Days Indirects des 16 et 17 octobre 2025 à Deauville.
Vous êtes en charge, depuis janvier 2025, de coordonner une partie des achats indirects des différentes entités du groupe Bouygues. Quel est le point de départ de cette démarche ?
Pendant des années, la particularité des entités du groupe Bouygues - Colas, Bouygues Construction, Bouygues immobilier, Bouygues Telecom, TF1 et maintenant Equans - était de travailler indépendamment les unes des autres, au niveau des Achats comme du Commerce. Cela a récemment changé sous l’impulsion d’Edouard Bouygues qui a confié la démarche de coordination à Marie-Luce Godinot, la directrice générale adjointe de l’innovation, du développement durable et des systèmes d’information. L’idée d’une coordination achats s’est imposée devant l’évidence du levier de la massification de certains achats pour créer de la performance.
Nos SI achats, ne sont, eux, pas harmonisés, ce qui pourrait présenter un frein à notre démarche de coordination
Certains achats étaient-ils déjà mutualisés avant le lancement de cette initiative ?
Nous avions historiquement une coordination IT qui était d’autant plus évidente que nos systèmes d’information sont souvent fondés sur des grands éditeurs que nous avons en commun. Nos SI achats, ne sont, eux, pas harmonisés, ce qui pourrait présenter un frein à notre démarche de coordination, faute d’une vision globale de la data.
Quels sont les principes de fonctionnement de cette coordination achats ?
Le groupe Bouygues rassemble 200 000 personnes pour 56 milliards d’euros de revenus sur six grands métiers. Mais, à la holding, nous ne sommes que 280 personnes dont trois à piloter la coordination achats. Nous avons créé un comité stratégique présidé par Marie Luce Godinot et nous travaillons avec les six directeurs achats du groupe. Nous avons ensuite créé des comités catégoriels dans lesquels nous avons inclus des acheteurs de chaque entité concernée. Ces comités définissent une feuille de route à partir de laquelle des axes de mutualisation sont définies. Juridiquement, c’est une des entités du groupe Bouygues qui porte le contrat avec un acheteur leader jouant en quelque sorte un rôle de chef d’orchestre.
Les forces vives de notre coordination, ce sont donc des collaborateurs des différentes entités qui prennent de leur temps pour travailler sur des sujets précis dans le cadre d’une organisation fonctionnelle. Le point de départ de la mutualisation a donc été l’instauration d’un dialogue entre lead buyers de différentes entités du groupe, des gens qui ne se connaissent pas et qui, même s’ils travaillent sur une même famille d’achats, n’achètent pas nécessairement la même chose. Ils peuvent aussi avoir le même fournisseur mais pas les mêmes objectifs.
La démarche de coordination démarre dès lors que deux entités veulent travailler ensemble
Quelles familles d’achats avez-vous travaillé ?
Les thématiques sont proposées au sein du comité stratégique réunie toutes les six semaines. La démarche de coordination démarre dès lors que deux entités veulent travailler ensemble. Notre ambition est de créer davantage de synergies et que les gens viennent s’agréger aux sujets parce qu’ils y voient un intérêt. Il s’agit d’aller pas à pas mais les premières initiatives sont cruciales, il faut les réussir pour asseoir la crédibilité de la démarche.
Nous avons proposé au départ six grandes familles transverses susceptibles de nous apporter des quick wins. Nous avons commencé par l’intérim, avec Bouygues Construction et Colas, auxquels Equans se joindra l’an prochain sachant que les achats d’intérim du groupe dépassent les 500 millions d’euros annuels. Nous avons également travaillé sur la flotte automobile, l’environnement de travail, les voyages d’affaires (plus de 100 millions d’euros annuels) et l’énergie et bien d’autres familles indirectes
Dans sa globalité, le groupe représente 37 milliards d’euros d’achats indirects et directs
Chacune de ces six familles a, depuis, été divisée en une trentaine de catégories. Dans la famille flotte automobile, nous traitons par exemple les pneumatiques qui représentent également des millions d’euros. Dans la famille voyages d’affaires, nous gérons la location de courte durée qui représente près de 40 millions d’euros achetés auprès d’une multitude de fournisseurs. Cette trentaine de familles d’achats représente un montant consolidé d’environ 1,7 milliard d’euros d’achats. Dans sa globalité, le groupe représente 37 milliards d’euros d’achats indirects et directs.
Quelle valeur ajoutée apportez-vous au groupe ?
Dès la première année, notre coordination a apporté un ROI. Aujourd’hui, toutes les entités du groupe sont gagnantes. Etant donné que la négociation se fait au niveau de la holding, la vision du fournisseur n’est pas la même. Il matérialise la globalité du groupe. Nous sommes ainsi parvenus à rationaliser nos contrats qui stipulaient des grilles de remises et de marges-arrières différentes. Nous alignons la performance achats sur le standard le plus élevé du groupe, y compris en termes d’achats responsables ou encore d’innovation.
En retour de ces efforts, nos fournisseurs ont la possibilité de faire plus de chiffre d’affaires avec nous parce que leur activité potentielle avec toutes les entités du groupe est précisément fléchée. La coordination apporte d’ailleurs la capacité à impliquer des responsables de haut niveau de part et d’autre. Nous apportons aussi de la visibilité en interne en permettant aux entités d’avoir une vision transverse de la consolidation de nos actions et de ce qu’elles rapportent.
Pour apporter de la performance durable, nous travaillons à définir des stratégies commerciales qui génèrent de la performance et de la fluidité dans nos achats. Nous travaillons par exemple sur des contrats tripartites avec les fabricants et les distributeurs de pneumatiques pour gagner plus de performance à trois.
Pouvez-vous citer un exemple de mutualisation achats réussie ?
Nous achetons pour 60 millions d’euros de tickets restaurant multi-fournisseurs avec des fonctionnement différents selon les accords RH des entités, un cadre réglementaire important. Nous avons lancé un appel d’offres sur ce segment attribué à un seul prestataire, Edenred. En trois ans, nous avons gagné 10 %.
Nous investissons aujourd’hui beaucoup d’énergie sur l’élaboration d’un data hub pour évaluer nos possibilités de mutualisation et une démarche IA achat
Vous pointez la difficulté de consolider des informations au niveau du groupe. Travaillez-vous à l’harmonisation de vos données de dépenses ?
Nous investissons aujourd’hui beaucoup d’énergie sur l’élaboration d’un data hub pour évaluer nos possibilités de mutualisation et une démarche IA achat. Marie-Luce Godinot, qui porte cette démarche de coordination, gérant aussi tous grands contrats IT du groupe, elle insuffle une dynamique d’harmonisation des données achats.
Dans la mesure où la coordination achats permet de déployer des best practices entre les différentes entités du groupe, nous poussons L’IA pour faciliter le travail des acheteurs et créer de la performance complémentaire.