Carrefour : « Les attentes envers nos équipes Achats n’ont jamais été aussi fortes »
Laure Testu, directrice achats non marchands de Carrefour a pris il y a un an la direction achats non marchand du groupe Carrefout, un service qui doit gérer pas moins de 9 milliards d’euros. Elle développe sa feuille de route qui vise à positionner l’acheteur comme un pivot essentiel entre les fournisseurs, les prescripteurs et les magasins, franchisés ou pas.
Quel est votre périmètre de responsabilité ?
Les Achats Non Marchands comprennent une grande diversité de familles d’achats, y compris des achats qui ont un fort impact sur la clientèle : services en magasin (nettoyage, sécurité, maintenance…), équipements, IT, transport & Logistique, packaging, marketing et publicité, intérim…l’ensemble représente un périmètre de 9 milliards d’euros.
La direction achats non marchands est présente à ce jour dans sept pays avec plus de 200 personnes : France, Brésil, Espagne, Belgique, Pologne et Roumanie et reporte au directeur financier du groupe, Matthieu Malige.
Ce rattachement est très positif car il nous confère une grande autonomie dans la définition de la politique achats et fait des Achats Non Marchands un contributeur majeur au plan stratégique défini par le PDG du groupe, Alexandre Bompard.
Quels sont les grands leviers qui ont contribué à ce résultat ?
Cinq leviers majeurs nous guident au quotidien. Le premier est bien sûr l’équipe et notre capacité à unifier nos pratiques. Pour que tous les acheteurs parlent un même langage et utilisent les mêmes KPI, nous avons revu l’organisation afin de former une seule et même équipe au niveau international. Du stagiaire à la CPO, de Massy à São Paulo, chacun doit pouvoir se projeter dans le temps au sein de la direction et du Groupe.
Le second levier, est celui du partenariat et de la collaboration étroite, tant avec les équipes internes et les franchisés Carrefour qu’avec nos fournisseurs, dans une logique de co-construction et d’amélioration continue. Carrefour et la Direction Achats Non Marchands se transforment, en ligne avec le modèle économique orienté sur nos partenaires franchisés.
Le troisième est l’agilité. Nous devons être réactifs mais surtout capables d’anticiper, notamment sur le plan réglementaire afin de faire face à l’ensemble des défis auxquels est confronté le secteur de la Grande distribution (digitalisation, changement climatique…). Cela passe évidemment par une capacité à négocier et anticiper les évolutions en matière de digitalisation.
En 2026, nous lancerons une solution digitale pour pousser vers nos clients internes et franchisés les fournisseurs capables de leur apporter la plus grande valeur ajoutée
Le quatrième est celui de l’innovation et de la digitalisation : l’acheteur doit devenir le point de référence pour faire converger clients internes et fournisseurs. En 2026, nous lancerons une solution digitale pour pousser vers nos clients internes et franchisés (en France et dans les 40 pays où Carrefour est présent) les fournisseurs capables de leur apporter la plus grande valeur ajoutée incluant également des premiers agents IA.
Tous ces leviers sont au service du dernier axe qui est la performance, la raison d’être de la Direction des achats non marchands, essentielle au groupe Carrefour. Quand nos acheteurs vont chercher de la performance ils vont aussi bien chercher de la performance économique pour Carrefour et ses franchisés que de la performance RSE.
Vous venez de réunir votre top 100 fournisseurs au siège du groupe, à Massy. Quels messages leur avez-vous adressés pour concrétiser cette relation partenariale que vous ambitionnez d’avoir avec eux ?
Pour incarner ce partenariat, nous avons déjà réuni sur scène tous nos partenaires internes : la Supply Chain, les Opérations, la Franchise, la RSE, le CEO de Carrefour France et conclu avec le CFO du groupe, pour aborder ensemble notre vision des achats sur la thématique « Mieux acheter pour mieux vendre », compte tenu de l’orientation stratégique de Carrefour tendant vers la franchise et ses nombreuses opportunités de futurs business.
La deuxième partie de cette journée a pris un tour participatif avec des ateliers thématiques notamment sur la Franchise mais aussi sur la RSE, l’innovation ou encore la performance, dans le cadre desquels nos fournisseurs étaient invités à pitcher.
Ce format de journée, articulé autour d’une trentaine d’ateliers thématiques sur les axes stratégiques de Carrefour, a enrichi notre réflexion et généré de nombreuses pistes de productivité dans le cadre d’une amélioration continue. Ces éléments constituent une base solide pour des collaborations futures avec nos fournisseurs et nos métiers ouvrant la voie à de nouvelles perspectives de co-développement.
Nous avons été agréablement surpris et nous tenons encore à remercier nos fournisseurs du degré de participation et d’implication ainsi que la qualité des échanges et innovations proposés par chacun d’eux lors de cette journée. Ce fut un moment constructif, nécessaire, aussi bien pour les équipes que pour les fournisseurs, avec un taux de satisfaction des participants très élevé qui nous laisse présager de futures opportunités à mettre en place dès 2026. Le but de cette journée est de créer une relation partenariale forte avec nos fournisseurs. Pour cela, nous nous devons d’être à leur écoute et savoir évaluer les opportunités de croissance mutuelle.
Comment développez-vous la capacité d’écoute des acheteurs ?
Notre équipe internationale bénéficie d’une riche diversité de profils et de contextes locaux, incluant des réalités variées telles que la pression concurrentielle, l’hyperinflation ou des enjeux géopolitiques. Cette mixité culturelle représente un atout essentiel pour la génération d’idées nouvelles et la réussite de transformations qui peuvent apparaître complexes au premier abord. L’instauration d’un partage systématique des meilleures pratiques, à l’échelle du Groupe de toutes les équipes achats non marchands est un levier majeur de performance.
Nous avons également mis en place le Gemba, une pratique issue du Lean management et du monde industriel qui consiste à s’imprégner des réalités du terrain. Il est nécessaire de comprendre le magasin et son cadre, les besoins du client interne, du consommateur et l’environnement dans lequel évoluent nos fournisseurs pour pouvoir rédiger des contrats pluriannuels qui, à la fois, protègent les intérêts de Carrefour et apportent au fournisseur de la visibilité en termes de volume et de performance.
Dans l’année, chaque acheteur se rend dans au moins deux magasins ou un entrepôt durant une journée entière
Dans l’année, chaque acheteur se rend dans au moins deux magasins ou un entrepôt durant une journée entière. La perception de chacun étant différente, il n’y a pas de règle imposée. Il s’agit de se rendre sur place avant l’ouverture et d’observer le fonctionnement du site en se mettant dans la peau d’un consommateur, d’un client final, L’acheteur, avec le métier, fait ensuite part de ses réflexions au directeur du magasin et écoute ses remarques. Cela constitue un réservoir à bonnes idées applicables magasin par magasin et des opportunités à déployer plus largement.
Cela a représenté une petite rupture culturelle dans notre relation avec les magasins, les entrepôts. Nous voulons maintenant inviter nos fournisseurs à venir dans nos magasins pour en faire autant. La posture d’écoute du Gemba est très importante pour instaurer une relation de co-développement dans le cadre de cette mutation du modèle intégré à la franchise.
Quelle part de ces idées a un potentiel de déploiement à l’international ?
Par exemple, la réduction du recours au plastique dans nos emballages est une stratégie qui s’applique à l’ensemble du Groupe. C’est une bonne pratique que tout le monde a intérêt à mettre en place tout en faisant grandir ses fournisseurs. C’est le cas pour tout ce qui va dans le sens de la RSE, de la longévité contractuelle, des gains de productivité et, d’une manière générale, tout ce qui va dans le sens du partenariat.
L’IA est une opportunité incroyable pour nos équipes, nos fournisseurs, nos clients
Qu’attendez-vous de la digitalisation ?
L’IA est une opportunité incroyable pour nos équipes, nos fournisseurs, nos clients. Nous testons beaucoup de choses en interne et avec nos fournisseurs. Nous avons déployé à l’ensemble des collaborateurs les derniers outils d’IA et nous voyons tous les jours émerger de nouvelles idées d’application. D’ici la fin de l’année, tous les acheteurs Achats Non Marchands seront formés à l’IA, et nous mettons en place des moments d’échanges réguliers pour les collaborateurs sur l’Intelligence Artificielle. Si nous expérimentons de manière très active, nous restons intransigeants sur la cybersécurité, la confidentialité des échanges et la conformité de nos données aussi bien en interne qu’avec nos fournisseurs.
Quel est l’état d’esprit qui règne aujourd’hui au sein de la direction Achats Non Marchands face à toutes ces transformations ?
Nous vivons chez Carrefour une période professionnelle passionnante, portée par une stratégie d’entreprise extrêmement dynamique, des innovations technologiques sans précédent et des défis toujours plus ambitieux. Les attentes envers nos équipes Achats n’ont jamais été aussi fortes, et c’est une excellente nouvelle. Cela confirme que nous ne sommes plus de simples gestionnaires de dépenses, mais de véritables partenaires stratégiques. C’est cette capacité à créer de la valeur, pour le groupe comme pour nos franchisés, qui donne tout son sens à notre engagement au quotidien.