Stratégie ha

Monnoyeur : « Ce projet SI Achats dépasse largement les seuls indicateurs financiers »


Romain Prevost, directeur achats du groupe Monnoyeur décrit sa méthode pour convaincre les BU du groupe d’investir dans le déploiement d’un outil Source to Pay. Un premier pilote est en cours avec l’une des filiales du groupe, beaucoup d’autres devraient suivre. Il sera grand témoin sur l’atelier-débat : « #ROI  : quelle démarche et quels KPI pour défendre un projet e-achat ? », lors des HA Days digitalisation des achats le 4 juin à Deauville.

Romain Prevost, directeur achats groupe. - © D.R.
Romain Prevost, directeur achats groupe. - © D.R.

Pouvez-vous nous présenter la direction achats du groupe Monnoyeur ?

Monnoyeur est un groupe familial, fondé il y a plus de cent ans, présent dans 23 pays avec plus de 9 000 collaborateurs et un chiffre d’affaires de 3,4 milliards d’euros en 2024. Historiquement distributeur de Caterpillar, le groupe propose aujourd’hui des solutions complètes : machines travaux publics et agricoles (Caterpillar, John Deere, Sandvick) et leurs équipements, services de maintenance, digitalisation des chantiers (Autodesk), solutions de géolocalisation et de guidage machine (Trimble) et solutions énergétiques décarbonées.

J’ai d’abord managé la fonction achats chez Bergerat Monnoyeur avant de devenir directeur achats groupe en mars 2023. Matthieu Boutreux m’a rejoint en tant que responsable achats groupe et ensemble, nous avons lancé la structuration de la fonction à l’échelle de Monnoyeur. Notre périmètre couvre environ 550 millions d’euros d’achats, hors achats réalisés auprès de nos commettants (partenaires dont nous avons la distribution exclusive Caterpillar, John Deere, Autodesk…). Il s’agit principalement d’achats indirects, mais aussi d’achats de production dans la mesure où ce que nous achetons est intégré à notre offre et revendu à nos clients.

La direction achats s’appuie aujourd’hui sur une communauté de 28 acheteurs répartis dans huit pays. Cette communauté est au cœur de notre transformation : elle incarne notre volonté de structurer, professionnaliser et faire converger les pratiques achats à l’échelle du groupe.

À mon arrivée, les achats étaient très décentralisés, sans outil ni langage commun, ni pilotage consolidé. Nous avons donc lancé une feuille de route pour structurer la fonction, mutualiser les pratiques et déployer une gouvernance groupe avec un objectif clair : faire des achats un levier de performance collective.

Le SI achats est le socle technique qui rend possible l’alignement sur ces différents leviers

Comment la dimension SI achats s’est-elle inscrite dans votre feuille de route ?

Dès le départ, notre feuille de route achats s’est articulée autour de cinq axes : les équipes, les pratiques, les méthodes, le pilotage et les outils. Le SI achats est le socle technique qui rend possible l’alignement sur ces différents leviers. Il constitue la colonne vertébrale de notre transformation.

Notre objectif était double : structurer une fonction achats performante et créer un cadre de référence partagé à l’échelle du groupe. Pour cela, il était essentiel de mettre en place un outil commun, professionnel et sécurisé, adossé à des processus harmonisés.

Mais un SI achats n’a de valeur que s’il s’appuie sur des données fiables et bien structurées. C’est pourquoi nous avons lancé un chantier de taxonomie achats, avec l’ambition de définir un langage commun pour catégoriser nos dépenses, tous pays et toutes entités confondus.

Cela nous permettra de mieux analyser nos achats, de construire des stratégies par famille cohérentes, et de partager un référentiel unique. C’est cette fiabilisation de la donnée dans notre outil SI Achats qui rendra possible un pilotage efficace, la mutualisation des leviers, et des prises de décision mieux éclairées.

Comment avez-vous choisi votre outil e-achat et sur quel périmètre ?

À mon arrivée, il existait déjà quelques briques communes, notamment autour de la commande et de la facturation, mais l’ensemble restait très fragmenté. Les outils étaient souvent partiels, différents selon les entités, sans cohérence d’ensemble ni continuité dans la chaîne achats.

Initialement, le projet avait été lancé sous l’angle du Procure-to-Receipt, avec un cadrage mené par la DSI. Je me suis associé à la DSI, avec la volonté de repositionner le besoin à un niveau plus stratégique. Mon ambition était claire : faire évoluer la démarche vers un véritable projet de transformation achats, en élargissant le périmètre au Source-to-Contract. Il ne s’agissait plus simplement de digitaliser l’acte d’achat, mais de structurer l’ensemble de la fonction : sourcing, contractualisation, référencement fournisseurs, gestion des risques, jusqu’à la commande, la réception et la facturation.

Cette approche nous a permis de redéfinir un core model achats cohérent, à la fois transverse, robuste et évolutif. Nous avons retenu Coupa comme solution S2C groupe, à l’issue d’une consultation menée conjointement avec la DSI.

Comment allez-vous déployer l’outil dans un groupe aussi décentralisé que le vôtre ?

Nous co-construisons un Core Model achats à travers des ateliers impliquant les principaux métiers : achats, finance, juridique, IT, RSE, Compliance… Ce travail collaboratif nous permet de définir une chaîne complète, d’abord Source to Contract, puis Procure to Receipt, en phase avec nos enjeux opérationnels et notre réalité terrain.

Notre approche n’est pas descendante. Elle repose sur une logique d’adhésion progressive, appuyée par des cas concrets

Pour garantir la cohérence et l’appropriation du modèle, nous avons désigné des Business Process Owners (BPO) pour chacun des volets S2C et P2R. Ils assurent la continuité du cadre de référence, des processus et des règles de gestion dans la durée. Notre filiale Eneria s’est portée volontaire comme entité pilote, avec un kick-off lancé en décembre 2024. La mise en production est prévue pour le dernier trimestre 2025. En parallèle, nous tenons régulièrement informées les autres entités du groupe de l’avancement de ce projet baptisé M-Link, pour qu’elles puissent se positionner selon leur niveau de maturité, leur calendrier et leurs priorités financières.

Notre approche n’est pas descendante. Elle repose sur une logique d’adhésion progressive, appuyée par des cas concrets.

Qui arbitre sur ces décisions d’implémentation ?

Le projet est piloté de façon conjointe entre les équipes achats et IT, avec un fort ancrage métier. Mais l’adhésion des entités repose avant tout sur une logique de conviction.

Les décisions d’implémentation se jouent à plusieurs niveaux. Localement, ce sont les comités de direction des entités qui jouent un rôle clé. Je dialogue directement avec les directeurs généraux et les DAF des BU, pays par pays, pour leur présenter la démarche, le core model, et surtout les impacts concrets sur leur performance.

En parallèle, j’ai aussi embarqué les patrons de pôles, membres du Comex, pour qu’ils portent cette dynamique dans leurs périmètres. Leur soutien est essentiel pour crédibiliser le projet et créer les conditions d’un engagement local plus fort.

L’investissement étant significatif, l’explication du ROI reste un passage obligé

Chaque entité conserve la capacité de challenger l’enrôlement de son organisation dans le planning de déploiement, en fonction de sa maturité, de ses priorités et de ses capacités budgétaires. L’investissement étant significatif, l’explication du ROI reste un passage obligé.

Selon les interlocuteurs, nous ajustons le discours : certains sont très sensibles à la logique de pilotage, d’autres à la simplification opérationnelle, les savings ou encore à la conformité et la maîtrise des engagements. C’est cette capacité d’adaptation qui nous permet de construire une dynamique de déploiement progressive et ciblée.

Comment avez-vous défini le ROI de cet investissement ?

Nous avons voulu construire un ROI crédible, qui puisse parler à la fois aux DAF, aux opérationnels et aux membres du Comex. Pour cela, nous sommes partis des éléments fournis par l’éditeur, de benchmarks mais nous les avons recalibrés avec les entités, en partant de leurs données réelles : volumes, temps passé, modes de traitement, outils existants…

Nous avons ainsi établi une grille de critères commune à tous les pays : gain de productivité, part des achats sous contrat, taux de digitalisation, réduction des coûts de traitement… Chaque indicateur a été challengé avec les DAF locaux, validé, puis consolidé à l’échelle groupe.

Un autre critère important a été le décommissionnement. Dans certaines entités, c’est même ce qui a permis de faire basculer la décision. En remplaçant plusieurs solutions locales - souvent partielles ou obsolètes - par une suite complète et évolutive, nous créons des économies immédiates sur les licences, la maintenance ou les interfaces.

Des hypothèses prudentes, suffisamment conservatrices pour convaincre les DAF, mais démontrant malgré tout que le projet pouvait s’autofinancer à court terme

Nous avons volontairement posé des hypothèses prudentes, suffisamment conservatrices pour convaincre les DAF, mais démontrant malgré tout que le projet pouvait s’autofinancer à court terme. Ce ROI, parce qu’il a été co-construit avec le terrain, a été mieux compris, mieux accepté et plus facilement porté au niveau groupe.

Outre les KPI que vous avez listés, attendez-vous également des bénéfices indirects de ce déploiement ?

Ce projet SI Achats dépasse largement les seuls indicateurs financiers. Il agit comme un levier de structuration et de transformation durable de la fonction achats. Il contribue à uniformiser les pratiques, à clarifier les rôles, et à faire monter en compétence les équipes, dans un environnement historiquement décentralisé.

Le SI Achats devient un appui solide pour piloter nos responsabilités sociales, éthiques et environnementales, de façon concrète

Il nous permet aussi de renforcer notre exigence en matière de conformité, d’intégrer plus systématiquement les critères RSE dans nos processus, et d’avoir une vision plus fiable de nos engagements avec nos fournisseurs. Le SI Achats devient un appui solide pour piloter nos responsabilités sociales, éthiques et environnementales, de façon concrète.

Enfin, il ouvre la voie à une relation fournisseurs plus stratégique, en facilitant l’identification des partenaires clés, le suivi de la performance, et le dialogue autour de l’innovation. C’est un projet qui donne aux achats les moyens de jouer pleinement leur rôle de levier responsable et créateur de valeur pour le groupe.