Quelques règles pour aborder les Achats market-com
Par Mehdi Arhab | Le | Prestations intellectuelles
Une fois encore, l’intelligence collective a fait son œuvre lors du dernier dîner-débat du Club des Managers Achats sur la question de la participation des Achats au calcul du ROI du marketing et de la communication. Plus d’une vingtaine de décideurs achats, aussi bien directeurs que responsables achats de la commodité, ont agité l’assemblée à ce sujet.
Toucher au subjectif, dépasser les a priori, comprendre le langage de la Communication, cerner la nouveauté, appréhender la créativité et lui donner sa juste valeur : pour les Achats, il semble encore bien difficile de définir des métriques fiables sur un sujet qui bouleverse la sensibilité et caresse la notion d’immatériel. Les dépenses de nombreuses entreprises en la matière étant conséquentes, les Achats se constituent, doucement mais sûrement, un historique sur une catégorie achats, au départ Terra Incognita. Pierre-Alexandre Goulmot, directeur des achats de NRJ et président du CMA, l’évoquait en introduction. « Nous sommes sur deux mondes bien différents et toute la difficulté reste de faire converger notre métier et le leur. Et ce n’est pas incompatible, tant que chacun reste sur son métier et s’appuie sur les forces de l’autre ».
Des intérêts et enjeux divergents
Comme l’indique une des convives, les intérêts des Achats et des directions de la communication sont encore bien différents, s’agissant de la prise de risque notamment ou encore d’œuvrer, par exemple, avec de nouvelles agences. Il est en effet ardu de leur faire accepter une mise en concurrence de tiers dont elles ont du mal à se défaire. Lionel Chaumeil, à la tête du groupe éponyme et présent pour l’occasion, rappelle que les deux métiers portent des visions distinctes, mais pas moins complémentaires. « Les Achats tentent d’innover, réaliser des économies et sécuriser les approvisionnements, tandis que la Communication et le Marketing poursuivent des objectifs propres à leurs fonctions. Mais tous doivent servir la performance de l’entreprise ; mutualiser les forces est important », assure-t-il.
Le créatif n’est pas toujours en situation de présenter sa perception et la justifier
Un rôle d’accompagnement
Pour les Achats, pour commencer, il est impératif de cartographier les fournisseurs puis de tenter d’objectiver un ressenti, un jugement. Aux yeux d’un responsable des achats marketing et communication d’un des plus gros annonceurs français, la réussite de l’action des Achats réside dans la réalisation d’un brief ou cahier des charges robuste, en aidant le client interne à formaliser son attente sur le papier. « Le créatif n’est pas toujours en situation de présenter sa perception et la justifier. Nul doute pourtant qu’il connaît son marché, la force créative d’une agence … Il nous faut donc les accompagner en posant un cadre et les aider à travailler sur des grilles d’analyse, en établissant une liste de questions qui leur permettra de faire leur choix face à plusieurs propositions ».
La question du budget
Les directeurs et responsables achats semblent quelque peu hésitants sur la question : faut-il ou non dévoiler le budget lors d’un appel d’offres ? Si aux yeux de Pierre-Alexandre Goulmot cela peut permettre aux agences, à la lecture du brief, de déterminer si la demande est faisable, d’autres ne partagent pas ce point de vue. « Afficher un budget permet aussi d’éviter des désistements de dernière minute », répond une invitée. « Pour les agences, c’est un énorme plus, car cela lui permet de situer le besoin et la demande du client », embraye Antoinette Lemens, déléguée générale de l’ADC (Association des agences design création).
Le temps passé par une agence n’est pas un indicateur fiable, le talent n’a pas de prix
La directrice d’une agence de conseil en création ajoute une suggestion : objectiver les agences sur l’augmentation du chiffre d’affaires, mais non sur le temps de travail accordé pour une campagne. « Le temps passé par une agence n’est pas un indicateur fiable, le talent n’a pas de prix », poursuit-elle.
Le lien entre la valeur de marque et le ROI
Cette dernière regrette par ailleurs le manque de considération et le manque d’investissement dont souffrent les agents créatifs en France, par rapport notamment aux Etats-Unis. « Nous ne valorisons pas assez la création dans ce pays », clame-t-elle. A contrario, de nombreux responsables achats de grands annonceurs français défendent l’idée que la marque est créatrice de valeur. « Pour les grands groupes, il s’agit davantage de maintenir une valeur de marque que de la créer », expose par la suite une responsable achats, d’un acteur industriel du cosmétique pour qui il est délicat, voire impossible de faire le lien entre valeur de la marque et ROI.
Tant que la valeur de l’investissement est supérieure au coût, le débat n’a plus lieu d’être
Garantir un service et un résultat
Pour les acheteurs impliqués sur le market-com, pas question de se braquer sur les coûts, ce serait se tromper de combat. La plus-value des Achats réside dans leur capacité à garantir des coûts, des résultats, sans oublier l’accompagnement du fournisseur et du business partner, ainsi que la qualité de l’agence et la séniorité des profils mis à disposition. « Dépenser plus pour un profil plus qualitatif de directrice artistique s’est largement diffusé sur notre ROI et le développement de notre chiffre d’affaires », explique un directeur des achats. « Tant que la valeur de l’investissement est supérieure au coût, le débat n’a plus lieu d’être », acquiesce un spécialiste de la performance achats.
Il est important de bien s’entendre avec l’agence avec laquelle on travaille, nouer des relations de proximité est nécessaire dans ce milieu
Une relation prescripteur délicate
Pour ne pas être mal perçus dans leur démarche, les Achats doivent veiller à ce que leur action ne soit pas sentie comme une intrusion et une remise en cause de l’expertise de l’opérationnel. Juger du bien-fondé d’une campagne ou lui faire changer d’agence pourrait par exemple être vécu comme un affront et une forme de privation d’un historique de travail fructueux. « Il est important de bien s’entendre avec l’agence avec laquelle on travaille, nouer des relations de proximité est nécessaire dans ce milieu. Il n’est pas question de copinage, mais bien de travailler avec les meilleurs », juge Antoinette Lemans.
Ne pas confondre Communication et Marketing
Les deux métiers étant très différents, avec des quêtes bien distinctes également, ces deux catégories d’achats ne peuvent être abordées de la même manière. Et concernant la famille d’achats communication, les besoins peuvent là aussi être très variés (agence d’évènementiel, agence de communication, achats médias, etc.) De fait, il n’existe pas de solution unique pour les Achats, qui doivent s’efforcer de concevoir des grilles pour faciliter la décision, rationaliser les choix ou encore assurer le volet compliance. « Les profils au marketing et à la communication ne sont pas les mêmes, les deux métiers ne partagent pas les mêmes raisonnements et leurs objectifs et budgets ne sont pas les mêmes, l’ambition du Marketing étant de vendre », développe l’un des convives.