Les directions achat et logistique hospitalières face au défi de l’achat responsable
Par Mehdi Arhab | Le | Environnement
Lors des dernières journées Achat et Logistique organisées par le Resah en décembre dernier, Cécile Lambert, de la direction générale de l’offre de soins et Raphaël Ruano, responsable du programme national d’achats hospitaliers, sont notamment revenus au cours d’une table ronde sur la place à accorder à la décarbonation dans les achats. Ce qui prend les traits d’un impératif demeure toutefois un vrai casse-tête pour les directions achat et logistique qui doivent faire plus, avec moins.
La douzième édition des Journées Achat et Logistique, événement devenu incontournable organisé par le Resah, s’est tenu à la fin de l’année 2023, le 7 et 8 décembre dernier au Beffroi de Montrouge. Ce rendez-vous, qui mêle plusieurs conférences, divers ateliers et des expositions, a été l’occasion d’évoquer la place de l’achat responsable au sein du système de santé. Vaste sujet, d’autant que la vie de l’acheteur hospitalier est loin d’être un long fleuve tranquille. La crise Covid est évidemment passée par là, révélant les failles du système de santé français. Mais les établissements hospitaliers français et leurs directions achat et logistique ont eu le mérite de se mettre en ordre de marche pour encaisser les différentes secousses auxquelles ils ont été confrontés. La chose ne fut pas simple, bien au contraire. Mais le plus dur est peut-être encore à venir. L’Hôpital doit se repenser, ses achats avec. Ils n’auront d’autre choix. Cela pour une raison, qui dépasse bien le seul cadre de la santé : le dérèglement climatique.
La planification écologique, définie par l’État, va mobiliser très fortement les secteurs sanitaire et médico-social et, forcément, les acheteurs hospitaliers. Ces derniers seront peut-être même en première ligne. Mais c’est aussi grâce à eux que l’hôpital pourra redorer son blason et redevenir une fabrique d’excellence. La crise climatique perturbe et perturbera sérieusement le fonctionnement du système de santé. Comment penser la décarbonation de la santé et continuer à offrir des soins de qualité ? Les enjeux derrière cette question sont multiples : baisse des émissions des gaz à effet de serre de 5 % par an jusqu’en 2025, éviter d’épuiser les ressources naturelles … La tâche n’est évidemment pas simple. Mais en réalité, c’est en pensant la transition écologique du secteur que les hôpitaux continueront à dispenser des soins de qualité aux patients. Le secteur de la santé représente aujourd’hui 8 % du bilan carbone national et les achats une immense part. Les médicaments comptent pour 30 % de cette part et les dispositifs médicaux pour 20 %. D’une certaine manière, c’est en pensant la décarbonation que le système de santé regagnera quelques points de vie, sa solidité d’antan.
Concilier performance économique et performance durable avec des contraintes fortes
Lancé au début de la décennie 2010, le programme PHARE, pour Performance Hospitalière pour des achats responsables, devait permettre aux achats hospitaliers de se transformer en profondeur afin d’aider les hôpitaux à réaliser des « économies intelligentes ». En une dizaine d’années, le programme, fondé sur l’adhésion de la communauté des acteurs de l’achat, l’échange de bonnes pratiques et l’appui à des actions métier, a fait ses preuves. La transformation des achats au sein des établissements hospitaliers français est une réalité. Mais tout n’est pas parfait bien sûr. Certains diront que la qualité des soins, qui selon les termes du programme devaient bien entendu être conservée, a baissé. Une chose qui ne peut être imputée au seul programme, mais les restrictions budgétaires imposées aux hôpitaux jouent inévitablement.
La fonction a joué un rôle majeur pendant la crise Covid et constitue depuis de nombreuses années un levier de performance et de transformation tout à fait fondamental
La très forte implication des acheteurs hospitaliers a néanmoins permis de franchir plusieurs paliers, de professionnalisation en premier lieu donc, et a déjà généré, ces dernières années, des gains de performance économique considérables. « Les Achats sont une fonction essentielle pour assurer le bon fonctionnement de l’hôpital. La fonction a joué un rôle majeur pendant la crise Covid et constitue depuis de nombreuses années un levier de performance et de transformation tout à fait fondamental », a rappelé Cécile Lambert, cheffe de service et adjointe de la directrice générale au sein de la direction générale de l’offre de soins (DGOS). Cette dernière a, au regard de la part des achats dans l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre du secteur, rappelé le rôle que jouent et doivent jouer les directions achat et logistique des établissements hospitaliers français. « Elles sont en première ligne pour aider à transformer les pratiques et usages et ainsi participer aux objectifs de décarbonation du secteur et du pays en général », a-t-elle soutenu.
La communauté achats est très investie et est sensible à ce sujet
Raphaël Ruano, responsable du programme national d’achats hospitaliers, lui a emboîté le pas. « La communauté achats est très investie et est sensible à ce sujet », a-t-il assuré, rappelant que de nombreuses expériences et initiatives ont été menées ces dernières années pour aider le secteur à poursuivre sa trajectoire de décarbonation. Reste désormais à accompagner les directions achats et les outiller pour qu’elles puissent agir encore de façon plus profonde. Mais là encore, ces dernières sont soumises à des injonctions qui peuvent paraître contradictoires : générer d’importantes économies tout en misant sur l’achat durable qui peut souvent se révéler coûteux à court terme.
Sourcing local pour accélérer sur l’achat durable et gagner en robustesse sur le temps long
Le sujet des coûts de la transition est bien connu et identifié. Attendre d’avoir un retour sur investissement sur cinq ans peut paraître long pour des établissements soumis à des enjeux de soutenabilité financière importants
Or, le ROI de choix économiquement responsables se voit sur le long terme et pour les établissements hospitaliers, là est tout le problème. Comment tenir bon alors que les restrictions budgétaires se font de plus en plus pressantes ? « Le sujet des coûts de la transition est bien connu et identifié. Attendre d’avoir un retour sur investissement sur cinq ans peut paraître long pour des établissements soumis à des enjeux de soutenabilité financière importants », a concédé Cécile Lambert. « Le surcoût est immédiat, mais cette approche produit des effets économiques bénéfiques sur le moyen terme. Des établissements ont déjà fait la preuve de retours sur investissement », a-t-elle tout de même rassuré en complément.
Le plus important pour les pouvoirs publics étant aujourd’hui d’accompagner et de promouvoir ce type de modèle organisationnel, qui ne peut in fine qu’être bénéfique. L’État devra mettre en place des mesures de soutien pour favoriser ce modèle, avec un fort accent sur les « achats souverains ». « Nous commençons à mettre en place des mesures de compensation à destination des établissements sur le différentiel entre les prix de référence des produits conventionnels et des produits achetés localement, ou, a minima, en Europe. Lorsque la méthodologie sera définitivement posée sur cette logique de compensation, nous pouvons imaginer que nous serons en meilleure position pour soutenir les établissements dans leurs investissements », a expliqué Cécile Lambert.
Il faut se préparer à ce que les tensions s’accroissent très fortement
Et comme l’a rappelé cette dernière, les hôpitaux français doivent demeurer vigilants. « Il faut se préparer à ce que les tensions s’accroissent très fortement, notamment sur les matières premières. La vulnérabilité sur les marchés de l’énergie continuera de se faire ressentir. Pour tenir, les hôpitaux devront privilégier des sources d’approvisionnement locales, diversifier ses sources ». « Il faut se méfier des réflexes historiques et essayer de se projeter dans le temps », a complété Raphaël Ruano, appelant d’une certaine manière les hôpitaux à acheter de la valeur plus que du prix. Mais là encore, l’équilibre est précaire.