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Tendances achats 2024 : Des relations déséquilibrées qui virent aux ententes illicites

Par Guillaume Trecan | Le | Direction ha

Après avoir mis en exergue les relations déséquilibrées subies par les directions achats avec certains fournisseurs et les demandes de hausse de prix non justifiées qui pouvaient en découler, l’étude Tendances Achats 2024 réalisée par le cabinet AgileBuyer en collaboration avec le CNA va un peu plus loin cette année et dénonce la recrudescence de cas d’ententes entre fournisseurs.

Tendances achats 2024 : Des relations déséquilibrées qui virent aux ententes illicites
Tendances achats 2024 : Des relations déséquilibrées qui virent aux ententes illicites

L’étude Tendances Achats créée par le président du cabinet AgileBuyer, Olivier Wajnsztok, se fait fort de prendre le pouls de la fonction achats sur le temps long depuis quinze ans, tout en mettant en lumière chaque année des tendances inscrites dans l’actualité. Cette année - sous l’impulsion notamment d’un comité scientifique de douze directeurs et directrices achats - c’est la question des ententes illicites entre fournisseurs qui crève l’écran. Elle est notamment dénoncée par plus de la moitié du panel (56 %) de 870 professionnels des achats interrogés. Dans quatre secteurs en particulier, la tendance atteinte des proportions affolantes : le BTP (81 %), le secteur Energie et environnement (71 %), le secteur aéronautique et défense (70 %) et l’automobile.

Olivier Wajnsztok et le président du CNA, Jean-Luc Baras entourant les membres du comité scientifique - © Olivier Wajnsztok
Olivier Wajnsztok et le président du CNA, Jean-Luc Baras entourant les membres du comité scientifique - © Olivier Wajnsztok

Un glissement vers l’illicite insidieux

« Il existe des situations déséquilibres que nous avons caractérisées depuis deux ans. Ce déséquilibre grandit à plusieurs niveaux et débouche parfois sur ces situations d’entente », commente Olivier Wajnsztok, qui met en garde contre le caractère insidieux et sournois de cet effet de distorsion des prix : « Le cartel, c’est un poison silencieux ».

Pourtant, on ne peut pas accuser les directions achats de renforcer les phénomènes de concentration puisque, face aux risques de pénuries, le double sourcing s’impose comme une réponse incontournable, citée par 74 % des répondants. Cela n’empêche pas les situations de monopole d’être légions. Elles concernent 67 % du panel.

Nous étions auparavant dans une inflation défensive et nous nous trouvons maintenant dans une démarche plus offensive en matière de réduction de coût

Mais, plus que la crainte des pénuries, qui reflue, c’est la réduction des coûts qui revient au plus haut dans les priorités des directions achats, citée par 77 % du panel, tout comme en 2021, avant une décrue à 55 % en 2022 et 66 % en 2023. « Nous étions auparavant dans une inflation défensive et nous nous trouvons maintenant dans une démarche plus offensive en matière de réduction de coût. C’est normal si l’on tient compte du fait qu’il y a moins de business. La croissance s’essouffle, il faut donc retrouver de la rentabilité », analyse le président du cabinet AgileBuyer.

Le Made in France marque le pas

La courbe du Made in France, en revanche, a suivi une pente inversement proportionnelle à celle de la focalisation sur les réductions de coûts. Montée de 47 % en 2021 à 61 % en 2022, puis 65 % en 2023, elle est retombée à 47 % cette année. « Les risques de rupture sont plus faibles, or le Made in France a été utilisé de manière conjoncturelle pour éviter des ruptures d’approvisionnement ». Le coût du Made in France est perçu comme trop élevé par 22 % du panel et seul 32 % des personnes interrogées considèrent qu’elle ne font pas face à des contraintes lorsqu’elles veulent acheter Made in France. Cependant la proportion des entreprises monitorant cette notion n’a jamais été aussi importante : 38 % en 2024, après 36 % en 2023 et 31 % en 2022.

La tendance qui ne subit pas de fluctuation et continue inexorablement son ascension, c’est celle des risques fournisseurs qui figurent dans les objectifs de 78 % des directions achats du privé et de 71 % de leurs homologues du secteur public, contre respectivement 63 % et 72 % en 2023. La conjoncture économique pourrait faire remonter les risques de défaillance financière des fournisseurs au plus haut, mais c’est pour l’instant le risque géopolitique qui tient le haut du panier ; 70 % des personnes interrogées indiquant que les crises géopolitiques auront un impact sur leurs stratégies d’achats en 2024.

La question est plus de réduire la dépendance à l’égard de la Chine que de s’en affranchir

Cela se traduit notamment par une volonté massive de réduire leur dépendance vis-à-vis de la Chine. « La question est plus de réduire la dépendance à l’égard de la Chine que de s’en affranchir », précise Olivier Wajnsztok. La Chine a beau être qualifié d’usine du monde, 51 % des entreprises veulent réduire leur dépendance à ce pays.

Cette mise en exergue du sujet du sourcing chinois s’inscrit dans la question plus large des relocalisations entreprises sous l’effet des tensions géopolitiques. Ainsi, 45 % du panel se sent poussé à relocaliser du fait de la volatilité de l’environnement géopolitique, contre 37 % en 2023 et 32 % en 2022.

La décarbonation sujet le plus visible des achats responsables

L’autre tendance qui s’affirme sans inflexion ni retour en arrière possible, c’est celle de la décarbonation. La réduction de l’empreinte carbone est ainsi une voie dans laquelle se sont engagées 73 % des directions achats. « C’est l’année de la rupture sur la RSE », affirme Olivier Wajnsztok. Tous les voyants sont en effet au vert et en hausse.

En dépit de la difficulté de l’exercice, de plus en plus de directions achats mesurent également l’empreinte carbone de leurs fournisseurs : 23 % en 2022 ; 33 % en 2023 et 41 % aujourd’hui. De fait, 49 % des directions achats déclarent prendre en compte le critère CO2 dans la sélection de leurs fournisseurs. La décarbonation est d’ailleurs la priorité écrasante des achats responsables, citée comme une priorité par 80 % du panel, bien loin devant les critères de gouvernance (42 %), ou encore l’inclusivité (37 %).