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EDF : « Des stratégies achats au service de nos défis industriels »

Par Guillaume Trecan | Le | Direction ha

Fabrice Gourdellier, directeur des achats groupe d’EDF va pouvoir s’appuyer sur une direction achats complètement réorganisée pour relever le défi de la relance du nucléaire français. Sur les trois ans à venir, les Achats vont notamment œuvrer à mobiliser les compétences externes nécessaires à la construction des futurs EPR2.

Fabrice Gourdellier, directeur achats groupe, EDF. - © D.R.
Fabrice Gourdellier, directeur achats groupe, EDF. - © D.R.

Les Achats d’EDF en chiffres

13 Mds d’€ d’achats négociés (2,8 Mds d’€ aux PME)

Environ 30 000 fournisseurs 

Effectif achats : 800 personnes sur seize sites en France

En quoi a consisté le programme de transformation des Achats d’EDF qui a précédé votre prise de fonction ?

Cette transformation a été opérée entre 2019 et aujourd’hui, dans le but de passer d’un rôle historique d’opérateur d’achats, garant du respect de la commande publique, à un rôle de fonction achats, partenaire de la stratégie d’EDF et de ses métiers, de l’amont jusqu’à l’aval de la consultation. Deux bénéfices principaux en découlent pour les clients internes : plus de performance et un service adapté aux besoins et aux risques propres à chacun de nos métiers. Au niveau des équipes achats, il s’agissait aussi de rechercher la performance achat en simplifiant nos processus, en responsabilisant davantage les acheteurs sur leur plus-value dans leur métier et en développant l’expertise sur les stratégies d’achat par le category management et le partenariat avec les fournisseurs stratégiques. Ce plan de transformation nécessitait également une refonte du système d’information de l’acheteur pour dématérialiser, harmoniser et assurer la traçabilité des actes d’achats. Côté fournisseurs enfin, cette réorganisation permet d’engager une relation plus partenariale, à la fois exigeante et orientée résultat.

Quelle est la feuille de route de cette nouvelle organisation achats ?

Nous devons désormais tirer tous les bénéfices de notre transformation pour être au rendez-vous des défis qui attendent le groupe EDF. Cela implique que nous soyons ouverts et créateurs de valeur. Alors, nous déclinons cette feuille de route en quatre axes : un axe client ; un axe fournisseur ; un axe baptisé « ensemble », qui rassemble le fonctionnement et les compétences de notre direction, et un quatrième axe RSE.

Quel schéma directeur SI Achats a accompagné cette transformation ?

Nous avions initialement un urbanisme SI archipellisé qu’il s’agissait d’unifier, en centralisant à la fois le système d’information et les données achats ou fournisseurs. Nous avons constitué un data lake qui regroupe toutes les données. Nous avons développé en interne un nouvel SI de l’acheteur qui permet d’orchestrer le processus achat de bout en bout. Il est interfacé avec un portail achats basé sur Ivalua, dans lequel les fournisseurs interagissent avec nous. Au-delà des seules données achats, nous rapatrions aussi des données fournisseurs comme les fiches d’évaluation des prestations renseignées par les équipes métiers. Nous pouvons ainsi concevoir notre politique industrielle en tenant compte des relations d’affaires en cours et passées avec nos fournisseurs, de leurs capacités, de leur performance qualité ou sécurité, de leur solidité financière, etc.

Nous devons élargir notre offre d’e-procurement pour permettre aux métiers de gagner en autonomie dans leurs commandes au quotidien

Nous devons maintenant élargir le schéma directeur pour améliorer l’ergonomie des SI au-delà des acheteurs vers les métiers, pour leur donner par exemple une meilleure visibilité sur nos contrats-cadres disponibles. Nous devons aussi élargir notre offre d’e-procurement pour permettre aux métiers de gagner en autonomie dans leurs commandes au quotidien. Nous venons ainsi de franchir le cap de 30 % de commandes effectuées de manière autonome par un utilisateur grâce aux outils d’e-procurement.

Pouvez-vous détailler les nouveaux rôles créés au sein de la direction achats ?

Pour incarner une fonction achat qui met en œuvre des stratégies d’achat au service des défis industriels d’EDF et de relations partenariales de long terme avec sa supply chain, nous avons développé des expertises et savoir-faire précis. Par exemple, nous avons créé des fonctions de responsables fournisseurs stratégiques, de responsables catégorie achats et de business analysts qui les appuient avec des analyses de risques et des bilans chiffrés. Des responsables achats projets ont également été mis en place pour établir et coordonner les stratégies achats propres à nos grands projets, notamment la construction des futurs EPR2. Des fonctions de responsables de compte client ont enfin été créées, ils assurent une relation orientée client avec les directions métier dans la durée.

Comment la filière achats groupe est-elle désormais structurée ?

La direction des achats groupe comprend environ 800 personnes. Cet effectif est stable car, même si la transformation a permis d’optimiser nos processus, les ambitions d’EDF entrainent un fort accroissement du périmètre des achats. L’organisation est structurée avec deux directions stratégie et projets, qui élaborent notre offre de service en amont des consultations. Elles intègrent les responsables fournisseurs stratégiques, les responsables de catégories d’achats et les responsables achats projets. Nous comptons aussi trois directions opérationnelles achats qui effectuent les actes d’achats. Le plus gros des effectifs s’y retrouve, réparti entre le domaine production, le domaine ingénierie et le domaine tertiaire, prestations et IT. Quatre directions supports complètent cette organisation, dont une quinzaine de responsables d’application, des experts contractuels ou encore des business analysts.

En 2022, nous avons signé 13 milliards d’euros d’achats. Ces montants vont très significativement augmenter sur les trois prochaines années

Comment le montant des achats d’EDF évolue-t-il ?

En 2022, nous avons signé 13 milliards d’euros d’achats. Ces montants vont très significativement augmenter sur les trois prochaines années, du fait de l’ambition de relance du programme nucléaire annoncée par le discours de Belfort du président de la République. Celui-ci implique une prolongation possible de la durée de vie du parc existant jusqu’à 60 ans et la construction d’EPR2 : six commandes fermes de réacteurs et l’étude de huit supplémentaires pour le périmètre de la France. Des fonds vont également être investis dans le développement de petits réacteurs nucléaires SMR (Small Modular Reactor). Les seuls achats liés aux six premiers EPR2 représentent des montants très importants, nous lançons les consultations actuellement. Notre volonté de rechercher un effet de série et de standardiser nos équipements nous incite à acheter très en amont de manière groupée pour ces projets, d’autant plus que certains composants prennent plusieurs années à être fabriqués.

Les compétences disponibles ne sont pas encore en nombre suffisant par rapport aux défis de la construction des six EPR2

Quel diagnostic portez-vous sur l’écosystème du nucléaire au moment de lancer ces projets colossaux ?

C’est un sujet clef pour EDF depuis longtemps. La France a arrêté de construire du nucléaire pendant près de vingt années, ce qui n’a pas permis d’entretenir suffisamment les compétences de la filière. Cette situation a été mise en lumière par les difficultés du chantier de Flamanville 3. Alors, mobiliser la supply chain et monter en compétences toute la filière pour réussir les défis du nucléaire ont été au cœur du plan Excell lancé en 2020. Ce sujet est loin d’être clos. Les compétences disponibles ne sont pas encore en nombre suffisant par rapport aux défis de la construction des six EPR2. Tout en étant exigeantes, nos relations avec nos partenaires doivent être inscrites dans la durée. C’est pourquoi nous travaillons à leur apporter plus de visibilité sur notre plan de charge.

Ce n’est pas un changement de culture pour EDF. J’imagine que vous aviez déjà des relations de long terme avec vos fournisseurs ?

Axés sur le respect des processus de la commande publique, nos achats avaient auparavant tendance à favoriser la moins-disance. Nos stratégies actuelles sont conçues pour laisser plus de place aux critères techniques tels que les compétences, la qualité, la sécurité ou la décarbonation. Notre ingénierie contractuelle permet également, notamment dans la vie des contrats de longue durée, de prendre en compte des évolutions et les spécificités de certains utilisateurs.

La nature de notre relation avec les fournisseurs est en effet en train d’évoluer vers un partenariat exigeant et orienté résultat

Cette approche modifie-t-elle en profondeur vos relations fournisseurs ?

La nature de notre relation avec les fournisseurs est en effet en train d’évoluer vers un partenariat exigeant et orienté résultat. Le responsable fournisseur stratégique entretien un dialogue en continu avec le fournisseur et pilote un plan de performance qui implique des revues régulières aux niveaux opérationnel et stratégique pour caler nos priorités, nos ambitions communes et nos plans de charge.

Ce travail est reconnu par les fournisseurs eux-mêmes. A l’automne 2022, la dernière édition du baromètre fournisseurs de la filière nucléaire, créé au lancement du plan Excell, a permis de vérifier que les fournisseurs voient une évolution des relations que nous entretenons avec eux et nous mettent désormais au même niveau que leurs autres donneurs d’ordres.

Les efforts de rationalisation sur les achats stratégiques induisent-ils une évolution du travail des prescripteurs ?

En effet et c’est pour cela que nous avons créé des plateaux de standardisation. Ils réunissent tous les acteurs des différentes ingénieries et de la direction des achats pour unifier les références d’équipements que nous allons acheter. Ces plateaux fonctionnent sur un principe de travail collaboratif que nous appliquons également au sein de la direction des achats groupe depuis notre réorganisation. La création de différents rôles et expertises nécessite en effet qu’ils travaillent ensemble. Ce principe collaboratif s’applique bien sûr aussi aux fournisseurs puisque, dans le cadre de notre dialogue avec eux, nous identifions des propositions d’innovation, de simplification ou de décarbonation qui doivent être prises en compte par les prescripteurs.

Nous devons désormais tirer tous les bénéfices de notre transformation pour être au rendez-vous des défis qui attendent le groupe

Quelle est la feuille de route RSE des Achats ?

Le groupe EDF doit être reconnu et référent sur les achats responsables et durables. Nous avons lancé un plan achats durables il y a un peu plus de six mois, qui renforce notre démarche de décarbonation et d’économie des ressources. Une équipe dédiée travaille sur de nouveaux outils et méthodes, en commençant par identifier treize catégories d’achats prioritaires. Ce travail se fait en lien avec la Direction Impact d’EDF, qui porte la politique RSE du groupe dans son ensemble, ainsi qu’avec les métiers, parce qu’une partie de la solution se trouve dans la prescription.

En 2023, nous voulons pouvoir fixer et communiquer une ambition de décarbonation pour les achats d’EDF

Beaucoup a déjà été fait sur la RSE : le label RFAR nous a été renouvelé pour la troisième fois en 2021, nous avons progressé sur l’intégration des critères santé et sécurité dans nos achats accidentogènes, nous avons développé le travail avec le STPA… En 2023, nous voulons pouvoir fixer et communiquer une ambition de décarbonation pour les achats d’EDF. Nous élaborons des outils de mesure d’empreinte carbone pour pouvoir piloter cet objectif, et les modalités de co-construction d’une trajectoire de décarbonation avec nos principaux partenaires.