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Engie : « Réorganiser les Achats pour renforcer notre capacité à agir globalement »

Par Guillaume Trecan | Le | Direction ha

Aurélia Tremblaye a pris la tête des 14 milliards d’euros d’achats d’Engie en juillet dernier, dans le cadre d’une profonde transformation qui vise à recentrer les forces du groupe. Aux Achats, cela va signifier passer d’une fonction décentralisée à une fonction intégrée, remettre des lignes hiérarchiques pour gérer avec la même efficacité capex, opex, cash et risques.

Aurélia Tremblaye entend recentrer la fonction Achat d’Engie, en particulier son processus achat. - © Stéphanie Lacombe
Aurélia Tremblaye entend recentrer la fonction Achat d’Engie, en particulier son processus achat. - © Stéphanie Lacombe

Comment allez-vous contribuer à la transformation que vit actuellement le groupe Engie ?

Les Achats doivent devenir des business partners au service de la croissance de demain. La stratégie du groupe repose en effet sur un plan de performance qui doit notamment générer 600 millions d’euros d’économies d’ici 2023. Elle est également liée au recentrage de nos activités sur les renouvelables et les infrastructures, sur les géographies où nous sommes déjà bien implantées et sur le passage de 25 Business Units à quatre Global Business Units (GBU). Mon objectif est tout naturellement que la fonction achats contribue à cette feuille de route en dégageant une performance économique proportionnelle aux 14 milliards d’euros d’achats du groupe, permettant ainsi d’investir dans nos GBU.

Pour y parvenir, les Achats seront recentrés autour de quatre piliers, le premier étant le passage d’une fonction achat décentralisée à une fonction achats intégrée. Cela s’accompagne ensuite d’une clarification du mandat des achats, amenés à optimiser les coûts capex et opex, le cash, à gérer les risques et à œuvrer sur toute la chaîne de valeur, notamment en étant contributeurs à l’innovation. Le troisième pilier de la stratégie achats cible la mise en place de process et outils standardisés visant à renforcer la gouvernance, l’exécuter et permettre de gérer proactivement les dépenses. Ce projet SI de digitalisation de notre process achats doit aussi apporter de la valeur au business en simplifiant et en harmonisant nos processus. Enfin, le quatrième pilier est celui des achats responsables déclinés en trois volets : une trajectoire de décarbonisation de la supply chain, la promotion des initiatives permettant des achats plus inclusifs et la volonté de sélectionner des partenaires positionnant les critères ESG au sein de leur stratégie en ligne avec la raison d’être d’ENGIE.

La rationalisation de notre base fournisseurs est un levier de performance important dans la mesure où nous comptons plus de 100 000 fournisseurs

Quels leviers allez-vous privilégier pour dégager de la performance achats ?

La rationalisation de notre base fournisseurs est un levier de performance important dans la mesure où nous comptons plus de 100 000 fournisseurs. Nous devons davantage agir à l’échelle globale afin de bénéficier de la taille du groupe et choisir nos partenaires sur un certain nombre de catégories où nous avons aujourd’hui une approche tactique. Nous devons définir des feuilles de route et être capables de qualifier et d’organiser l’engagement fournisseurs dans des démarches collaboratives. C’est un point crucial pour nos activités, en particulier pour nos business d’avenir que sont les énergies renouvelables avec l’éolien et le solaire où le poids des achats représente un pourcentage important du chiffre d’affaires.

Aujourd’hui, nous sommes très segmentés, et, que ce soit au niveau de la performance économique ou du développement de partenariats, nous avons une réelle opportunité de mieux nous positionner en tant que fonction intégrée ‘One Procurement’ pour favoriser des relations constructives et durables avec un certain nombre de nos fournisseurs. Nous devons nous aligner sur une seule vision Engie, visible et comprise par nos partenaires. En retour, nous devons faire en sorte qu’ils considèrent ENGIE comme un acteur avec lequel il est simple de travailler et qui leur ouvre les portes pour co-innover et développer des activités vertueuses.

Le fait de détacher les six milliards d’euros d’achats d’Equans handicape-t-il votre recherche de performance ?

En se séparant d’Equans, Engie s’est recentré sur quatre métiers clés afin d’y investir davantage. C’est cohérent en termes de business et ça l’est aussi pour les achats. Les achats réalisés chez Equans, en particulier les achats de services, étaient très décentralisés. Sur d’autres catégories d’achats, nous travaillons conjointement avec la direction achats d’Equans de façon à limiter les dyssynergies lorsque nous séparons des contrats, comme nous l’avons fait récemment sur des contrats IT.

Les Achats doivent démontrer qu’ils sont les meilleurs dans l’exécution et qu’ils sont capables de soutenir le business en cadençant les projets pour aller plus vite

Qu’implique le repositionnement des Achats sur le plan de la gestion des compétences ?

Nous devons renforcer l’attractivité de la filière achats pour que les meilleurs profils viennent chez nous, en interne aussi bien qu’en externe, car la complémentarité entre des profils venus des achats et du business est un facteur clé de succès. Nous avons aussi besoin de professionnaliser la filière achats et de développer un certain nombre de compétences pour impliquer nos équipes sur les métiers de demain. Il nous faut en particulier renforcer le leadership des Achats, le positionnement en interne, la manière dont nous abordons les sujets. Les Achats doivent démontrer qu’ils sont les meilleurs dans l’exécution et qu’ils sont capables de soutenir le business en cadençant les projets pour aller plus vite tout en créant des avantages compétitifs.

Nous devons mêler des compétences techniques, des compétences de management de projet et des compétences de savoir-être. Les responsables des business doivent pouvoir nous faire confiance. Les acheteurs ne sont pas seulement un support, ils doivent être engagés dans les résultats et représenter un élément différenciateur.

Nous allons remettre des lignes hiérarchiques aux Achats pour que tous les acheteurs se sentent partie prenante de la stratégie achats du groupe

Concrètement, qu’allez-vous changer dans l’organisation achats ?

Nous allons remettre des lignes hiérarchiques aux Achats pour que tous les acheteurs se sentent partie prenante de la stratégie achats du groupe. Nous allons bâtir une équipe intégrée avec du category management là où cela a du sens et des équipes par plaques géographiques : AMEA (Afrique, Moyen-Orient, Asie), Amérique du Nord, Amérique du Sud et Europe ainsi que des actions mutualisées en France. Enfin, nous allons repositionner notre démarche de centres de services partagés au service de la qualité et de l’efficacité opérationnelle.

Nous allons réorganiser les Achats pour renforcer notre capacité à agir globalement ; cela passe par la définition de standards. Il est très important que les directions opérationnelles sachent ce qu’elles peuvent attendre des différents rôles dans l’organisation achats. Faire cela dans un marché de l’énergie en complète mutation, nous permettra de disposer, demain, d’une fonction forte capable d’accompagner nos business dans leur développement comme l’hydrogène et de s’ajuster de façon bien plus réactive.

Quel est le calendrier et le périmètre de votre projet SI achats ?

Jusqu’ici, nous disposons globalement d’une vision a posteriori et partielle, sur environ 80 % de nos dépenses, en nous appuyant sur un système d’extraction de données à partir de nos multiples ERP. Le choix a été fait de retenir Ariba comme colonne vertébrale de l’ensemble du processus achats. Nous sommes en train de finaliser notre Core Model sur la gestion de panel, la qualification fournisseurs, et les processus Source to Contract et Purchase to Pay. Il commence à être déployé et doit s’étendre aux processus de bout en bout et sur l’ensemble des régions de façon standardisée entre 2022 et 2024.

Le digital et la data sont deux piliers de notre plan de performance afin de dégager des économies et renforcer notre culture de l’excellence opérationnelle. L’enjeu système, outil et processus est ainsi très important dans la transformation du groupe et il implique d’autres fonctions dans leur domaine respectif comme la RH.

Les émissions qui résultent de nos relations avec les fournisseurs représentent aujourd’hui 17 millions de tonnes de CO2

Quelles sont les ambitions de votre programme achats responsables ?

Les équipes achats d’ENGIE ont été pionnières sur ces sujets. Nous nous sommes engagés à ce que 100 % de nos fournisseurs préférentiels prennent un engagement net 0, labellisés SBTI (Science Based Target Initiative). Nous les accompagnons dans cette démarche et nous avons un processus de monitoring pour suivre cet objectif notamment grâce au support de notre filiale ENGIE Impact. Les émissions qui résultent de nos relations avec les fournisseurs représentent aujourd’hui 17 millions de tonnes de CO2.

Nous suivons également le pourcentage de nos achats inclusifs, auprès d’entreprises du secteur du handicap ou de l’insertion. Je suis très honorée d’avoir été nommée sponsor pour ENGIE au sein du groupe dédié aux achats dans le Collectif des entreprises, qui réunit 35 grandes entreprises françaises engagées pour une économie plus inclusive. Nous allons poursuivre notre stratégie d’achats inclusifs afin de contribuer à accroître la valeur sociétale de nos achats, notamment en mesurant la valeur en termes de créations d’emplois. Notre objectif est d’être influenceurs sur le marché fournisseur sur la RSE au sens large. Cela passe par le fait de formaliser notre démarche dans notre processus d’appel d’offres en renforçant le poids de ce critère pour représenter 15 % du choix global sur nos appels d’offres stratégiques, d’engager nos fournisseurs contractuellement et de développer un réseau d’ambassadeurs au sein des différentes équipes achats afin de faire émerger les experts et de diffuser les bonnes pratiques.

PORTRAIT

Aurélia Tremblaye (master achats de l’EM Lyon) a pris ses fonctions de directrice des achats du groupe Engie le 5 juillet. En mai 2021, la direction achats a été rattachée à la direction Finances, Achats et RSE. Elle était précédemment directrice des achats du groupe Atos, au sein duquel elle a évolué pendant quatorze années, après y être entrée en 2006 comme acheteuse software.

 

Les achats d’Engie en chiffres

Chiffre d’affaires groupe : 45 Mds d’€

Montant des achats : 15 Mds d’€ d’achats

La séparation des activités de services dans Equans, rachetée par le groupe Bouygues Construction, représente 6 milliards d’euros d’achats.

Les grandes catégories d’achats d’Engie sont des équipements destinés aux différents métiers du groupe (turbines, panneaux solaires, tuyaux…), de la sous-traitance technique et pour les activités de service du groupe. S’ajoutent à cela les frais généraux, en particulier l’IT, qui représente 1,5 milliard d’euros d’achats par an. La direction achats ne couvre par les achats d’énergie, gérés en interne par une société de trading.

Effectif achats : 900 personnes achats et approvisionnement, dont 400 en France, y compris 80 personnes au sein du CSP achats frais généraux France Belgique de Saint-Ouen (93) et une quarantaine de personnes en équipe achats corporate.

 

Processus achat, Source to Pay, achat responsable, le résumé de la redirection d’Engie :

Engie vise de générer 600 millions d’euros d’économies d’ici 2023, ce qui doit conduire à un changement de son processus achat et le passage d’une fonction Achats décentralisée à une fonction intégrée. Ce changement correspond au premier des quatre piliers de la réorganisation du groupe, se traduisant par la réduction de 25 business units à 4 global business units. L’objectif de cette restructuration est que l’entreprise bénéficie de son poids réel dans ses relations avec son écosystème. Le processus achat est également amené à évoluer via une clarification du mandat des achats et une optimisation des coûts capex et opex. Cela passe par la rationalisation de la base fournisseurs pour gagner en performance économique et développer les partenariats. La mise en place d’un outil standardisé, Ariba, visant le renforcement de la gouvernance et la gestion proactive des dépenses, témoigne également d’une volonté de perfectionnement du processus source to Pay. Enfin, le quatrième pilier concerne les achats responsables. Engie veut mettre en place des actions concrètes de décarbonation alors que les émissions qui résultent de ses relations avec les fournisseurs représentent aujourd’hui 17 millions de tonnes de CO2.