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Naos : « Nos relations avec les fournisseurs ont gagné en transparence »

Par Guillaume Trecan | Le | Direction ha

Stéphane Faustin-Leybach, directeur achats du groupe Naos (Bioderma, Institut Esthederm, Etat Pur) développe les moyens qu’il met en œuvre pour se prémunir des risques de rupture d’approvisionnement. Un sujet particulièrement sensible pour une ETI du secteur cosmétique pharma, en concurrence à l’achat avec des géants industriels.

Stéphane Faustin-Leybach, directeur achats groupe Naos. - © ANNE LAURE PELLIZZARI
Stéphane Faustin-Leybach, directeur achats groupe Naos. - © ANNE LAURE PELLIZZARI

Quel est votre périmètre de responsabilité ?

Je gère les achats du groupe, soit 228 millions d’euros à fin 2022, avec une quinzaine d’acheteurs. Nous sommes rattachés au directeur général industrie et supply chain, mandataire social de Naos les Laboratoires, qui regroupe toutes les usines du groupe. Les achats de production, matières premières, emballages et sous-traitances représentent plus de 60 % de notre périmètre d’achats, ainsi que les opex et les capex.

Depuis plus de dix ans, mon objectif prioritaire est la sécurisation de nos sources d’approvisionnement

Quels sont vos enjeux prioritaires ?

Depuis plus de dix ans, mon objectif prioritaire est la sécurisation de nos sources d’approvisionnement. Vient ensuite la réduction des dépenses, à la fois à travers la recherche d’économies, la sobriété, le redesign to cost, ou encore le redesign to value. Nos trois autres enjeux prioritaires sont le développement durable et l’achat responsable qui est le troisième volet de notre politique achats, puis le SRM et la couverture achats.

Vos difficultés d’approvisionnement ont-elles freiné la croissance de Naos en 2022 ?

Notre croissance a été moindre que prévue sur 2022 par rapport 2021 à cause des pénuries. Nos risques sont en effet importants, car nous sommes à un fort taux de monosource sur nos matières premières. Nous achetons des actifs purs que peu de chimistes savent produire et nos formules sont constituées en moyenne de quinze à vingt composants.

Quelles sont vos armes pour lutter contre ces risques de rupture ?

Principalement les bonnes relations que nous avons développées de longue date avec nos fournisseurs. Ma ligne directrice a toujours été d’entretenir des relations exigeantes et bienveillantes. Cela implique du respect mais aussi une capacité de compréhension en cas de force majeure. De fait, quand la crise est intervenue, nous n’avons pas eu à changer notre façon de travailler avec eux de manière opportuniste. Nous avons aussi organisé des rencontres au niveau de nos dirigeants pour augmenter la dimension stratégique de la relation, ce qui a contribué à sécuriser les achats et la continuité d’activité.

Depuis son site d’Aix-en-Provence, le groupe Naos produit 600 000 unités par jour. - © philippe schlienger
Depuis son site d’Aix-en-Provence, le groupe Naos produit 600 000 unités par jour. - © philippe schlienger

Lorsqu’une matière est en pénurie ou à risque, nous travaillons aussi en interne avec la R&D pour substituer ou modifier des formules. Dans une démarche de sobriété, nous essayons de réduire ou substituer certaines matières sans modifier les propriétés du produit ni son efficacité. Lorsque nous achetons aux chimistes des ingrédients assemblés, nous pouvons aussi envisager de fabriquer cet assemblage nous-mêmes si nous trouvons toutes les matières qui le composent.

Avez-vous pu améliorer votre connaissance de vos dépendances en rang 2 et plus ?

Dans une certaine mesure, ces tensions sont un mal pour un bien car nos relations avec les fournisseurs ont gagné en transparence. Quand ils nous ont annoncé qu’ils ne pouvaient pas nous livrer, nous leur avons demandé des explications. Tandis qu’auparavant l’opacité sur leurs sources était de mise, ils nous ont informés sur l’origine de leurs produits, où ils étaient transformés et d’où ils provenaient. Cela nous permettait au moins de comprendre dans quelle mesure ils étaient concernés par des événements géopolitiques ou climatiques.

Avez-vous des dépendances à certains sourcing lointains ?

Nous sommes peu dépendants de l’Asie et quasiment pas sur les emballages provenant essentiellement d’Europe. Le Covid nous a prouvé qu’en cas de problème, les pays low cost privilégient l’intérêt national, ferment les frontières et, du jour au lendemain, il devient impossible de se faire livrer. En revanche, cette crise m’a révélé l’importance des achats de mes fournisseurs matières premières en Asie et de notre exposition en rang 2 et plus.

Sur certaines matières utilisées en dermatologie, nous sommes en compétition à l’achat avec de grands industriels

Est-ce que pouvez avoir une influence sur leurs stratégies d’achats ?

Avec des fournisseurs comme BASF qui réalise 70 milliards d’euros de chiffre d’affaires et qui est mon partenaire principal, j’ai une influence financière limitée. Sur certaines matières utilisées en dermatologie, nous sommes en compétition à l’achat avec de grands industriels. Notre influence joue principalement sur le fait de s’engager, nous comme eux, dans de nouvelles tendances comme la chimie verte, qui répond à des attentes de consommateurs. Les fabricants s’y intéressent d’autant plus que nous, transformateurs, nous le demandons. Dans la cosmétique nous devons faire face à des réalités intangibles. Ainsi, 60 % à 70 % des matières sont livrées sous forme huileuse et nos fournisseurs utilisent essentiellement de l’huile de palme, quand bien même ils utiliseraient de l’huile de tournesol, nous avions beaucoup de problèmes à en trouver avec la guerre en Ukraine.

Dans quelle mesure les achats contribuent-ils à l’innovation produit ?

Dans notre démarche SRM, nous développons des relations avec des fournisseurs dont les chimies peuvent répondre à une problématique à laquelle aucun produit du marché ne répond. Les commerciaux de nos fournisseurs ont tendance à nous apporter leurs innovations en avant-première et, dès lors qu’elles répondent à nos stratégies d’achats à long terme, nous les mettons en relation avec la R&D et nous organisons des workshops pour voir comment nous pourrions intégrer ces innovations dans nos gammes de produits.

En 2020 lors de la pandémie, c’est grâce à une co-industrialisation avec un fournisseur que nous avons par exemple proposé en un temps record un gel, non pas hydroalcoolique, mais lipo-alcoolique, à base huileuse et non pas aqueuse, qui ne dessèche pas les mains et ne provoque pas de crevasses.

Pour accompagner la décarbonation, nous avons par exemple pour projet, courant 2024, de souffler nous-mêmes certains flacons

Quels sont les projets concrets en matière de développement durable auxquels contribue la direction achats ?

Je suis fervent partisan d’une politique volontaire de décarbonation, sachant que sur notre scope 3 plus de 60 % de l’empreinte vient des achats. Pour accompagner la décarbonation, nous avons par exemple pour projet, courant 2024, de souffler nous-mêmes certains flacons. Le principe est d’acheter des préformes, comme il en existe pour les bouteilles d’eau minérale pour les souffler au dernier moment juste avant de les remplir. Cela nous évitera les ruptures de charge et les transferts en camion et nous permettra, entre autres avantages, d’économiser des milliers de tonnes de CO2. En cinq ans, nous prévoyons aussi de passer toute notre flotte de 200 véhicules à l’électrique ou l’hybride. Nous valorisons déjà plus de 70 % de nos déchets en économie circulaire. Mais nous avons surtout un plan majeur et prioritaire de réduction du plastique. Nous étudions avec nos fournisseurs de nouvelles technologies et nouveaux moules pour réduire de manière significative la quantité de plastique que nous utilisons.

Quelles sont vos marges de manœuvre en matière d’extension du taux de couverture ?

Nous couvrons actuellement plus de 80 % des achats de l’entreprise, mais ils progressent à proportion de notre chiffre d’affaires, d’environ 15 % par an. Nous couvrons 100 % de nos achats de production, notre marge de manœuvre se joue sur les achats indirects de classe B et C. Nous avons désormais 1 500 fournisseurs, contre 2 000 l’an dernier et, notamment pour les achats indirects, nous créons 500 nouveaux fournisseurs par an.

Tous nos achats de production passent par SAP et tous nos achats indirects passent par Naos Store

Où en êtes-vous de la digitalisation de vos achats ?

En 2017, nous avons commencé à développer notre SI achats, que nous avons nommé Naos Store, à partir des modules d’e-procurement d’Oxalys. Nous l’avons déployé en trois lots : les usines, le siège social et les marques, puis progressivement les filiales. Aujourd’hui tous nos achats de production passent par SAP et tous nos achats indirects passent par Naos Store, de la demande d’achats au paiement fournisseur. Depuis, nous avons développé une brique fonctionnelle SRM, qui nous donne, pour chaque fournisseur, le suivi d’activité ; la notation et les contrats. Nous avons aussi rattaché E-attestation à Naos Store pour disposer de tous les documents légaux, avec la plateforme BVD, nous avons aussi la santé financière et bientôt la compliance. Avec Esker, nous avons digitalisé la facturation. Dernièrement, nous venons de signer avec Unite (ex-Mercateo) pour minimiser le nombre de fournisseurs pour tous nos achats de classe C.