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Pour continuer d’exister, les industriels vont devoir revoir leur « stratégie métaux »

Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha

Les métaux accompagnent le développement de l’humanité depuis de nombreuses années. Ils irriguent toutes les filières industrielles, mais ces dernières font désormais face à des risques extrêmement importants. Et pour cause, comme l’ont expliqué Laurence Rimbeuf et Guillaume Pitron au cours d’une table ronde, la concentration de l’industrie minière dans certains pays et la hausse des prix font naître des tensions sur les approvisionnements.

Pour continuer d’exister, les industriels vont devoir revoir leur « stratégie métaux »
Pour continuer d’exister, les industriels vont devoir revoir leur « stratégie métaux »

« Ils sont là », partout, tout autour de nous. N’y voyez surtout pas une référence taquine ou même une moquerie à l’endroit d’une femme politique française bien connue qui s’est hissée par deux fois au deuxième tour des deux dernières élections présidentielles ; il est question ici de métaux. Et oui. Entre le titane, cobalt, le gallium, le lithium, le cuivre, le graphite, le nickel, le manganèse et bien d’autres comme le néodyme, les métaux nous entourent. Ils sont même cruciaux pour le fonctionnement des produits du quotidien : smartphones, écrans d’ordinateurs portables, voitures … Ils se révèlent même indispensables aux nouvelles technologies énergétiques et plus que nécessaires pour engager comme il se doit la transition énergétique, ouvrir la voie vers le 100 % électrique. Ce sont des ressources plus qu’essentielles et, évidemment, extrêmement stratégiques pour tous les industriels dignes de ce nom. Le sujet, forcément, est au cœur de leurs préoccupations.

Une transition encore plus rapide, visant à atteindre le “zéro émission nette” à l’échelle mondiale d’ici 2050, nécessiterait six fois plus d’intrants minéraux en 2040 qu’aujourd’hui

Tous en raffolent et, forcément, la demande explose. Et c’est peu de le dire. Celle-ci pourrait continuer de croître, encore et encore. Mais est-ce vraiment bien raisonnable, à un moment aussi charnière de l’histoire de l’humanité ? Les ressources que nous offrent la géologie sont-elles suffisantes et inépuisables ? Bien sûr que non, et elles se font pour certaines déjà de plus en plus rares et l’impératif de sobriété s’impose. Selon un rapport de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), « un effort concerté pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris signifierait un quadruplement des besoins en minéraux pour les technologies énergétiques propres d’ici 2040. Une transition encore plus rapide, visant à atteindre le “zéro émission nette” à l’échelle mondiale d’ici 2050, nécessiterait six fois plus d’intrants minéraux en 2040 qu’aujourd’hui ». Rien que ça … Avec les impératifs de la décarbonation, les besoins en matière changent du tout au tout. Le cuivre, le cobalt, le nickel, le lithium, le graphite, l’aluminium sont par exemple tout bonnement incontournables pour permettre de produire les batteries et les moteurs des voitures électriques. Les énergies renouvelables, solaires et éoliennes, et les technologies de stockage en réclament aussi énormément.

Des métaux qui seront les sources des (grandes) batailles du futur

La ruée vers l’or ou, plutôt, vers les métaux, n’a donc jamais été aussi marquée. Des métaux, qui semblaient omniprésents, se font aujourd’hui rares ; leur abondance moyenne ayant fortement diminué. En plus d’être stratégiques, ils deviennent critiques. Comment opérer lorsqu’ils se révèlent tout bonnement indispensables à la politique des États, en matière énergétique, mais aussi de sécurité et de défense. La France et l’Europe plus globalement sont des importateurs nets en proie à des situations de dépendance considérables. L’Union Européenne, qui n’extrait que 3 % du volume mondial de métaux, en consomme 20 %. Une différence vertigineuse qui a poussé les institutions à agir. Sous l’impulsion de Thierry Breton, la Commission européenne a dévoilé le Critical Raw Materials Act en début d’année 2023, une réglementation sur les matières premières critiques qui vise à aider les industriels à sécuriser les approvisionnements en métaux critiques. Il fixe notamment des objectifs d’importation, de production relocalisée, de raffinage et de recyclage en la matière.

La Chine a vu les métaux comme un levier de puissance financière et économique

Aujourd’hui, la RDC domine très largement la production de cobalt, l’Australie celui du lithium et pas moins de 37 % du nickel est extrait en Indonésie. Une concentration telle qu’elle peut générer des risques d’approvisionnement très importants. Mais c’est un autre pays qui vient jouer les trouble-fêtes : la Chine qui, au fil du temps, a acquis une position ultra dominante, presque monopolistique. « La Chine s’est positionnée comme l’acteur incontournable et de premier plan sur le marché international des métaux. Cela pèse évidemment sur les chaînes de valeur. Elle extrait et raffine en masse. Elle a vu les métaux comme un levier de puissance financière et économique. Son tissu industriel s’est très largement renforcé depuis les années 1980, prouvant qu’elle veut devenir la puissance industrielle et technologique de référence dans le monde », a expliqué lors d’une table ronde organisée en décembre dernier Laurence Rimbeuf, CEO et fondatrice de Psyché 16, structure qui intervient dans le conseil sur les stratégies de développement des grands groupes du CAC 40.

Une tendance haussière inédite 

Dans le même temps, les pays européens ont fait le choix, politique et industriel, de délaisser leurs activités d’extraction et de raffinage, pour bénéficier de coûts moindres et ne pas se préoccuper des conditions environnementales d’extraction des matières. Un choix plus que discutable, d’autant que le marché s’est très fortement retourné et ne leur est plus du tout favorable. « Cette domination de la Chine sur le reste du monde pose des questions sur les risques internationaux que cela engendrent et sur les risques de rupture sur les chaînes d’approvisionnement », poursuit Laurence Rimbeuf, rappelant que l’Empire du milieu avait annoncé en octobre 2023 des restrictions d’explorations de graphite. 

À cette situation de dépendance de plus en plus visible, un autre élément vient noircir le paysage : la volatilité des prix apparaît comme un vrai sujet. Le pari des pays européens ne s’avère pas gagnant tant les cours ont bondi. La demande mondiale explose ; les ressources se font de plus en plus rares ; la Chine a encore récemment interdit l’exportation de technologies d’extraction et de séparation pour les terres rares dont les pays du Vieux continent sont (ultra) dépendants ; les tensions sur les appros sont caractérisées et, par suite logique, les prix explosent. 

Et ce pour une très large majorité des métaux. Légère éclaircie sur le lithium, dont les prix se négociait entre 5 000 et 8 000 USD de 2010 à 2016, à 17 000 USD de 2017 à 2021 et même 45 000 USD en 2023, qui voit sa valeur dégringoler depuis quelques semaines. Sans doute un signal que, après avoir connu un essor sans commune mesure, le lithium « souffre » d’un marché des véhicules électriques qui n’a pas connu les niveaux de croissance espérés par les constructeurs automobiles. Une aubaine en somme pour ces derniers et pour les industriels qui consomment en masse le métal blanc.

Des devoirs et une responsabilité engagée

Beaucoup parlent de souveraineté industrielle, de relocalisation, mais faut-il encore avoir les matières premières et métaux à disposition

Si la question de la relocalisation se pose et certains projets d’extraction d’envergure, comme celui annoncé par Imerys dans l’Allier, laissent entrevoir une petite embellie, les difficultés sont loin d’être résorbées. « Beaucoup parlent de souveraineté industrielle, de relocalisation, mais faut-il encore avoir les matières premières et métaux à disposition », rappelle Laurence Rimbeuf. Quand les USA remettent les mains dans le cambouis et creusent leur sous-sol, les Européens, privés de mine - la nature est faite ainsi, misent davantage sur le recyclage des matières en fin de vie. Une piste sérieuse pour parvenir à sécuriser ses approvisionnements, mais elle doit encore monter en cadence …

Si l’industrie minière s’est concentrée sur certains gisements et pays, d’autres zones ne demandent qu’à être explorées. Sont-elles nombreuses et faciles d’accès ? Telle est la question. Plus que la question de l’accès à la ressource, c’est aussi celle des dispositifs technologiques qui se posent. Les industriels devront faire de toutes les manières des choix et accepter, tôt ou tard, de réduire leur consommation en métaux et trouver des éléments de substitution afin de réduire leur dépendance. Une approche qui les oblige à revoir leur stratégie d’économie de la matière, de penser le recyclage autrement, au sein même de leur chaîne d’approvisionnement. « La filière va se développer, le recyclage va gagner du terrain. Les industriels devront faire preuve d’intelligence minérale, connaître leur environnement et les nouveaux entrants », pointe Laurence Rimbeuf.

À cela s’ajoute un devoir de responsabilité de leur part, sans même compter « l’inflation réglementaire et législative », a rappelé au cours de la table ronde Guillaume Pitron, journaliste français, spécialiste de la géopolitique des matières premières. La concentration de l’industrie minière dans de nombreux pays peu soucieux des conditions de travail et, plus largement, des réglementations sociales et environnementales occasionnent des situations inacceptables. Par manque de connaissance de leur chaîne d’approvisionnement, les donneurs d’ordre se mettent en danger sur la place publique. Ils doivent à tout prix se réapproprier leur chaîne de valeur. Les associations de défense des droits de l’Homme et de l’environnement s’emparent désormais très largement du sujet, en 2019, l’une d’elle a assigné aux États-Unis Apple, Microsoft, Google, Dell et Tesla, les accusant d’avoir bénéficié et encouragé le travail et l’usage brutal d’enfants dans des mines de Cobalt en RDC. « Il faut que les industriels se responsabilisent sur la question du sourcing éthique, mais cela nécessite d’en connaître sur sa chaîne d’approvisionnement et de remonter très loin dans la chaîne de valeur  », clame Laurence Rimbeuf.