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Club RSE : Comment rendre ses fournisseurs vertueux ?

Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha

Une vingtaine de directeurs RSE et de directeurs achats de grands groupes se sont réunis à l’occasion du dernier club RSE de l’année pour évoquer les bonnes pratiques à adopter pour rendre ses fournisseurs vertueux. Un cross-over extrêmement animé ; le sujet du pilotage de la relation, vaste, étant difficile à adresser.

Club RSE : Comment rendre ses fournisseurs vertueux ?
Club RSE : Comment rendre ses fournisseurs vertueux ?

Rares sont les entreprises qui n’ont pas défini de trajectoire de décarbonation. Or, l’empreinte carbone de beaucoup de donneurs d’ordre est générée en grande partie par leurs fournisseurs. Pour certains, le scope 3 représente même plus de 80 % de leurs émissions carbones. Pour atteindre leurs objectifs, ambitieux qui plus est, ils doivent donc (impérativement) les convaincre de s’engager dans leur sillage, au risque sinon, de ne pas tenir leurs engagements. La question étant, comment les convaincre ? Certains grands groupes, comme Schneider Electric ou encore Engie, épaulent déjà leurs principaux fournisseurs pour qu’ils réduisent leurs propres émissions de CO2.

Pour ce faire, le plus souvent, ils leur procurent des outils dédiés qui les aident à établir et à atteindre leurs propres objectifs de réduction de leur empreinte sur l’environnement. Le groupe Engie a même conclu un partenariat avec Bpifrance et l’Ademe pour permettre à un millier de ses fournisseurs, TPE et PME, de bénéficier du dispositif Diag « Décarbon’Action ». Avant cela, le géant énergétique français avait engagé une démarche exigeante avec ses grands fournisseurs. La totalité de ses Top 250 « Preferred Suppliers » devra en effet être certifiés ou, a minima, s’aligner sur les objectifs SBTI à l’horizon 2030. Pacte PME, association bien connue, a constitué une alliance avec plusieurs grands comptes pour aider plus de 3 000 PME à réduire leur empreinte carbone.

Les PME, un cas à part (ou presque) 

Si les grands groupes disposent de capacités financières et humaines nécessaires et suffisantes pour se lancer dans le grand bain, les TPE et PME ne peuvent pas en dire autant. Pourtant, comme l’ont rappelé certains autour de la table, ce ne sont pas les moins volontaires. Le chemin de la décarbonation peut se révéler (très) sinueux pour elles. Les abandonner à leur propre sort et fonder la relation sur un rapport de force, en leur imposant un choix, pourrait s’avérer totalement contre-productif. La transformation de leurs process et outils industriels réclame des investissements importants, avec des perspectives de rentabilité qui ne se feront sentir qu’après plusieurs années. 

À cela s’ajoutent des exigences diverses, aussi bien à l’échelle nationale qu’à l’échelle européenne, auxquelles les plus petites entreprises, à l’instar des grandes entreprises, doivent (ou devront) se soumettre. Sans accompagnement, impossible donc pour elles de répondre aux exigences, de leurs clients et du législateur. Tout cela demande finalement aux donneurs d’ordres une lourde participation. Mais ils ne peuvent bien entendu pas trinquer pour tous, ni même, pour certains, la volonté d’aider leurs fournisseurs. «  Nous pouvons aider nos fournisseurs jusqu’au moment où la direction financière siffle la fin de la récréation », regrette l’un des convives. Il n’est toutefois pas question pour les convives d’être moins exigeants avec elles, mais plutôt d’être justes et compréhensifs. Cela d’autant que « la barrière d’entrée » RSE peut constituer pour eux un critère de sélection pertinent des plus innovants. 

Outre l’impératif lié à l’urgence climatique, réel bien sûr, les entreprises les plus innovantes et en avance sont celles, comme l’indique l’une des convives, qui sont, le plus souvent, les plus performantes en matière de développement durable. Pour cette dernière, une entreprise qui insiste sur les notions de durabilité environnementale, de responsabilité sociale et sociétale, adopte souvent des méthodes de production respectueuses, maintenant des normes éthiques élevées sur toute sa chaîne de valeur.

Les entreprises les mieux gérées se distinguent par des pratiques socialement et environnementalement vertueuses. Elles sont capables d’innover et d’assurer des financements importants

« Les entreprises les mieux gérées se distinguent par des pratiques socialement et environnementalement vertueuses. Elles gardent leurs collaborateurs, les payent et les traitent comme il se doit. Il est très rare qu’elles ne soient pas bonnes techniquement. Elles sont capables d’innover et d’assurer des financements importants ». L’un des invités, directeur des achats, a abondé dans son sens, évoquant le cas d’un fournisseur stratégique de son entreprise. Basé en Corée du Sud, il se démarque par son savoir-faire technique et la manière dont il traite ses salariés. « La moyenne d’ancienneté est de 19 ans. Les personnes qui travaillent pour ce fournisseur sont heureuses, bien payées et œuvrent dans un cadre agréable. Les outils de production sont à la pointe, ils n’ont aucune raison de partir ».

Mieux collaborer en interne pour innover proprement

Pour ce qui concerne les entreprises dans lesquelles opèrent les convives de la soirée, directions achats et directions RSE se sont rapprochées pour adresser le sujet. L’un des invités, directeur RSE d’un grand industriel français, indique de son côté avoir poussé les Achats et la R&D à « se marier ». « La R&D décide à 80 % pour ce qui est du produit final. Elle donne ses orientations sur le design, les matières et la composition. Il était donc important que la direction des achats resserre avec elle sa collaboration pour mieux piloter le marché fournisseur », fait-il savoir.

Il est impossible de tout gérer en même temps, il est important de prioriser ceux qui sont les plus stratégiques ou alors à risque pour l’entreprise 

Encore faut-il derrière que les acheteurs ne soient pas soumis à des injonctions contradictoires et une pression (permanente) pour réduire les coûts afin d’augmenter sensiblement la marge de leur entreprise. Le tout étant d’être raisonnable et définir ses priorités, car quand bien même ils disposent de grands moyens, les grands donneurs d’ordre ne peuvent mener de front tous les combats. « Il faut commencer par le plus gros bout, adopter des programmes spécifiques et s’y tenir jusqu’à leur réussite. Il est impossible de tout gérer en même temps, il est donc important de prioriser ceux qui sont les plus stratégiques ou alors à risque pour l’entreprise  », expose l’une des convives. 

Agir de la sorte nécessite, parfois, d’acheter plus cher. Si certains donneurs d’ordre parviennent à allier performance économique et performance environnementale dans leurs achats, certains fournisseurs entendent naturellement valoriser, dans leur prix, les efforts qu’ils ont consentis pour monter en gamme. Rien d’illogique en somme.

Pour accompagner les fournisseurs pour qu’ils soient plus vertueux, peut-être faut-il les payer pour qu’ils puissent vivre

C’est aussi en payant ce qu’ils demandent et en temps et en heure que les fournisseurs pourront faire parler leur plein potentiel. Les délais de paiement sont pourtant un vrai sujet, d’autant plus à un moment où les grands donneurs d’ordre ne font pas preuve de toute la bonne volonté du monde en la matière. « Pour accompagner les fournisseurs pour qu’ils soient plus vertueux, peut-être faut-il les payer pour qu’ils puissent vivre », confirme l’un des invités.