Club des managers achats : les achats de prestations intellectuelles, nécessaires et stratégiques
Par Mehdi Arhab | Le | Prestations intellectuelles
Qui dit début d’année, dit retour des Clubs by Républik. Le premier Club des managers achats de l’année portait sur la thématique des achats de prestations intellectuelles et les enjeux qui entourent cette famille. Un sujet qui a particulièrement inspiré les directeurs et responsables achats présents.
À l’ère des grands projets de transformation digitale, les achats de prestation intellectuelle revêtent une importance pour le moins stratégique. Ce type d’achats vient en effet répondre à des besoins spécifiques en termes de compétences et d’expertise. Les projets, de plus en plus nombreux, réclament un savoir, des connaissances pointues et une valeur sans commune mesure pour épauler, souvent et en premier lieu, le service IT. Acheter des « talents » ici et là, et non pas les recruter, est donc devenu un enjeu fondamental pour beaucoup de donneurs d’ordre.
Il en va en effet de la survie de certains de leurs projets en interne. Pour beaucoup d’entre eux, sur les plusieurs milliards d’euros d’achats qu’ils administrent chaque année, la catégorie prestation intellectuelle pèse à elle seule pour, peu ou prou, 10 % à 20 % de leur portefeuille de dépenses. Un taux qui en fait de facto un périmètre stratégique qu’il est indispensable de maîtriser, de bout en bout. Pourtant, dans certaines entreprises, il constitue encore « une chasse gardée de beaucoup de directions générales », explique l’un des convives. Et pour cause, la catégorie « prestation intellectuelle » ne regroupe pas seulement la simple « assistance technique IT », mais aussi les honoraires, les prestations de consulting, des prestations marketing voire de branding agency. Pour beaucoup toutefois, le gros du sujet concerne tout de même le digital et les prestations IT du fait de la multiplicité de SI qui gravitent au sein de leur organisation.
Des profils en (grande) tension …
Du fait des besoins qui explosent et du nombre de projets, la concurrence fait rage et de plus en plus d’entreprises rencontrent de grandes difficultés au moment de sourcer les bons sachants. Ceci quels que soient les compétences et profils recherchés, ou presque. Les business analyst, data scientist, experts en cybersécurité, en informatique, cloud et autres développeurs sont pour beaucoup de donneurs d’ordre les profils les plus demandés. Par conséquent, leurs TJM décollent et l’inflation se fait (grandement) ressentir. Mais ici, les clients ne recherchent pas du prix, mais de la valeur et, surtout, de la disponibilité.
L’étude 2023 menée par le Brapi (Benchmark des responsables achats de prestations intellectuelles) établit que les acheteurs ont réussi à maintenir l’inflation en moyenne entre 2 % et 6 %, mais qu’ils comptent aussi relancer des négociations pour continuer à juguler ces hausses. La maîtrise de l’inflation était d’ailleurs sur cette catégorie l’un des principaux indicateurs de performance de nombreux invités sur l’année 2023. Et si une part des profils d’experts reste pénurique, la demande des donneurs d’ordre est, qui plus est, de plus en plus prononcée. Ils n’ont donc pour beaucoup pas le choix d’autre choix que de chercher les compétences là où elles sont. Mais faut-il encore qu’elles soient disponibles donc.
… Et l’inflation qui vient s’y ajouter
Entre l’inflation et la pénurie de talents, les Achats ont fort à faire. Sur ce deuxième point, cet élément joue en faveur du freelancing. Beaucoup se laissent tenter se laissent tenter par le phénomène. Et désormais les bons profils et les bonnes compétences ne sont plus la propriété exclusive des SSII. C’est d’ailleurs pourquoi de nombreuses directions des achats ont décidé d’ouvrir leur référencement aux freelances. Cela pour des raisons diverses : apporter aux prescripteurs de la variété, leur offrir de l’agilité et plus de flexibilité.
En réalité, au regard des prix exercés par les ESN, recourir à des freelances nous a permis de générer d’importantes économies
L’un des convives, responsable des achats de prestations intellectuelles au sein de son entreprise, dit ne pas souffrir de pénurie des ressources, recourant à une plateforme d’intermédiation. « En réalité, au regard des prix exercés par les ESN, recourir à des freelances nous a permis de générer d’importantes économies », assure-t-il. De ce fait, de nombreux décideurs intègrent de plus en plus la possibilité de faire appel à des profils à haute valeur via du portage salarial et des plateformes d’intermédiation. Certains s’appuient sur des plateformes généralistes bien connues, d’autres choisissent des plateformes spécialisées ou en sélectionnent même plusieurs. D’autres commencent peu à peu à se laisser tenter par un recours à des outils de gestion du type vendor management system. Cette tendance globale se traduit aujourd’hui par une progression significative et globale du chiffre d’affaires de ces dernières, atteignant un peu plus deux milliards d’euros en 2022, contre 680 millions d’euros seulement en 2020.
D’autres convives, à l’inverse de ceux précédemment cités, sont bien confrontés à des problèmes de pénurie et à une hausse galopante des TJM. L’un des responsables achats présent, qui évoque le déploiement d’un nouveau socle de base de données au sein de son entreprise, ne parvient pas à dénicher le nombre de ressources nécessaires pour mener parfaitement le déploiement et paramétrage du projet. Et cela justement parce que les ESN avec lesquelles le donneur d’ordre travaille ne parvient pas à recruter lui-même assez de consultants. « Il y a un vivier manquant », commente-t-il. « Il y a une tension sur le marché qui est importante. La maturité du marché nous rit au nez », embraye l’une des convives.
Gare au délit de marchandage !
Si un prestataire reste longtemps au sein de l’entreprise, c’est que le besoin ou sa connaissance de l’architecture informatique est telle qu’on ne peut s’en séparer. Mais dans ce cas, n’est-il pas plus intelligent d’en faire un salarié ?
Pour attirer dans leurs rangs les meilleurs prestataires, les donneurs d’ordre tentent de faire valoir l’intérêt de la mission, l’image de marque … quand justement d’autres cherchent justement à éviter qu’ils ne s’installent trop longtemps. « Si un prestataire reste longtemps au sein de l’entreprise, c’est que le besoin ou sa connaissance de l’architecture informatique est telle qu’on ne peut s’en séparer. Mais dans ce cas, n’est-il pas plus intelligent d’en faire un salarié ? », se demande l’un des invités. La question mérite en effet d’être posée.
Si le recours aux prestataires externes est une pratique de plus en plus attractive pour les entreprises de toute taille, la question de la sécurisation de la prestation se pose effectivement, notamment du point de vue juridique. Les entreprises ne peuvent pas pourvoir un poste qui réclame une occupation à plein temps par un salarié en faisant appel systématiquement à des freelances. Une telle pratique est d’ailleurs interdite par la loi car elle vise à contourner l’application de la législation sociale. Bien que les risques restent minimes pour les entreprises respectant les conditions légales des recours aux freelances, le travail dissimulé constitue un délit pénal. À cela s’ajoute un autre risque, et pas des moindres, évoqués par l’un des responsables achats : celui de la dépendance économique.
Une catégorie qui se prête bien à l’intégration de critères d’inclusion
Au besoin de trouver les bonnes compétences et à cette envie de maîtriser autant que faire se peut les coûts, nombre de donneurs d’ordre sont portés par leur envie d’intégrer des critères RSE dans leur cahier des charges. Et la catégorie prestations intellectuelles n’y échappe évidemment pas. Ce qui semblait n’être qu’un effet de mode à une époque est maintenant une tendance de fond ; beaucoup d’entreprises imposant depuis maintenant un certain temps des critères RSE, en lien avec la politique groupe, dans leur cahier des charges.
Certaines ont noué des partenariats privilégiés avec des ESAT et veillent à ce que leurs marchés contribuent réellement à l’insertion sociale, des personnes en situation de handicap et autres. Et à l’instar des entreprises dites ordinaires, les ESN de type EA ou ESAT sont en mesure de fournir des prestations de service de qualité et compétitives. Une façon d’opérer qui éloigne des idées reçues, puisque beaucoup de grands donneurs d’ordre cantonnent, encore bien trop souvent, les structures du secteur adapté et protégé aux prestations manuelles, comme le conditionnement ou l’entretien des espaces verts.