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Un clausier pour clarifier les relations startups grands groupes

Par Guillaume Trecan | Le | Consultant

Coline Pont, directrice achats stratégiques groupe et Europe du Sud d’Accor et Laura Castex, associée Gide Loyrette Nouel, reviennent sur l’élaboration de l’outil juridique qu’elles ont contribué à concevoir avec un groupe de travail unissant startups et grands groupes, à l’initiative de French Tech Corporate Community.

Un clausier pour clarifier les relations startups grands groupes
Un clausier pour clarifier les relations startups grands groupes

Il y a deux ans Nicolas Guérin, pilote de la mission French Tech Corporate Community (FTCC) a initié une réflexion pour mieux coordonner les forces des grands groupes et des startups. Plusieurs sujets sont alors identifiés, tels que le cloud souverain ou encore la facilitation des relations commerciales. L’ancien directeur général en charge des nouveaux Business du groupe Accor prend en charge ce sujet au printemps 2020 et sollicite l’aide de Coline Pont, directrice achats stratégiques groupe et Europe du Sud d’Accor.

Le constat d’un fossé d’incompréhension

Le groupe de travail constitué autour d’eux commence par s’appuyer sur une enquête du Hub BPI France sur les relations entre grands groupes et startups qui révèlent un fossé de compréhension entre ces deux univers. A la suite de cette étape, l’équipe du Hub BPI France a mis à jour les datas et développé des nouvelles fonctionnalités sur le Hub Digital, une plateforme de sourcing qualifié, créée en 2018, sur laquelle sont référencées plus de 8 000 startups. Cette enquête fait également ressortir la question sensible de la contractualisation.

Coline Pont, Accor. - © Hermance Triay 2020
Coline Pont, Accor. - © Hermance Triay 2020

Nous avons donc décidé de produire un modèle de contrat synthétisant une vision commune entre grands groupes et startups

« C’est un sujet sur lequel nous butons régulièrement, nous avons donc décidé de produire un modèle de contrat synthétisant une vision commune entre grands groupes et startups. Nous avons commencé à identifier les clauses qui posaient problème, puis nous avons fait appel à Laura Castex, associée au sein du cabinet Gide Loyrette Nouel pour concevoir un clausier qui puisse servir de boîte à outils pour les startups et les grands groupes lorsqu’ils souhaitent négocier ensemble », explique Coline Pont.

Une série d’ateliers de travail entre startups et grands groupes est organisée qui durera dix-huit mois avant de déboucher sur la publication de ce clausier. « Le temps a beaucoup joué dans ce projet. Les 18 mois qu’a pris ce projet nous ont permis de confronter nos points de vue, d’identifier ce qui bloquait, de proposer des alternatives et d’arriver à une acceptabilité des clauses assez élevée tant par les grands groupes que par les startups », constate Laura Castex.

Un clausier, boîte à outil pour diverses situations

L’avocate spécialisée en droit de la concurrence et de la distribution rappelle également l’intérêt d’avoir opté pour un clausier plutôt qu’un contrat-type. « Un seul modèle de contrat serait inadapté aux besoins propres à chaque entreprise, startups ou grands groupes, l’idée était de trouver un outil beaucoup plus flexible », explique-t-elle. « Il est très difficile pour une entreprise qui a défini un modèle juridique d’en dévier. Le clausier aide à franchir cette barrière psychologique, parce que l’on peut y piocher ce dont on a besoin, comme dans une boîte à outil », complète Coline Pont.

L’outil se concentre sur les sujets les plus problématiques mais aussi les plus standardisables. Il prévoit une clause d’exclusivité et de de non-concurrence, une clause sur le respect des délais de paiement et la possibilité de faire appliquer des sanctions en cas de non-respect de la réglementation, une clause sur l’abus de dépendance économique et une clause sur la propriété intellectuelle approchée sous l’angle des brevets.

De nombreux experts que nous avons consultés défendent l’idée que ce risque est purement théorique

Poursuivre le débat sur le risque de dépendance

Sur plusieurs sujets, les réflexions du groupe de travail ont également ouvert un dialogue qui mériterait d’être prolongé, voire élargi. Après avoir été présenté en avance de phase à l’Adra en début d’année 2022, un débat a ainsi été ouvert sur la question sensible de la dépendance économique. « De nombreux experts que nous avons consultés défendent l’idée que ce risque est purement théorique et nous ont invité à nous libérer de la crainte qu’il suscite au niveau des directions achats. C’est un point sur lequel la French Tech Corporate Community veut aller plus loin et proposer des amendements aux autorités compétentes », explique Coline Pont.

Laura Castex, Gide Loyrette Nouel. - © D.R.
Laura Castex, Gide Loyrette Nouel. - © D.R.

Les grands groupes ont tellement processé le traitement des obligations de conformité que leur standard n’est pas adapté à des startups

Des débats ont également été conduits sur les obligations en matière de conformité que les grands groupes imposent à tout fournisseur potentiel sans distinction de taille. « Les grands groupes ont tellement processé le traitement des obligations de conformité que leur standard n’est pas adapté à des startups. De leur côté, les startups doivent comprendre que les grands groupes ont besoin de faire un minimum de vérifications avant d’entrer en relation », conseille Laura Castex.

Nous avons essayé d’adapter ces clauses de limitation de responsabilité à l’enjeu du contrat

Allégé le poids du plafond de responsabilité

Le plafond de responsabilité imposé par bon nombre de grands groupes est un autre sujet sensible sur lequel le groupe de travail voudrait faire avancer les choses. Réciproques ou non, ces plafonds imposent aux fournisseurs d’être responsable jusqu’à une certaine somme - parfois plusieurs millions d’euros - si des préjudices résultent d’un dysfonctionnement de leur produit ou de leur service. De quoi dissuader bon nombre de collaboration sur des innovations, sachant qu’elles contiennent par essence une part d’incertitude que seule une mise sur le marché peut lever. « Dans le clausier, nous avons essayé d’adapter ces clauses de limitation de responsabilité à l’enjeu du contrat ; elle peut être proportionnelle à la valeur du contrat, ou encore à la couverture assurantielle de la startup », explique Laura Castex.

Reste à espérer en effet que la publication de ce clausier ne soit qu’une étape dans un dialogue qui reste à poursuivre pour rapprocher grands groupes et startups. Cette initiative doit en effet rebondir grâce à l’implication de la French Tech, du Hub Bpi France, mais aussi du ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, Jean-Noël Barrot et d’autres acteurs influents intéressés par la démarche, tels que Village By CA ou encore Raise.