Stratégie ha

Association des acheteurs publics : « L’achat public est un levier d’économies substantielles »


Alain Bénard, DGA services à la population de la Communauté d’agglomération de Roissy Pays de France et président de l’Association des acheteurs publics, rappelle que l’achat a tout d’un véritable levier stratégique. Il plaide pour une fonction achat mieux soutenue et pleinement reconnue, d’autant que sa contribution à la réduction des déficits est notable. Il interviendra en qualité de grand témoin sur l’atelier « #Dette : Quel rôle pour les acheteurs publics ? » lors des HA ! Days - Achats publics les 2 et 3 décembre prochains.

Alain Bénard, président de l’Association des acheteurs publics. - © D.R.
Alain Bénard, président de l’Association des acheteurs publics. - © D.R.

Considérez-vous que l’achat public est un levier majeur d’économies ?

En tant que directeur général adjoint des services à la population, mes directions - culture, sport, action sociale et petite enfance - sont pleinement concernées par l’achat public. Je garde de fait naturellement un œil attentif sur ces sujets. J’estime effectivement que l’achat public est un levier d’économies substantielles. Lorsque des économies sont attendues, on y revient sans cesse, mais pour d’autres motifs sans doute désormais. Depuis plusieurs années, la commande publique est fortement orientée vers son verdissement, avec la montée en puissance du « triple R », pour réutilisation, réemploi, recyclage.

L’un des premiers réflexes de l’acheteur aujourd’hui est de questionner ce besoin et de voir si le prescripteur ne dispose pas déjà du matériel

Au-delà des sources d’économies classiques que l’acheteur peut proposer à sa hiérarchie ou à ses élus - massification, recours aux centrales d’achat, optimisation des appels d’offres, sourçage adapté ou autres techniques -, le réemploi et la réutilisation modifient largement les actes d’achats et leurs orientations. Là où, auparavant, un service prescripteur demandait simplement de lancer une procédure pour répondre à un besoin, l’un des premiers réflexes de l’acheteur aujourd’hui est de questionner ce besoin et de voir si le prescripteur ne dispose pas déjà du matériel - ou du mobilier - pouvant satisfaire ce besoin.

Il est essentiel que l’acheteur public soit en phase avec le programme des élus

Cette action est particulièrement visible sur certaines familles d’achats comme le mobilier scolaire, ou les jeux et jouets dans les établissements d’accueil du jeune enfant par exemple. À titre personnel et professionnel, je sensibilise d’ailleurs la direction de la petite enfance et des affaires sociales sur notre budget jeux et jouets pour nos 18 structures de la communauté d’agglomération Roissy Pays de France. Avant de prévoir un achat ou une enveloppe budgétaire, examinons ce qui peut être réemployé, réutilisé ou recyclé. Ce levier génère des économies importantes et répond en même temps à une demande croissante des élus qui souhaitent une commande publique plus verte et alignée avec leurs engagements politiques. Et il est essentiel que l’acheteur public soit en phase avec le programme des élus.

Les recours aux groupements d’achats, aux marchés à bons de commande ou d’autres approches sont de plus en plus répandus. Existe-t-il, selon vous, suffisamment de leviers pour rationaliser la dépense publique via la commande publique ?

Oui, mais sur le terrain, c’est parfois plus complexe. Le groupement de commandes est régulièrement présenté comme un outil d’optimisation. Une intercommunalité peut d’ailleurs être porteuse d’un groupement pour ses membres afin d’optimiser et rationaliser les achats, et obtenir de meilleurs prix. Cependant, lorsqu’une intercommunalité regroupe de nombreuses petites et moyennes communes, non assujetties aux mêmes seuils et procédures formalisées, cela peut créer une forme de paradoxe, économiquement notamment. Le groupement peut se révéler pertinent, mais localement, il peut ne pas convenir. Il peut fermer la porte aux fournisseurs locaux ; remplacer des marchés de gré à gré et achats ponctuels par des marchés récurrents, et ainsi conduire à remplacer un petit commerçant issu du bassin local par une entreprise plus importante extérieure au territoire.

Dans certains cas, des groupements de commandes n’arrivent pas à prospérer dans l’idée. Économiquement, sonnant et trébuchant, l’idée est bonne ; mais au regard du tissu économique local, elle peut être contre-productive.

À mes yeux, les groupements de commandes restent néanmoins l’un des meilleurs leviers, avec les marchés à bons de commande

Les centrales d’achat peuvent aussi apporter des réponses et des sources d’économies mais là encore, cela nécessite réflexion et validation préalable avec l’ensemble des parties prenantes - notamment les élus. À mes yeux, les groupements de commandes restent néanmoins l’un des meilleurs leviers, avec les marchés à bons de commande bien sûr.

Les acheteurs publics disposent donc de leviers concrets pour contribuer à la maîtrise des dépenses. Mais peuvent-ils le faire sans dégrader la qualité du service rendu ?

Bien évidemment, notamment grâce à un allotissement pertinent. L’allotissement est d’ailleurs une obligation dans la commande publique pour les marchés formalisés. Et lorsqu’il est bien construit, en cohérence avec le tissu économique et les capacités de réponse des entreprises, il permet de satisfaire le besoin tout en obtenant les meilleurs prix.

Le meilleur achat est parfois celui que l’on ne fait pas. L’acheteur est donc invité à connaître l’ensemble des biens disponibles dans la collectivité par son inventaire, mais aussi par un sourçage efficace - quand il a les moyens de le faire, et en se tenant informé des innovations. Cela nécessite d’aller sur le terrain, d’aller à la rencontre des entreprises. On ne lance pas un marché d’innovation pour le principe, mais parce qu’un besoin identifié peut être traité par une solution innovante.

Avez-vous un exemple concret d’une collectivité ayant généré des économies significatives grâce à une politique d’achats repensée ?

L’Association des acheteurs publics ne collecte et collationne pas de données pour produire des statistiques ou mettre en avant des collectivités. En revanche, lorsque j’étais en activité à la communauté d’agglomération du Pays de Meaux, nous avions lancé un premier groupement de commandes pour les fournitures de bureau, scolaires et le papier. Avant de le lancer, nous avions recensé les besoins, les attentes des élus et les situations économiques locales afin de préserver l’équilibre des acteurs locaux, ainsi que les habitudes des petites communes peu habituées aux marchés. Le groupement avait très bien fonctionné, avec un allotissement sans obligation, selon les besoins. C’est aujourd’hui plus simple à mettre en œuvre, dès lors que l’acheteur est soutenu par sa direction générale et les élus chargés de la commande publique.

Trois outils sont particulièrement efficaces pour structurer des économies : une cartographie des achats établie par suite de la réalisation d’une nomenclature interne et d’un guide de procédures

Au-delà de cet exemple, trois outils sont particulièrement efficaces pour structurer des économies : une cartographie des achats établie par suite de la réalisation d’une nomenclature interne et d’un guide de procédures. Et il n’est jamais trop tard pour les mettre en œuvre. Les économies ne sont pas forcément immédiates ; mais elles peuvent se concrétiser au bout d’un ou deux ans. Il ne sert souvent à rien d’attendre l’économie aussitôt la procédure lancée.

Au-delà des outils, voyez-vous des évolutions en matière de méthodes ou de gouvernance achat permettant une gestion plus vertueuse des dépenses publiques - voire de la dette publique ?

Cette gestion devient vertueuse dès lors qu’elle est partagée entre élus et administratifs. L’acheteur public souffre parfois d’une image caricaturale : procédurier, contraignant, « empêcheur de tourner en rond », obsédé par le risque de contentieux… C’est quelque peu désolant, puisque, bien souvent, l’acheteur public est plutôt enthousiaste, dynamique, force de proposition. Il connaît les rouages et peut apporter des solutions pragmatiques, à condition d’être soutenu par sa direction générale et l’élu chargé de la commande publique.

Sans élus moteurs et une direction générale impliquée politiquement, l’acheteur reste isolé

Sans ce soutien, les idées auront du mal à se concrétiser et prospérer. L’implication des élus et des directions générales est véritablement essentielle. Si l’acheteur propose, par exemple, de mettre en place un guide interne de procédures après une recommandation de la Chambre régionale des comptes, mais qu’on lui répond : « tu vas encore nous compliquer la vie » ; le projet stagnera. C’est in fine la même chose pour la mise en place du Schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (SPASER). Sans élus moteurs et une direction générale impliquée politiquement, l’acheteur reste isolé. Et sur les objectifs de transition - écologique, sociale ou numérique - cela vaut autant pour le public que pour le privé.

De nombreux acheteurs se plaignent de subir des injonctions contradictoires entre objectifs environnementaux et sociaux et contraintes budgétaires. Observez-vous cela parmi les acheteurs publics ? Comment peut-on concilier performance économique et exigences RSE ?

Cette difficulté existe, indéniablement. Le temps politique n’est pas le même que le temps administratif. De plus, toutes les collectivités n’ont pas les mêmes moyens ni les mêmes sources d’accompagnement et d’aide. Je rappelle que plus de 90 % des quelque 35 000 communes en France comptent moins de 2 000 habitants. Les petites et moyennes communes ont donc besoin d’appui, qu’il provienne de l’État, d’associations comme la nôtre, ou de dispositifs comme les guichets verts. Ces guichets verts constituent une ressource utile pour mettre en œuvre de bonnes pratiques d’achat.

Face à ce décalage entre temps politique et temps administratif, l’acheteur a intérêt à présenter ses dossiers en exposant clairement les conséquences des choix possibles : gains de temps ou de procédure, mais aussi les risques éventuels de qualité moindre si certaines préconisations - de programmistes, maîtres d’œuvre, ou autres experts - ne sont pas suivies. Charge aux acheteurs de présenter l’ensemble des éléments, les tenants et les aboutissants, pour que l’élu puisse décider en toute connaissance de cause.

Si vous deviez formuler une recommandation clé aux décideurs publics pour renforcer l’effet des achats sur la soutenabilité financière, quelle serait-elle ?

Avant toute chose, de se former et de rester au fait de l’actualité réglementaire, technique et pratique. Se former, c’est aller à la rencontre des entreprises, du bassin territorial ; mais aussi, plus classiquement, suivre des formations tant au niveau technique qu’administratif. Il faut également encourager ses collaborateurs à se former pour maintenir un même niveau de connaissance au sein des équipes, c’est primordial. Il faut accepter également de se remettre en question, aller voir ce que font les autres, proches ou plus éloignés. Chaque territoire, chaque acheteur, chaque élu a ses propres idées. Échangeons, comparons, inspirons-nous.

L’acheteur public doit savoir s’adapter. Il faut sans cesse être attentif aux innovations techniques pour parvenir à proposer des pratiques innovantes dans l’action quotidienne ; être en veille juridique également et ainsi suivre l’actualité jurisprudentielle pour adapter nos pratiques aux évolutions - par exemple après une décision du Conseil d’État. Un acheteur bien formé, en veille et ouvert sur ce que font ses pairs, est un acheteur forcément plus performant.

La fonction achat souffre parfois d’une image négative, dans le public comme dans le privé. Est-elle aujourd’hui reconnue comme un acteur de performance durable - au-delà du simple prisme budgétaire - par les décideurs politiques des collectivités ?

Elle l’est de plus en plus, et pour deux raisons assez récentes. La première est politique, avec la création de la commission d’enquête du Sénat en début d’année 2025. Celle-ci a réalisé un travail remarquable d’auditions, d’enquête et formulé 67 propositions intéressantes, qui soulignent l’importance stratégique et politique de l’achat public. La deuxième raison vient des actions de celles et ceux qui font vivre la fonction achat avec enthousiasme. Je pense à nombre d’acheteurs comme Yannick Tissier-Ferrer, qui contribue à démocratiser et désacraliser l’achat public à travers ses romans d’Heroic Fantasy sur le sujet.

Une autre initiative à laquelle je pense : la bande dessinée Je Notifie, qui met en scène le métier d’acheteur public avec humour. En outre, l’Association pour l’achat des services publics, a également publié une BD sur le métier. Beaucoup développent des actions collectives, par le jeu ou par des formats innovants, pour valoriser la fonction.

Toutes ces initiatives contribuent à montrer que l’achat public n’est pas ce que l’on croit et que l’acheteur public n’est pas un administratif fermé, négatif. Il peut être facilitateur, positif et créatif. Grâce à ces actions, l’achat public a changé de couleur. Pas suffisamment encore, mais les lignes bougent. Avec les élections municipales à venir, nous pensons à l’Association que l’achat public a gagné en visibilité et en “petites étoiles”. Et cela tombe bien, la notation, dans l’achat public, nous savons faire.