Stratégie ha

France TV : « L’implication des Achats au niveau de la définition du besoin est un phénomène récent »


Prescillia Blin, responsable achats indirects de France TV explique comment la professionnalisation des achats dans un contexte de fortes tensions budgétaires pour l’entreprise a permis de faire évoluer le triptyque Achats, Prescripteurs et Finance. Elle était grand témoin sur l’atelier-débat « Performance : achats, Métiers et Finance collaborent pour arriver au juste besoin » lors des HA Days Achats indirects des 16 et 17 octobre à Deauville.

France TV : « L’implication des Achats au niveau de la définition du besoin est un phénomène récent »
France TV : « L’implication des Achats au niveau de la définition du besoin est un phénomène récent »

Comment jugez-vous la qualité de vos relations avec les prescripteurs des achats indirects ? Sont-elles suffisamment poussées pour vous permettre de challenger leurs besoins ?

Une des particularités des achats indirects, c’est que bien souvent les prestations que nous achetons sont à destination de plusieurs directions voire de toute l’entreprise, à l’exemple de la restauration, ou des prestations d’intérim ou bien encore des fournitures de bureau. Dans ces cas, il existe de multiples prescripteurs potentiels mais peu sont volontaires pour porter la lourde responsabilité d’un appel d’offres qui impliquera le choix d’un fournisseur pour l’ensemble de l’entreprise. Bien souvent, dans ce type de cas l’acheteur va prendre une part plus importante dans l’élaboration de la stratégie et la conduite de son appel d’offre.

Pour d’autres prestations, mono-prescription comme les travaux ou le FM, les relations sont plus installées et permettent des échanges plus poussés autour du besoin. Nos relations ont beaucoup évolué ces deux dernières années notamment grâce à la valeur ajoutée croissante apportée par la fonction (benchmark, innovation fournisseur…). Nous avons aujourd’hui gagné suffisamment de légitimité pour challenger les prescriptions techniques et acheter le « juste besoin ».

Quelles sont vos relations avec la direction financière ?

Chez France Télévisions, la Direction des Achats est rattachée à la Direction Financière. Nos objectifs sont communs et cela permet un alignement plus aisé lors de nos échanges. La consultation de la Finance en amont et en aval de nos appels d’offre est devenue un véritable réflexe. Les services financiers sont les seuls à disposer d’une vision transverse de la dépense, ils nous permettent en amont de nos consultations de s’assurer de la prise en compte de l’intégralité des services concernés par l’achat et de leurs dépenses respectives. Nous leur soumettons également nos stratégies d’achat pour s’assurer qu’en exécution les business model envisagés soient bien opérationnels.

Durant l’exécution des contrats, la Finance nous remonte également les potentiels dysfonctionnements qu’ils soient au niveau du fournisseur ou bien du business model mis en place. Nous travaillons de concert à la recherche et la mise en place de solutions pour répondre aussi à des objectifs de maitrise du flux (réduction nombre de fournisseurs, simplification rapprochement commande/ facture)

Comment mesurez-vous la performance financière des Achats ?

Pour les achats récurrents nous calculons la performance financière par rapport aux prix du précédent contrat. Dans le cas d’achats ponctuels, nous mesurons la performance économique par rapport au budget initial du prescripteur. Dans les deux cas, nous calculons également la performance achats en comparant le prix final négocié par rapport au prix initialement proposé par le candidat à isopérimètre technique. Les gains négatifs sont aussi pris en compte et permettent de suivre les effets d’inflation sur certaines catégories.

Nous disposons d’un troisième indicateur pour mesurer la non-dépense réalisée à la suite de la redéfinition du besoin

Nous disposons d’un troisième indicateur pour mesurer la non-dépense réalisée à la suite de la redéfinition du besoin. Lors de la création de notre campus, nous avons par exemple revu le besoin en mobilier en proposant de réutiliser une partie de notre mobilier existant. Cela nous a permis de diviser par deux le besoin énoncé par la direction de l’immobilier. En ayant recours à de la seconde main, nous avons encore réussi à générer une économie substantielle. Enfin, en réinjectant notre ancien mobilier non réutilisable dans le circuit de l’économie circulaire, nous avons réussi à récupérer de la valeur sur la matière.

La principale difficulté est le poids des habitudes que nous bousculons en remettant en concurrence les fournisseurs historiques et en challengeant les cahiers des charges

A quelles difficultés êtes-vous confrontés dans le cadre de vos discussions en interne ?

La principale difficulté est le poids des habitudes que nous bousculons en remettant en concurrence les fournisseurs historiques et en challengeant les cahiers des charges. L’implication des Achats au niveau de la définition du besoin est un phénomène récent pour France Télévisions. Le contexte actuel de tension économique nous permet de manière plus aisée de pousser des nouveaux leviers et d’intervenir en amont sur le « juste besoin ».

Dans ce contexte de restrictions budgétaires, comment faire en sorte que « juste besoin » ne soit pas perçu par les prescripteurs comme un synonyme de « moins » ou « moins bien » ?

Nous nous appuyons sur la réalité des chiffres pour factualiser nos recommandations et contrer certaines croyances limitatives. L’analyse détaillée de nos dépenses et de nos factures permet d’appuyer nos stratégies. Lorsque nous avons renouvelé nos contrats de cabinets d’avocats en droit social, les prescripteurs défendaient par exemple la nécessité d’avoir la possibilité de recourir à une grande diversité de cabinets. Mais l’étude de nos dépenses nous a montré que nous n’avions fait appel qu’à 30 cabinets sur les 90 référencés durant les 4 dernières années. Pour la location courte durée de véhicules, en analysant les factures, nous avons identifié qu’une grande partie de la dépense concernant les frais annexes nécessitait d’être encadrée et négociée.

Dans certains cas, nous ne remettons pas en question l’objet de l’achat lui-même mais plutôt la façon d’acheter. Nous avons par exemple dû trouver une solution car les dotations données chaque semestre aux journalistes pour les vêtements qu’ils portent à l’antenne étaient perçus comme un avantage en nature. Dans ce cas, il ne s’agissait pas de challenger l’achat lui-même, mais plutôt la manière d’acheter, en contractualisant avec une société de location de vêtements, qui leur permet de bénéficier d’un service de prêt premium. Cette solution permet de répondre à plusieurs enjeux : réglementaire car les vêtements n’appartiennent plus aux journalistes, pour la même raison à un enjeu environnemental car les vêtements ont été utilisés et le seront à nouveau par d’autres personnes à l’avenir, et bien sûr économique.

Comment les prescripteurs perçoivent-il les gains que les Achats sont susceptibles d’obtenir ?

La perception des gains par les prescripteurs a beaucoup évolué. Précédemment les économies obtenues étaient perçues comme un risque de réduction budgétaire et de dégradation de la qualité de service. Désormais, la recherche d’économies est devenue un enjeu commun notamment grâce à des objectifs d’optimisation de charges externes déclinées au sein de chaque direction. Les opérationnels ont été plus largement sensibilisés sur la contribution de l’optimisation de leurs dépenses à la situation financière de l’entreprise.