Stratégie ha

CNFPT : « Il n’y a pas de mauvais fournisseurs, mais des fournisseurs insuffisamment pilotés »


Pour Franck Barrailler, directeur de l’achat public du Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT), la réussite d’un marché public se joue avant tout au moment de l’exécution dans le suivi des prestataires, essentiel pour garantir qualité, respect des délais et des engagements RSE. Il interviendra en qualité de grand témoin sur l’atelier « #Management : Comment faire progresser la maturité des acheteurs publics ? », lors des HA ! Days - Achats publics les 2 et 3 décembre prochains.

Franck Barrailler, directeur de l’achat public du CNFPT. - © MANUEL ABELLA
Franck Barrailler, directeur de l’achat public du CNFPT. - © MANUEL ABELLA

Pourquoi le contract management et le pilotage de la relation fournisseurs sont-ils, selon vous, indispensables ?

L’exécution d’un marché dure deux, trois ou quatre ans généralement. Ce sont des temps particulièrement longs et qu’il faut appréhender du mieux possible. Je m’interroge toujours sur le fait qu’une grande majorité des élus et les directions générales des services (DGS) en collectivités demandent uniquement de concentrer les efforts sur la préparation et la passation, qui sont pourtant bien plus courtes. Or, il est essentiel de vérifier la qualité de l’exécution : qualité, coûts, délais, RSE …

En outre, des organes de contrôle externes - AFA (Agence française anticorruption), chambres régionales des comptes, Cour des comptes - sont de plus en plus attentifs à ce qui est formalisé quant à l’exécution, afin d’assurer un suivi de prestation qualitative.

Certains prestataires répondent excellemment aux appels d’offres mais exécutent médiocrement les prestations

Avez-vous été confronté à des difficultés d’exécution importantes dans vos précédentes fonctions ?

Oui, et je pense que nous sommes tous dans cette position. Certains prestataires répondent excellemment aux appels d’offres mais exécutent médiocrement les prestations. Les prescripteurs se sentent seuls face aux fournisseurs. Il est absolument nécessaire d’accompagner les prescripteurs, souvent démunis face à un prestataire qui n’exécute pas correctement son contrat.

Diriez-vous donc que le suivi de la performance fournisseurs est aujourd’hui insuffisant ?

Selon moi, il est totalement embryonnaire. Dans la fonction publique territoriale notamment, je vois par exemple très peu de fiches de poste intégrant le suivi de la qualité des prestations et la performance des prestataires. Neuf fiches de poste sur dix cantonnent le juriste de commande publique à des tâches dites classiques au moment de l’exécution, c’est-à-dire au suivi de la sous-traitance, des avenants et de la révision des prix.

Or, les prescripteurs n’ont pas tous la méthode pour suivre de façon précise un contrat et la performance du fournisseur : pas de méthode pour relancer et remettre sur les rails un prestataire via un ordre de service par exemple, pas de méthode structurée pour bloquer une facture lorsque c’est absolument nécessaire, etc.

Ce manque de méthode vient-il d’un cadre réglementaire trop restrictif ?

Pas à mon sens. La réglementation fournit, selon moi, tous les outils pour suivre correctement une prestation, notamment dans les CCAG. Le problème réside avant tout dans le manque de formation des prescripteurs à la bonne application du contrat. Ils ne sont pas formés à l’exécution, ni en formation initiale, ni au sein des collectivités. C’est évidemment un problème.

Et comme évoqué au début de notre entretien par ailleurs, les élus et DG accordent beaucoup d’importance à la sécurisation de la passation, mais très peu à la performance de l’exécution. Les attentes doivent indéniablement être rehaussées en la matière.

Si l’exécution est mauvaise, c’est que le contrat n’a pas été suffisamment suivi et les exigences contractuelles pas suffisamment cadrées

Au Département de Seine-Saint-Denis (CD93), vous aviez créé un Bureau de l’exécution, de l’évaluation et du contrôle interne. Ce type de structure peut-il améliorer le contract management et faire en sorte que les fournisseurs respectent leur engagement.

Je pense qu’il n’y a pas de bons ou de mauvais fournisseurs, mais des fournisseurs insuffisamment pilotés par les ressources amenées à le faire. Si l’exécution est mauvaise, c’est que le contrat n’a pas été suffisamment suivi et les exigences contractuelles pas suffisamment cadrées. C’est pour moi aussi simple que cela. Je pense que directions achats et commandes publiques doivent être partie prenante de l’exécution et la réglementation fournit tous les remèdes pour assurer un bon suivi de l’exécution.

Par exemple, en cas de dysfonctionnement, une solution simple consiste à organiser une revue de contrat avec le prestataire défaillant  ; identifier ce qui a bien fonctionné, ce qui doit être amélioré et mettre en place un plan d’action et, le cas échéant, appliquer des pénalités de retard si la situation est dégradée. Les directions achats ont pour moi toute leur place pour assurer ce pilotage et accompagner les prescripteurs, car suivre la performance contractuelle n’est pas une compétence que tout le monde maîtrise. C’est une dimension, contractuelle, qui réclame de la rigueur et, encore une fois, de la méthode.

Le privé doit-il devenir une source d’inspiration en la matière ?

Peut-être bien, mais il faut aussi dire que certaines collectivités et autres établissements publics à caractère industriel comme la Société des grands projets se sont emparés du sujet et l’adressent de fort belle manière.

Quels profils sont adaptés pour assurer ce suivi de l’exécution ?

Au CD93, les personnes dédiées étaient plutôt des juristes, car ces fonctions exigent une forte dimension contractuelle et juridique. Les CCAG nécessitent la maîtrise de nombreuses règles, clauses contractuelles et procédures, notamment en cas de résiliation ou d’exécution aux frais et risques de la part d’un titulaire défaillant.

Le profil idéal combine compétences juridiques et achats, avec une bonne capacité de négociation. La collaboration avec le prescripteur reste évidemment indispensable : il détient la connaissance technique, tandis que le juriste détient de son côté la compétence contractuelle.

Cela nécessite-t-il une gouvernance spécifique ?

Oui, cela est indispensable à mes yeux. Pour un prestataire performant et efficace, une revue de contrat annuelle peut suffire, avec analyse de ce qui a bien fonctionné et pistes d’amélioration. Pour un prestataire en difficulté, il faut en revanche imaginer un plan de progrès, les indicateurs à remonter et assurer un suivi régulier, avec réunions mensuelles au départ, puis trimestrielles par exemple. C’est une démarche que j’avais mise en place notamment dans mes précédentes fonctions à la Ville de Clamart.

La grande tendance dans les achats publics reste aujourd’hui la simplification et l’achat durable. Pensez-vous que l’exécution des marchés deviendra un sujet central ?

L’achat durable et la simplification sont effectivement présentés comme les grandes tendances. Mais pour moi, l’exécution des marchés revêt la dimension la plus importante. Il me semble que les acheteurs publics français maîtrisent la passation et les risques de cette dimension sont de fait relativement faibles. Pour les juristes, le risque essentiel est celui du référé. Pour le prescripteur ses principales préoccupations sont : qui sera le titulaire du marché et à quelle date les prestations pourront commencer.

En exécution, les risques sont multiples et potentiellement plus graves : qualité, prix, délais, engagements environnementaux et sociaux…

En revanche, en exécution, les risques sont multiples et potentiellement plus graves : qualité, prix, délais, engagements environnementaux et sociaux… Or en ne s’attaquant pas à la dimension exécution, on ne formalise que très peu de choses. Et si on ne formalise rien en exécution, le titulaire du marché est en position de force en cas de recours ou de réclamation.

Et d’ailleurs, comment acheter durable si l’exécution n’est pas maîtrisée derrière…

C’est bien le cœur du problème. Beaucoup de collectivités et d’établissements publics se lancent dans l’achat durable sans mesurer ce que cela implique en termes d’exécution à mon sens. On demande des critères environnementaux et sociaux, mais qui les contrôle derrière au moment de l’exécution ? Au regard du niveau d’implication des collectivités sur l’exécution du contrat, permettez-moi d’avoir quelques doutes sur les niveaux de performance derrière.

Lorsqu’on exige des véhicules de livraison électriques, qui vérifie réellement à la livraison que le véhicule est bien un véhicule électrique ?

Par exemple, lorsqu’on exige des véhicules de livraison électriques, qui vérifie réellement à la livraison que le véhicule est bien un véhicule électrique ? C’est un exemple parmi tant d’autres. Beaucoup inscrivent des engagements dans le cahier des charges, mais s’ils ne sont pas contrôlés en exécution, cela relève finalement du greenwashing. Il n’y a à mes yeux pas assez de cohérence entre les exigences affichées dans le cahier des charges et les contrôles effectués.