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Groupe Beaumanoir : « Le pilotage de la relation fournisseur est un pivot de notre réussite »

Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha

Le groupe Beaumanoir, qui détient les marques Cache Cache, Bonobo, Morgan, Bréal, Caroll et Vib’s, peut compter sur ses gains de maturité en matière de gestion du risque. Pilotée par Matthieu Souillard, la direction des achats a œuvré pour accompagner la croissance du groupe, esquivant les ruptures grâce à une approche bien ficelée. Entretien.

Matthieu Souillard, directeur des achats du groupe Beaumanoir - © D.R.
Matthieu Souillard, directeur des achats du groupe Beaumanoir - © D.R.

Que représente l’organisation achats du groupe Beaumanoir ?

Les achats indirects sont encadrés par six acheteurs spécialisés ; de l’autre côté, les achats directs (textiles) sont assurés par l’équipe « Achats et production », composée d’une vingtaine de personnes, répartis sur des fonctions d’acheteurs bien sûr et aussi de coordinateurs de développement et de production. Nous ne coordonnons pas l’intégralité des achats du groupe, une partie des achats étant faite directement par les marques sur des produits liés aux tendances du moment.

Notre périmètre d’action est donc très large, varié et est animé par la dynamique d’intégration de nouvelles marques, acquises par le groupe depuis quelques années

L’équipe « Achats et production » consolide les achats de trois de nos marques, Cache Cache - l’historique - Bonobo et Bréal, toutes basées à Saint-Malo, siège historique du groupe. Nous comptons également une autre enseigne, Vib’s ; un concept multimarque qui distribue les produits de nos marques bretonnes. Pour celles-ci, nous achetons de la matière, des produits finis et des accessoires. Sur la partie achats indirects, les familles d’achats portent sur les prestations d’aménagement et de travaux des magasins, l’ensemble des services informatiques, des prestations intellectuelles, le marketing, du transport… Notre périmètre d’action est donc très large, varié et est animé par la dynamique d’intégration de nouvelles marques, acquises par le groupe depuis quelques années.

Notre direction achats se caractérise par la recherche de synergies. Il me semble que beaucoup d’organisations achats revendiquent l’utilisation de ce levier, mais au-delà de le dire, il faut être capable de le faire. Les synergies font partie intégrante de l’ADN du groupe Beaumanoir. C’est une vraie force sur laquelle toutes les fonctions supports peuvent s’appuyer et qui nous aide beaucoup dans notre quotidien. Il est évident qu’au regard des crises successives des dernières années, des sujets autour de l’inflation sur les prix des matières premières et des tensions liées à notre supply chain, nos synergies achats nous ont permis de demeurer solide et de maîtriser au mieux nos coûts.

Quel est votre degré de coopération avec C-Log, la filiale logistique du groupe créée en 2002 ?

C-log, qui regroupe l’ensemble de nos entrepôts, que ce soit ceux attachés à la distribution en magasin ou ceux attachés à la distribution e-commerce et qui pilote les activités transport amont et transport aval, est un partenaire de premier plan. Il sert les marques et les équipes achats.

Nous accompagnons les équipes du C-Log sur leurs achats de transport, aussi bien sur la partie amont que sur la partie distribution et notamment sur la partie conteneurs. En tant qu’importateur, le sujet nous a beaucoup animés depuis la survenue de la Crise Covid. Nous avons travaillé en étroite collaboration, au quotidien, pour gérer autant que faire se peut cette problématique et trouver des axes d’optimisation satisfaisants, susceptibles de nous aider à rester efficaces et performants. C’est un pilier de l’entreprise sans lequel nous pourrions l’être.

La géographie de votre sourcing a-t-elle été remise en question par la crise ?

Ce que vivent les acteurs du marché du prêt-à-porter, nous le vivons également. L’ensemble des entreprises du textile porte aujourd’hui un intérêt tout particulier à la question du sourcing grand import et beaucoup désirent rapprocher une partie de leurs sources d’approvisionnement. Il n’empêche que pour notre activité, celle de la mode accessible, nos bassins de sourcing se trouvent majoritairement en Asie. Et cela parce que la filière est en grande partie implantée dans cette région du monde.

Il ne faut pas oublier, à titre d’illustration, que les accessoires, les boutons et une grande partie des matières sont produits et travaillés dans des usines en Asie. De fait, nous sommes amenés à travailler avec des fournisseurs de cette zone géographique. Ils disposent également des ressources qui constituent les matières principales de nos produits, à savoir le coton, la viscose ou encore le polyester.

Notre sourcing penche forcément encore sur ces zones, de manière volontaire et assumée, essentiellement pour des raisons reliées à l’accessibilité de nos prix de vente

Notre sourcing penche forcément encore sur ces zones, de manière volontaire et assumée, essentiellement pour des raisons reliées à l’accessibilité de nos prix de vente. Notre clientèle nous est fidèle aussi pour cette raison, nous ne devons pas l’oublier. Il n’en demeure pas moins que nous gardons historiquement une part d’achats textiles en Europe, en proche import sur le bassin méditerranéen et, bien sûr, en France. Les récentes contraintes sanitaires et géopolitiques nous font regarder davantage la localisation de nos productions dans cette zone.

Nos marques revendiquent aussi le Made in France sur certaines capsules et collections, et même du Made in Saint-Malo, puisque certains de nos pulls sont tricotés dans la commune. Mais à partir du moment où nous positionnons nos marques sur une gamme de prix dite accessible et abordable, le Made in France ne peut être qu’anecdotique. Augmenter la part de nos achats en proche import et dans l’Hexagone n’est pas irréalisable, bien loin de là, cependant eu égard au contexte inflationniste qui touche notre économie, nous devons bien le maîtriser afin de limiter l’impact sur nos prix revient.

Le fret a connu de nombreux désordres et les tensions sur les chaînes d’approvisionnement se sont multipliées. Quelles ont été vos armes pour lutter contre les risques de rupture ?

Pour des questions de réactivité, nous avons fait produire certains vêtements auprès de nos fournisseurs basés sur l’ensemble du bassin méditerranéen. Comme évoqué, notre feuille de route implique que nous achetions une partie de nos produits en grand import et une autre, en proche import. Il nous faut maintenir cet équilibre et nous nous efforçons de le faire, dans le respect, encore une fois, de la maîtrise des prix de revient.

Au demeurant, nous n’avons pas été grandement exposés à des risques de rupture d’approvisionnement, cela pour une raison principale : notre gestion proactive du risque. Le sujet a toujours été pris en compte du fait de l’éloignement de plusieurs de nos fournisseurs et a toujours été très bien animé par nos équipes. Il a bien entendu pris de l’ampleur dans notre stratégie achat depuis la fin d’année 2020.

Nous n’avons pas le sentiment d’être en situation de dépendance vis-à-vis de fournisseurs d’un ou plusieurs pays lointains

Nous n’avons pas le sentiment d’être en situation de dépendance vis-à-vis de fournisseurs d’un ou plusieurs pays lointains. Nous avons, depuis un long moment déjà, travaillé à « équilibrer et diversifier nos risques », en répartissant nos approvisionnements sur différentes zones géographiques. Cela, justement, pour assurer l’alimentation des entrepôts et des magasins du groupe et éviter les ruptures. Accompagnée par notre direction et nos entrepôts, nous avons fait preuve de beaucoup d’anticipation. Cela nous a permis de contrecarrer l’allongement des leadtimes et d’avoir du stock quand le besoin s’en faisait ressentir, notamment lors de la réouverture de nos magasins post-confinement.

De quelle manière les Achats contribuent-ils à l’innovation ?

Nous récupérons les cahiers des charges des équipes styles et des équipes produits de nos trois marques. Derrière, nous opérons le meilleur arbitrage entre les coûts prix d’achat, les délais bien sûr et les niveaux de qualité. Les équipes styles travaillent en profondeur sur les nouvelles tendances et la création de collections les plus séduisantes possibles pour nos clients et clientes. Nous travaillons de notre côté sur l’optimisation des techniques de production et de construction et l’analyse de la valeur des produits, en accord avec les marques.

L’analyse de la valeur et avant cela, du besoin, a été la source d’un travail collaboratif intense entre les équipes offres et achats

L’analyse de la valeur et avant cela, du besoin, a été la source d’un travail collaboratif intense entre les équipes offres et achats, sous l’effet des fortes augmentations des matières en 2022. Il nous fallait à cette période trouver des solutions pour diminuer au minimum nos coûts de revient. L’innovation aux Achats passe donc par cette recherche, aux côtés des fournisseurs, de nouvelles solutions technologiques et techniques, sur les emballages et le packaging notamment. Elle prend aussi forme dans la disruption de certains modèles économiques, plus vraiment adaptés à la conjoncture et à la réalité, en particulier dans les domaines informatiques et e-commerce.

Avez-vous d’autres leviers de performance pour faire face à cette période inflationniste ? 

Le pilotage de la relation fournisseur est un sujet essentiel et un pivot de notre réussite. Nous nous éloignons d’une simple relation transactionnelle et nous nous inscrivons dans une relation de partenariat stratégique avec bon nombre de nos fournisseurs, aussi bien sur les achats textiles que sur la partie achats indirects. Nous travaillons avec certains d’entre eux depuis de nombreuses années et leur avons offert beaucoup de visibilité dans cette période quelque peu perturbée. C’est aussi grâce à cela que nous avons tenu et montré toute notre capacité d’anticipation, en réservant certaines matières et en figeant certaines conditions d’achats. Nous avons également étendu la durée de certains de nos contrats, pour lisser l’impact de certaines augmentations de prix de matière et de l’énergie. 

Quelles sont vos ambitions en matière d’achats responsables ?

La trajectoire sur l’écoresponsabilité de nos matières textiles est toute tracée. Plusieurs typologies de matières sont concernées mais notre priorité s’est dernièrement portée sur le coton. D’ailleurs, nous sommes en bonne position pour atteindre d’ici à la fin de l’année, un taux d’utilisation de coton écoresponsable à 100 %. En plus d’être fixés par la direction générale, ces objectifs répondent parfaitement aux attentes de nos clients finaux. Nous travaillons aussi sur nos emballages, sacs, boîtes et PLV en papier et carton majoritairement recyclée. Sur la partie achats indirects d’ailleurs, nous intégrons désormais dans nos appels d’offres des critères d’écoresponsabilité, qui pèsent de plus en plus - et presque autant que les critères délai, qualité et prix - dans la sélection de nos fournisseurs.

En outre, malgré le contexte inflationniste et l’explosion des coûts, nous avons fait le choix de maintenir nos contrats d’électricité en « énergie verte ». Aujourd’hui, 100 % des magasins Bonobo et de nos sites logistiques sont nourris par de l’électricité verte.