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Club Planète Sourcing : L’inflation, meilleur allié des achats pour bien définir leur budget ?

Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha

Lors du dernier Club Planète Sourcing, une vingtaine de directeurs achats de grandes entreprises françaises ont débattu sur la manière de définir le budget achats par temps d’inflation. Et si l’exercice n’est pas simple, la tendance haussière a eu au moins le mérite de faire réagir les directions achats, qui ont pris le temps de la réflexion pour se réinventer.

Club Planète Sourcing : L’inflation, meilleur allié des achats pour bien définir leur budget ?
Club Planète Sourcing : L’inflation, meilleur allié des achats pour bien définir leur budget ?

L’année 2023 a été celle de toutes les hausses, de tous les records. « Nous avons absorbé des hausses de prix auxquelles nous n’avions jamais fait face  », dit d’emblée l’une des convives. Le début d’année 2024 est quant à lui bien plus calme. Les hausses persistent, mais sont bien moins marquées … Et bien heureusement. Et si en France, les bénéfices et résultats, records là encore, des grandes entreprises ont sans doute représenté une partie de l’inflation à laquelle le pays a fait face. « Les grands groupes du CAC 40 et du SBF 120 se portent extrêmement bien », commente l’un des directeurs achats d’un grand groupe industriel. Un autre embraye : « la France ne s’en sort pas si mal sur l’inflation et quand on a de l’argent, l’inflation est tout de suite plus facile à accepter », indique-t-il. Toutefois, il n’est pas certain que tous approuvent le propos …

Pour le moment, la croissance s’annonce plus que modeste après une année difficile, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances a même indiqué que la puissance publique avait révisé à la baisse ses prévisions de croissance. La demande se ralentit tout comme l’inflation. Les taux d’intérêt, encore extrêmement élevés, ne sont en rien des leviers de relance, pour le moment, encore. À cela s’ajoute, comme le rappelait la cabinet Kyu Associés dans son dernier baromètre des risques supply chain, la demande est en baisse. Et en face des carnets de commande en berne des donneurs d’ordres, les stocks côtés fournisseurs augmentent sensiblement. Et pas qu’un peu. Les premiers sont de fait animés par une priorité : préserver leur marge et maintenir les résultats à des niveaux acceptables, à leurs yeux.

Dans certaines régions du monde dans lesquelles nous opérons, l’inflation est constante. En Argentine elle frôle les 30 %, au Brésil 10 %, de même en Asie. Et les consommateurs y font face, chaque jour

La réduction des coûts, ou du moins, leur limitation, apparaît comme une priorité pour bien des directions achats. Mais alors que l’inflation s’est située entre 5 et 7 %, elles ont dû faire preuve de beaucoup de créativité pour mener à bien leur mission. Et il faut bien avouer qu’elles n’avaient jamais fait face à une situation pareille, ou presque … « L’inflation est (re)devenue une problématique occidentale assez récente. Dans certaines régions du monde dans lesquelles nous opérons, l’inflation est constante. En Argentine elle frôle les 30 %, au Brésil 10 %, de même en Asie. Et les consommateurs y font face, chaque jour », a rappelé l’un des convives. 

L’inflation, une douce et belle habitude 

Voilà qui est dit et qui a le mérite d’être dit. En effet, les grands donneurs d’ordres occidentaux ont oublié que l’inflation est déjà leur quotidien, depuis longtemps. Mais qu’elle apparaissait, au loin. « Nous nous sommes habitués à une inflation inférieure à 2 % pendant trop longtemps. Nous faisons face juste à la réalité des choses et il faut juste apprendre à vivre avec », commente une CPO d’une grande entreprise du secteur bancaire. Ce dernier indique d’ailleurs que les contrats du groupe sont généralement établis sur trois ans et tous contiennent des clauses d’indexation selon différents indices, Syntec et autres. « De fait, nous ne ressentons pas l’inflation dans l’immédiat mais à l’échéance du contrat. Nous ne cherchons pas à réduire les coûts, mais plutôt à limiter l’inflation par rapport à ces indicateurs », poursuit-il. 

L’un des convives, directeur des achats d’un grand groupe industriel, soutient que cette approche est la bonne pour limiter la tendance haussière et sécuriser les contrats de l’entreprise. « S’appuyer sur un point de repère est nécessaire, le tout étant d’être transparent, notamment avec la fonction Finance, ne pas lui cacher la réalité ». Mais cette période est-elle amenée un jour à s’arrêter ? Rien n’est moins sûr dans l’immédiat pour l’un des convives. « Nous ne reviendrons pas à la situation d’avant Covid. Les hausses sont à mes yeux irréversibles, d’autant plus dans situations de mono-source, sur des produits très techniques. Même en y intégrant de la market intelligence, ce n’est pas évident de renégocier avec les fournisseurs. » Si un autre acquiesce, estimant que les risques de rupture d’approvisionnement ou même géopolitiques pourraient bien aggraver la situation, un autre, encore, se montre bien moins alarmiste. « Je suis beaucoup moins catégorique, d’ailleurs les prix de l’énergie baissent et sont moins élevés que prévus », explique-t-il.

Nos équipes se sont rendu compte qu’elles n’avaient pas d’outils à disposition pour bien gérer l’inflation. Il faut les doter d’outils qui les aident à modéliser le budget.

Pour les acheteurs, il s’agit avant tout de renégocier, en décomposant les hausses de prix et en les rationalisant un maximum. Mais est-ce possible et sont-ils vraiment en mesure derrière, via leurs outils, de répercuter les hausses dans les budgets l’évolution des matières premières  ? « Nos équipes se sont rendu compte qu’elles n’avaient pas d’outils à disposition pour bien gérer l’inflation. Il faut les doter d’outils qui les aident à modéliser le budget. Elles ont souvent une vision partielle », regrette l’une des invitées, qui rappelle que certaines hausses des prix pratiqués par des fournisseurs sont totalement déconnectées des réalités économiques. « Le plus important est de payer au juste prix ». « La question n’est pas de réduire les coûts, ni de revenir à la situation pré-Covid, mais bien de contrôler l’inflation et de se projeter correctement  », complète un autre.

L’inflation, une réelle opportunité, vraiment ?

Mais pour bien des convives, l’inflation a tout de même représenté une réelle opportunité de se réinventer et d’affirmer la place stratégique des Achats, au même titre que certaines autres fonctions, dans l’entreprise. « Nous raisonnons enfin en coût total et c’est notable. À une époque, lorsque nous évoquions cette idée, nous étions regardés de haut par certains », expose l’une des invités. « Il faut être clair sur les orientations stratégiques à tenir, la culture d’entreprise, les trajectoires de transition et les investissements sur lesquels nous nous engageons. C’est comme cela que nous prouverons que les Achats sont en mesure de gérer davantage que des budgets, de prouver qu’ils sont en mesure de gérer les risques, d’être agiles tout en délivrant les fondamentaux qui sont les siens  », clame un autre.

Bien des directions achats, représentées au cours du dîner, ont vu en cette période l’occasion de revoir leur process, leur sourcing en recourant au multisourcing, ou encore d’accélérer sur l’intégration d’innovation via une veille permanente. Et ça été l’occasion aussi de rappeler des fondamentaux que certains, au sein de l’entreprise, oublient peut-être un peu. « Un budget achats n’est pas indépendant du budget de l’entreprise. Et d’ailleurs, l’exercice budgétaire est une opportunité unique pour les Achats. Je n’ai, pour ma part, jamais autant pris la parole à ce moment-là en Comex », s’amuse l’un des convives. Une autre lui emboîte le pas. « Ce fut le moment de rappeler que le budget n’est pas un droit à dépenser, le but reste de faire des économies ».