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Cristal Union poursuit sa mue et repense son outil industriel pour verdir son activité

Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha

Alors que ses outils industriels comptent parmi les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre et consommateurs d’eau, le groupe Cristal Union a entrepris un vaste projet de transformation de ses sucreries et distilleries. Un programme qui vise à verdir en profondeur son activité et qui progresse vite. Toutefois, la facture de la décarbonation est gigantesque et les Achats s’investissent en masse pour tenter de l’atténuer. Mais sans l’aide de l’État, le coup d’arrêt pourrait être immédiat.

Cristal Union poursuit sa mue et repense son outil industriel pour verdir son activité
Cristal Union poursuit sa mue et repense son outil industriel pour verdir son activité

Cristal Union, groupe coopératif sucrier, qui commercialise notamment la célèbre marque de sucre Daddy, n’a pas attendu de se faire taper sur les doigts pour s’emparer des enjeux liés à la décarbonation et à la gestion de l’eau. Consciente de son empreinte sur l’environnement désormais, la coopérative, qui a revendiqué 2,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022, a lancé depuis de nombreuses années un vaste plan de transformation de ses outils industriels afin de verdir son activité. Alors que les sucreries et distilleries constituent certaines des usines les plus énergivores du paysage industriel, Cristal Union peut compter sur un atout de choix : la pulpe de betterave. Même après extraction du sucre, elle contient de nombreuses vertus et peut répondre aux enjeux énergétiques du groupe. En effet, grâce à sa combustion, les sucreries pourraient à moyen terme être totalement autonomes en matière énergétique. Une opportunité formidable que le groupe, qui compte dix sites en France, dont huit sucreries, ne veut pas laisser passer. Ainsi, à l’horizon 2050, Cristal Union caresse l’espoir que tous ses sites soient autonomes en la matière. « Nous visons à cette date l’autonomie énergétique », confirme Éric Calvet, CPO de Cristal Union.

Les techniques existent et se sont affinées ; mais le prix à payer est colossal. La coopérative indique avoir investi et devoir investir plusieurs centaines de millions d’euros pour tenir ses objectifs. Avec 2015 pour année de référence, le groupe espère d’abord réduire de 10 % sa consommation d’énergie et de 35 % ses émissions de CO2 d’ici à 2030, tout en arrêtant purement et simplement de prélever de l’eau dans ses sucreries. « Nous nous sommes imposé une feuille de route pluriannuelle des plus ambitieuse en matière de management de l’énergie », relate Éric Calvet. Avec son équipe d’une quinzaine d’acheteurs en central, il couvre chaque année près de 900 millions d’euros d’achats. Leurs dépensent principales relèvent d’achats de fournitures industriels (produits chimiques, etc.), d’énergie, de transport, de divers achats hors production, d’achats de gros entretiens et de packaging ainsi que des capex. Par ailleurs, chaque site compte un responsable achats pour décliner la politique achats groupe localement et piloter les petits achats de proximité.

Refonte des procédés et investissements à gogo 

Nous étions un gros consommateur, désormais nous sommes un gros mobilisateur d’eau. Nous la récupérons aujourd’hui et la mettons à disposition des agriculteurs

Depuis 2015, tous les sites du groupe sont certifiés ISO 5000. Cette certification implique l’amélioration de la performance énergétique des activités de l’organisation. L’activité sucrerie s’étale sur les campagnes de récoltes de betteraves qui durent quatre mois, tandis que l’activité distillerie tourne tout au long de l’année. Une saisonnalité qui impose des techniques différentes et de nombreuses adaptations. « Il a fallu revoir nos process et trouver des réductions de consommation d’énergie pour satisfaire la partie management de l’énergie », décrit Éric Calvet. Entre 2010 à 2020, sur la première phase de son programme, Cristal Union avait déjà réduit de 15 % ses émissions carbones, de 8 % sa consommation d’énergie et de 65 % sa consommation d’eau. « Nous étions un gros consommateur, désormais nous sommes un gros mobilisateur d’eau. Nous récupérons aujourd’hui de l’eau et la mettons à disposition des agriculteurs pour l’épandage et l’irrigation », explique le directeur des achats. 

Après cette première phase, Cristal Union s’appuie désormais sur trois chaufferies biomasse. Une quatrième verra d’ailleurs prochainement le jour. En termes d’achats, l’utilisation de chaufferies biomasse a impliqué un basculement partiel des appros d’énergie vers le bois, au point même que Cristal Union soit devenu « un acteur majeur des achats de plaquettes forestières », révèle Éric Calvet. Désormais, le groupe achète quelque 200 000 tonnes de bois. Le pôle capex a lui été renforcé et pour les investissements les plus importants, le directeur des achats indique qu’il passera vraisemblablement par une organisation en mode projet, afin de mieux répartir les charges de travail. « Nous n’avons jamais connu un tel niveau d’investissement », retrace-t-il. Un expert supplémentaire en achats d’énergie avait également été recruté.

Aux chaufferies biomasses s’ajoute le recours à des chaudières biogaz. Outre la méthanisation de matières végétales, Cristal Union a en effet développé une technique novatrice de méthanisation des eaux d’effluents. Celle-ci a dans un premier temps été éprouvée sur la sucrerie du groupe de Fontaine-le-Dun, en Normandie. « En faisant fermenter ces eaux dans lesquelles il reste un peu de sucre, nous récupérons du biogaz. Cela représente aujourd’hui 7 % des consommations de gaz du site. Une autre partie de cette eau est elle aussi réinjectée dans l’agriculture », explique le directeur des achats. Largement satisfait par son expérimentation, Cristal Union envisage de déployer progressivement ce dispositif sur tous ses autres sites.

Cette manière d’opérer, en étalant nos projets sur le temps long, nous permet de rechercher des partenariats, d’avoir des perspectives

De leur côté, avec de tels objectifs et projets lancés à court, moyen et long terme, les Achats parviennent à mieux s’articuler avec la R&D, à se projeter et favoriser la standardisation d’achats d’équipements ainsi que leur massification. L’implication de la direction n’a eu de cesse de croître, notamment dans la mobilisation et l’intégration d’innovations fournisseurs. « La massification est une chose difficile à construire sur des achats de ce montant et pour ce type de matériel. Mais cette manière d’opérer, en étalant nos projets sur le temps long, nous permet de rechercher des partenariats, d’avoir des perspectives et de réfléchir comme il se doit à ce que nous achèterons, avec une forte maîtrise des procédés industriels », salue Éric Calvet.

L’État pour tenir la cadence 

Pour parvenir à ses fins, l’autonomie énergétique donc, Cristal Union a récemment mis un nouveau coup d’accélérateur. La coopérative ambitionne de faire de l’une de ses plus importantes sucreries, celle d’Arcis-sur-Aube, la toute première sucrerie-distillerie autonome en matière énergétique avant 2030. Un projet qui ressemble à ce qui se fait déjà dans l’industrie sucrière de canne. Cristal Union va pour cela remplacer les trois chaudières au gaz du site par une nouvelle chaudière vapeur à haute pression, d’une puissance de 130 mégawatts, alimentée par des pulpes de betteraves séchées, du bois et du biogaz. Plus de 80 % des besoins en gaz pourraient être ainsi couverts, les 20 % restants auront été « effacés » grâce à une politique de sobriété énergétique. « Nous aurions pu, comme beaucoup d’acteurs industriels, se fonder sur l’électrification massive, mais nous avons fait un autre choix. Avec la betterave, nous disposons du sucre qu’elle contient, mais aussi de sa pulpe qui est réutilisable. C’est un avantage technique certain », décrit Éric Calvet. Selon le groupe, une part de pulpe de betterave pourrait être également employée pour l’alimentation animale.

Un schéma d’autonomie énergétique somme toute novateur, mais qui réclame donc des investissements massifs que Cristal Union ne peut assumer seul, quand bien même sa capacité d’autofinancement est solide. Le groupe l’a d’ailleurs fait savoir avec transparence, espérant entre les lignes une aide consistante de la puissance publique. « Construire des unités de combustion de poussières de pulpes nécessite plusieurs centaines de millions d’euros. Il est évident que nous aurons besoin d’aide pour respecter ce rythme de transformation et de décarbonation », conclut Éric Calvet.