Le voyage d’affaires revient sur le devant de la scène et se transforme
Par Mehdi Arhab | Le | Mobilités
Le baromètre Epsa sur les voyages d’affaires confirme une nouvelle fois que le secteur surfe sur une excellente dynamique. Un redressement déjà constaté en 2023 et qui devrait se poursuivre dans les mois qui viennent.
Le voyage d’affaires est bien de retour aux affaires. Le jeu de mot prête à sourire mais c’est bien une réalité. Le baromètre EPSA sur les voyages d’affaires, présenté dans le cadre de l’IFTM Top Resa 2024, confirme que le secteur reprend bel et bien des couleurs et fait preuve d’une étonnante force. En effet, alors que le contexte macro-économique est marqué par de nombreuses incertitudes (dette publique élevée, croissance molle, changements climatiques), le voyage d’affaires démontre une étonnante stabilité. Et ce n’était pas gagné après deux années franchement difficiles en 2020 et 2021, du fait du ralentissement - voire de l’interruption totale - de l’activité. Mais un fort rebond avait déjà été observé en 2022 dans l’environnement des voyages d’affaires.
Et la tendance se confirme encore donc. Bonne nouvelle pour le secteur et ses professionnels qui ne cessent de redoubler d’efforts. Pourtant, le paysage du voyage d’affaires a été quelque peu modifié. Une réorganisation importante a notamment touché le monde de la distribution aérienne. Les compagnies aériennes ont décidé (ou presque) d’imposer leurs règles. Afin de réduire leur dépendance vis-à-vis des agences spécialisées et des Global Distribution Systems (GDS), beaucoup ont décidé d’imposer un surcoût aux entreprises si elles n’utilisent pas le canal de réservation mis en place par leur soin. Dernier en date à avoir fait un tel choix : Air France qui, à partir du 1er janvier 2025, imposera un surcoût de 24 euros à toute entreprise qui n’achètera pas ses billets d’avions si elles n’utilisent pas le nouveau canal de réservation (le NDC) mis en place par la compagnie nationale.
Des surcoûts importants à prévoir
La pratique n’est pas nouvelle et nombre d’entreprises y sont familières, puisque la Lufthansa, la chose existe depuis 2015. La compagnie aérienne allemande a été la première à opérer cette bascule. Elle continue toujours de monétiser la distribution. Il faudra ainsi désormais débourser 2€ de plus par dossier de voyage pour accéder à l’intégralité du contenu. Un choix osé, qui n’est pas du goût de tout le monde et qui peut se révéler contre-productif, en témoigne l’exemple d’American Airlines. Le géant des airs américain avait lui aussi adopté une approche extrêmement offensive il y a quelques années, avant de faire machine arrière. La cause ? Une perte colossale de plus d’un milliards de dollars à cause de la fuite de nombre de ses clients. Ses canaux de distribution exclusifs n’avaient visiblement pas séduit la demande.
Mais ce type de taxe n’est pas la seule à pointer le bout de son nez. La Lufthansa a annoncé l’introduction d’une surcharge écologique en 2025 pouvant atteindre 72€. En France, l’intégration obligatoire de biocarburants aériens, imposée progressivement par l’État (2 % en 2025, 5 % en 2030), laisse à penser que des hausses de prix sont à prévoir. Les coûts du transport aérien continuent en somme d’augmenter, mais moins rapidement que dernièrement. Selon Epsa, les très fortes inflations à 2 chiffres qui ont marqué 2022 et 2023 semblent révolues.
En France, sur les vols domestiques, l’inflation est estimée à 9,8 % sur le 1er trimestre 2024 (vs 1er trimestre 2023). À la même époque en 2023, Epsa estimait que l’augmentation des prix moyens sur les vols domestiques s’établissait à près de 19 %. Sur les vols long-courriers, l’augmentation du coût du transport aérien est toutefois bien moindre (+1.3 % en 2024 à comparer aux +22.1 % de l’année précédente.)
Le ferroviaire gagne du terrain
Dans le même temps, le ferroviaire continue de faire son trou et séduit. Il s’est imposé comme une alternative solide à l’aérien et l’engouement dont profite le rail est important. Il est considéré comme un choix de premier plan pour plusieurs raisons : écologiques bien sûr, mais aussi économiques. Les entreprises l’adorent et ne s’en cachent plus. Le Covid-19 est passé par-là et a changé le regard qu’elles portent sur le rail. La SNCF qui attend avec impatience l’arrivée (retardée) des nouveaux TGV-M, enregistre des bénéfices (143M€ au premier semestre 2024). À l’inverse, les autres opérateurs souffrent et pas qu’un peu. La Deutsche Bahn a enregistré 1,2 milliard d’euros de pertes en 2023 ; Trenitalia France, qui exploite des trains à grande vitesse sur l’axe Paris-Lyon face à la SNCF, a de son côté vu ses pertes exposer (+ 45 % en un an). Alors que des acteurs comme RailCoop et Midnight Trains, ont abandonné leurs projets face à la domination de la SNCF, d’autres, notamment Proxima et Ilisto, comptent bien jouer crânement leur chance. La SNCF, elle, a décidé de renforcer son offre low-cost Ouigo et de se développer hors de France. Elle tente de conquérir notamment le marché espagnol et prévoit de se lancer en 2026 sur le marché italien. Cette tendance favorable est tout de même doublée par une inflation qui reste soutenue. Les prévisions d’Epsa de 2023 (+6,8 %) ont été confirmées par l’Autorité de Régulation des Transports (ART), qui la mesure à 7 %, quand la SNCF l’estimait à 5 %.
Un bouleversement notable
De son côté, l’hôtellerie retrouve aussi le sourire après des années plus que difficiles. Fortement impacté par la rationalisation des voyages d’affaires, le secteur avait rencontré de nombreuses difficultés. Il avait dû composer avec l’explosion des coûts énergétiques et de fortes revendications salariales. Par ricochet, les entreprises, elles, avaient dû composer avec de fortes hausses de prix. Mais bonne nouvelle, un retour à plus de modération est constaté dans la plupart des grandes métropoles françaises annonce Epsa. En se basant sur les chiffres du baromètre de l’hôtellerie MKGxCDS, Epsa rappelle que, sur le premier semestre 2024 (avant les JO), le un prix moyen d’une chambre à Paris était de 270 euros. Dans l’absolu, malgré une baisse globale et persistante du nombre de voyages d’affaires (- 20 %, soit 1 voyage sur 5) engagée depuis la période post-covid, le secteur du voyage d’affaires se porte bien. Il renoue même presque avec le niveau de 2019. Epsa anticipe même une hausse globale des dépenses de + 3,5 % en 2025.
Toutefois, dans l’ensemble, les mouvements du côté fournisseurs pourraient bien compliquer la gestion des voyages d’affaires pour les entreprises. En effet, le paysage des agences est en train de se transformer de façon impressionnante. Le leader incontesté et incontestable du secteur, American Express Global Business Travel (Amex GBT) est en passe d’acquérir CWT, numéro 3 mondial. Ensemble, ils représenteraient un volume d’affaires d’environ 45 milliards de dollars, près du triple de leur unique concurrent et numéro 2, BCD Travel. Ce duopole pourrait ainsi imposer son modèle de distribution et affaiblir grandement « la concurrence ». L’environnement du voyage d’affaires retrouve donc des couleurs, mais il est en train de transformer en profondeur.