L’inflation pointe le bout de son nez dans le pilotage des achats P2I
Par Mehdi Arhab | Le | Prestations intellectuelles
EDF et Carrefour témoignent de la manière dont ils se sont préparés à piloter leurs achats de prestations intellectuelles par temps d’inflation, devant les membres du club Brapi, le cercle de réflexion sur les achats de prestations intellectuelles. Un travail qui passe par le pilotage et la mesure de la performance de cette famille d’achats.
Évaluée au mois de septembre à 5,6 %, l’inflation assomme définitivement toutes les sphères de la société. Bien que plus faible que dans le reste de l’Europe, estimée à 10 % en moyenne, la tendance haussière en France pousse les directions des achats à se tenir sur leurs gardes ; celle d’EDF également. Le département des achats, qui compte en son sein 800 personnes, administre, hors achats de combustibles nucléaires, pour plus de dix milliards d’euros d’achats par an, dont près de deux milliards d’euros achats IT. Le seul segment prestations informatiques représente pas moins d’1,2 milliard d’euros de dépenses et est piloté par la direction stratégie tertiaire, prestations et IT. Celle-ci opère avec 500 fournisseurs, gérés par 50 collaborateurs. Les fournisseurs les plus stratégiques sont catalogués dans deux sous panels : fournisseurs métiers et fournisseurs groupe. Aussi, 750 millions d’euros de dépenses le sont auprès de cinq fournisseurs.
La RSE imbibe les achats P2I
Des chiffres qui doivent être remis dans le contexte structurel d’EDF, l’entreprise étant détenue à 80 % par l’État. De fait, EDF, entité adjudicatrice, est soumis au code de la commande publique et à la directive européenne. Ainsi, tout appel d’offres dépassant le seuil de 440 000 euros est publié au JOUE. Chaque marché dépassant ce montant est alloti, afin de réserver des lots auxquels les PME seront à même de répondre. La direction des achats adresse par ailleurs dans ses marchés des critères RSE à hauteur de 10 %, des critères bas carbones avec une exigence d’écoconception et a relevé ses exigences liées à l’insertion par l’activité économique des publics éloignés de l’emploi.
« C’est notre cheval de bataille. Durant la transformation de la direction des achats qui est intervenue durant la période Covid, nous avons établi un corpus contractuel, à la suite d’un long travail avec les métiers, la direction juridique et un cabinet d’avocats spécialiste de la commande publique et du numérique. Nous avons intégré dans nos conditions particulières d’achats, qui personnalisent l’acte d’achat, un article sur la RSE », témoigne Fabrice Pierrelle, Category Manager prestations intellectuelles et prestations informatiques au sein de la direction des achats EDF.
Des formules de révision pour tenir
Pour se prémunir autant que faire se peut des variations de prix, la direction des achats du Groupe EDF instaure depuis plus de vingt ans des formules de révision de prix. Pour les achats P2I, celles-ci portent sur les TJM contractés en euros. « Chez les industriels, les prix ont vocation à varier. Dans le cadre d’une cellule de crise mise en place par la direction des achats à la suite de la guerre en Ukraine, nous avons par exemple constaté que les bleus de travail coûtent deux à trois fois plus cher qu’en 2019 », explique à titre d’illustration Fabrice Pierrelle.
Alors que de nombreux fournisseurs le réclament, les Achats refusent de s’appuyer sur l’indice Syntec, lequel est calculé sur le rapport entre la somme des masses salariales chargées et la somme des effectifs déclarés à temps plein par les entreprises du groupe témoin, privilégiant l’indice de l’Insee. La formule de révision sur les achats de prestations intellectuelles s’établit pour le moment à 6,1 %, de quoi rassurer quelque peu les fournisseurs … Ou non. En effet, l’indice Syntec est évalué de son côté à 2,4 %. Mais pour Fabrice Pierrelle, il est peu probable que celui-ci se maintienne à un niveau si faible.
Une refonte des achats de prestations de service chez Carrefour
Pour le pôle achats de prestations de service de Carrefour, rattachée à la direction des achats indirects groupe pilotée par Claire Romain, l’inflation se dresse comme un défi de taille. Alors qu’il distribuait, en 2019, pour 127 millions d’euros de dépenses sur la partie régie IT en France, réparties sur 146 fournisseurs, 1074 consultants et 44 freelances, le pôle est parvenu en l’espace de 24 mois à rationaliser son panel, contenir les TJM et mieux maîtriser les risques. Une nécessité compte tenu des 70 prestations de longue durée jugées à risque recensées, du nombre de fournisseurs approchés et des TJM disparates entre mêmes profils. Pour cela, une équipe dédiée mêlant un acheteur, un juriste et un membre de la gouvernance de la DSI a été mise en place.
Notre grille de profils était obsolète, inadaptée au marché. Nos processus de validation étaient longs et nous rencontrions des difficultés à sourcer certains profils
« Notre grille de profils était obsolète, inadaptée au marché et ne correspondait plus aux demandes et/ou aux technologies utilisées par Carrefour. Nos processus de validation étaient longs et nous rencontrions de grandes difficultés à sourcer certains profils », retrace Julie Gastebois, responsable des achats du pôle des prestations des services sur la France.
Initialement, seuls 24 prestataires avaient été référencés, mais l’absence de pilotage avait conduit à des dérives et à la multiplication des fournisseurs opérant auprès de la DSI. En ce sens, les Achats ont instauré une nouvelle grille basée sur les données du Cigref, avec neuf catégories par typologie métier, 44 profils et trois niveaux de séniorités. Une cartographie des prestations à risques a également été réalisée, inventoriant notamment la durée de la mission et le statut du prestataire. Deux appels d’offres de référencement sur les ESN et plateformes de portage et de sourcing ont été lancés en 2020 et un plan de bascule a été déployé, avec identification de toutes les sorties progressives à prévoir.
L’inflation ralentit la bonne passe de Carrefour
Une démarche qui a trouvé un ambassadeur au sein du Comex : le DSI lui-même. Sans doute fut-il séduit par les économies générées par suite de l’action des Achats. Pêle-mêle : en 2021, 30 % de réduction de coûts étaient enregistrés et seuls 75 fournisseurs étaient référencés, dont deux plateformes et 23 ESN sous contrat cadre. Cela pour le même nombre de consultants enregistrés. Pour maintenir le niveau de service des ESN, un suivi mensuel fondé sur divers KPI - taux de réponses sur les besoins, délais de réponses et taux de transformation une fois le profil proposé - a été pensé.
Il nous sera difficile de compenser l’inflation sans aller vers de l’offshore
« Notre grille de profils a été uniformisée, avec des TJM fixes sur toute la durée des contrats cadres, contrairement à trois ans en arrière, période à laquelle nos TJM été souvent renégociés », se félicite Julie Gastebois, qui s’attache désormais à mieux sécuriser le recours aux freelances d’un point de vue juridique. Montant en maturité, la direction des achats ne cache pas son envie d’étendre ce modèle à toutes les BU de l’entreprise. Pour autant, son prochain appel d’offres sur la P2I ne devrait certainement pas offrir les mêmes résultats ; inflation oblige. Une situation qui pousse les Achats à dénicher de nouveaux leviers de performance, l’offshore constituant un axe de réflexion. « Il nous sera difficile de compenser l’inflation sans aller vers de l’offshore », confirme Julie Gastebois.