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EPS Barthélemy Durand : « Le concret est indispensable pour embarquer les équipes »


Catherine Gauvrit, directrice des achats et des marchés publics de l’établissement public de santé (EPS) Barthélemy Durand, mise sur un management fondé sur la confiance, la cohésion et la pédagogie pour renforcer la culture achat de ses équipes et redonner du sens à leur engagement. Elle interviendra en qualité de grand témoin sur l’atelier « #Contractmanagement : Comment piloter ses fournisseurs pendant toute la durée du contrat ? » lors des HA ! Days - Achats publics de Deauville les 2 et 3 décembre prochains.

Catherine Gauvrit, directrice des achats et des marchés publics. - © D.R.
Catherine Gauvrit, directrice des achats et des marchés publics. - © D.R.

Dans un contexte où la fonction achat dans le public souffre de la concurrence du privé et rencontre des difficultés de recrutement, quelles pratiques managériales font la différence selon vous ?

Il existe divers leviers. D’abord, le leadership et l’instauration d’une culture achat forte. Il faut parvenir à embarquer les équipes dans l’univers des achats, de la négociation, et révéler les potentiels. Cela demande de fait une certaine forme d’incarnation. Au départ, on ne connaît pas les appétences de chacun, tout le monde n’est pas fait pour les Achats ; cela réclame un certain tempérament, des affinités, une aisance d’expression, et une capacité à challenger les fournisseurs. Et ce n’est pas évident.

Beaucoup de gestionnaires achats dans le public ne sont pas aussi préparés que les acheteurs du privé. Il faut donc structurer l’équipe et partager son expérience. La chance que j’aie, c’est d’avoir été acheteuse auparavant et d’avoir évolué dans le temps. Avoir affronté des cas concrets et avoir été confronté au terrain, cela facilite grandement l’adhésion des équipes. Et sans cette expérience, il est plus difficile de les embarquer.

Les équipes ont besoin de managers qui connaissent la réalité opérationnelle

Dans le public, peu de personnes ont cette expérience opérationnelle, certains n’ont pas eu l’occasion de de « vivre le terrain » suffisamment longtemps. Or, les équipes ont besoin de managers qui connaissent la réalité opérationnelle : cela joue énormément sur la crédibilité.

Néanmoins, ne pas avoir ce vécu ne veut pas dire que tout est perdu. Il existe des formations et accompagnements, notamment proposés par l’ANAP (Agence Nationale d’Appui à la Performance des établissements de santé et médico-sociaux), qui apportent un soutien précieux. J’apprécie particulièrement les formations-actions, avec mise en place de simulations, jeux de rôles … Le concret est indispensable pour embarquer les équipes. En somme, il faut installer une culture achat progressivement, étape par étape, en commençant par de petits projets pour générer des premiers succès motivants.

Quels dispositifs d’accompagnement vous paraissent les plus efficaces parmi ceux que vous avez cités ?

L’accompagnement par des intervenants externes me paraît être très efficace pour faire monter les équipes en compétence. Lorsque le budget le permet, les formations-actions sont idéales. Dans le milieu hospitalier, l’ANAP, organisme public, peut intervenir sans coût financier. C’est un levier majeur.

Par ailleurs, des outils mis en place par la DGOS (Direction générale de l’offre de soins) depuis une dizaine d’années existent mais sont encore trop peu utilisés et exploités dans les hôpitaux. Le partage entre pairs est également précieux. Le réseau, l’échange d’outils, le retour d’expérience permettent de progresser plus vite. Nos problématiques sont souvent les mêmes, y compris dans les collectivités, où l’attractivité et le recrutement posent finalement les mêmes difficultés.

J’ai de mon côté également recours aux jeux professionnels : achats responsables, cohésion, projet… Cela rend la matière vivante et moins académique. La commande publique peut sembler complexe et décourageante ; des approches pédagogiques, ludiques et concrètes facilitent largement l’appropriation. Lorsque nous en comprenons les principes, nous pouvons alors l’apprécier dans toute sa dimension.

Le secteur public offre de nombreuses passerelles et possibilités d’évolution. Et c’est une vraie force insuffisamment valorisée

Vous dirigez une équipe de quinze personnes : gestionnaires achats, juriste et acheteur. Êtes-vous suffisamment staffée ? Et comment gérez-vous cet enjeu d’attractivité face au privé ?

Nous recrutons en interne (mobilité) et en externe. Le public est très concurrencé par le secteur privé du fait des niveaux de rémunération, mais le secteur public offre de nombreuses passerelles et possibilités d’évolution. Et c’est une vraie force insuffisamment valorisée. Pour une carrière, c’est très intéressant ; on peut évoluer aussi bien en transversal que hiérarchiquement grâce aux possibilités de concours et les formations.

L’autre point fort est l’adéquation entre vie professionnelle et vie privée… et venir travailler pour un objectif profondément humain ! Dans le secteur de la santé, travailler avec les équipes de soins est un enrichissement personnel de chaque instant.

Sommes-nous assez staffés ? Oui et non. Outre les gestionnaires achats, nous comptons une équipe marchés composée d’une juriste, d’une acheteuse et d’une gestionnaire marché. Ce sont surtout les compétences en adéquation avec l’évolution rapide des métiers, exigences réglementaires, économiques et environnementales qui nous font défaut. Il y a une pluralité de métiers dans les achats. Il faut trouver les méthodes adaptées pour faire travailler ensemble avec des profils différents, car la cohésion est essentielle. L’usage d’Excel ou la gestion d’indicateurs peuvent par exemple être difficiles dans un environnement où cette aisance est devenue incontournable.

La situation a tout de même bien évolué en trois ans, mais il reste des progrès à faire. Le regard extérieur, sans lien hiérarchique, libère à mes yeux la parole et accélère les avancées ; ce qui nous renvoie à la pertinence des accompagnements tels que ceux mentionnés (ANAP) et à l’importance de construire son réseau (partage d’expériences).

Vous avez évoqué votre volonté d’impliquer vos équipes autour d’une vision commune, tout en tenant compte de la diversité des profils. Comment procédez-vous ?

J’ai récemment rédigé une politique qualité achats, qui se veut un pilier et vecteur central. Je l’ai présentée lors de tournées des services afin d’expliquer les attentes et recueillir également leur vision sur sa mise en œuvre.

Pendant un an et demi, nous avons travaillé sur ces processus, lors de réunions trimestrielles. Je m’étais interdit de construire seule la démarche

Avant de la déployer, il était essentiel de travailler sur les processus qualité. Pendant un an et demi, nous avons travaillé sur ces processus, lors de réunions trimestrielles. Je m’étais interdit de construire seule la démarche, cela n’aurait eu aucun intérêt. Chaque responsable a produit ses documents, ce qui les a impliqués et responsabilisés. J’ai ensuite consolidé ces travaux pour élaborer la charte qualité, en croisant leurs contributions et le projet d’établissement, afin qu’elle leur parle et qu’ils se l’approprient. Il faut savoir, en tant que direction, se retenir de faire à la place. L’expertise est sur le terrain : les idées qui en viennent sont souvent les plus adaptées avec l’avantage de renforcer la cohésion et l’engagement.

Beaucoup d’idées émergent de ces échanges, des points auxquels nous ne pensons pas nécessairement du fait que nous ne sommes pas dans le quotidien ; ceci est particulièrement enrichissant. Au lancement de ces projets, la démarche leur semblait nébuleuse, perçue comme un simple affichage de la direction sans actions concrètes. Comme pour le développement durable, cela paraissait flou. Puis, en les impliquant, ils ont trouvé cela intéressant et se sont progressivement engagés en en comprenant l’intérêt. Donner du sens est important.

Vous avez cité trois piliers managériaux : confiance, cohésion et accompagnement. En quoi ces postures ont-elles favorisé l’engagement de vos équipes achats et logistiques ?

On associe encore trop souvent la direction à un management de contrôle. Du contrôle, il en faut, évidemment, mais la confiance est essentielle. Faire du micro-management ne m’intéresse pas, ce serait faire preuve d’un manque de confiance envers mes équipes. S’il y a un problème, les chiffres parleront : mon appétence pour les outils informatiques m’aide beaucoup dans l’analyse des données.

Nous travaillons actuellement sur la mise en place d’indicateurs liés à leur activité. L’objectif est que chacun choisisse des indicateurs cohérents pour pouvoir s’autocontrôler.

Je raisonne de manière globale, lorsque j’ai besoin d’éléments pointus, ce sont les équipes qui me les remontent. S’il y a une problématique, elles s’en aperçoivent souvent en amont et je les encourage à être force de proposition. Cela leur permet d’ailleurs de s’autocorriger. Nous travaillons actuellement sur la mise en place d’indicateurs liés à leur activité. L’objectif est que chacun choisisse des indicateurs cohérents pour pouvoir s’autocontrôler. Le contrôle doit être utile et constructif, pas vécu comme du flicage. Il doit être maîtrisable par l’agent, sans attendre la validation de la direction. La cartographie, la notice stratégique pour les fournisseurs, sont aussi des outils permettant de contrôler la bonne application des procédures, la gestion des dépenses, des marchés et de disposer in fine de données utiles.

Vous avez commencé à évoquer la digitalisation. En quoi peut-elle accélérer la montée en maturité des équipes achats ?

Chaque service disposera de son outil de pilotage. Pour le SI Achats, nous allons passer par Okaveo. Il existe de nombreuses solutions sur le marché, mais beaucoup nécessitent de partir d’une page blanche ce qui nécessite un temps de déploiement bien plus long.

Une fois les fonctionnalités paramétrées, les tableaux de bord seront prêts et connectés aux données financières. Les équipes n’auront plus à faire de tableaux croisés dynamiques ou de manipulations complexes sur Excel. Cela va leur simplifier la vie et les aider à monter plus rapidement en compétences à la fois sur les achats et sur la compréhension des données. Aujourd’hui, nous perdons beaucoup de temps avec notre outil de requêtes BI, puissant certes, mais assez difficile d’utilisation. Les requêtes doivent d’ailleurs souvent être refaites, notamment lors des migrations. Les équipes passent souvent plus de temps à produire qu’à analyser, ce qui révèle une perte d’efficacité.

La digitalisation va donner confiance aux équipes, réduire les ressaisies, limiter les manipulations d’Excel qui peuvent être anxiogènes pour certains, et les recentrer sur l’analyse

La digitalisation va donner confiance aux équipes, réduire les ressaisies, limiter les manipulations d’Excel qui peuvent être anxiogènes pour certains, et les recentrer sur l’analyse, donc sur la maîtrise de leur métier. Nous allons aussi digitaliser nos achats relatifs à la partie cuisine, car la gestion administrative des données de denrées alimentaires est aujourd’hui (très) chronophage. Certes, le paramétrage demande du temps au démarrage, mais c’est un investissement qui en vaut largement la peine sur le temps long.

Dans la fonction publique, estimez-vous que la fonction achats est suffisamment valorisée ?

Cela dépend avant tout de la politique de l’établissement ou de la collectivité. Dans la fonction publique hospitalière, certains directeurs soutiennent fortement la fonction achats et lui donnent un rôle moteur. D’autres, moins matures sur le sujet, ne la positionnent pas en amont des projets, et c’est là toute la difficulté.

À notre niveau, nous sommes en train de construire notre place : il arrive encore d’être oubliés au démarrage des projets. J’ai récemment organisé une réunion avec UniHA et invité les prescripteurs internes en plus des équipes achats pour expliquer les enjeux de positionner les achats en amont. Il ne faut pas réduire notre rôle à l’exécution des marchés et au passage de commandes. Les services prennent un risque juridique lorsqu’on nous sollicite trop tardivement, et ils perdent aussi notre capacité à apporter de la valeur : sourcing, étude de marché, innovation, standardisation, performance économique … Une procédure d’achat peut prendre plusieurs mois ; si l’on arrive trop tard, nous avons bien moins de marge de manœuvre. Certains hôpitaux ont compris les enjeux de la performance achat et soutiennent pleinement la direction achats, d’autres l’associent encore uniquement à l’acte d’achat à proprement dit.