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Lacroix : « Le nearshoring sur le marché de l’électronique est assez illusoire »

Par Guillaume Trecan | Le | Direction ha

Le directeur achats de l’activité Electronics du groupe Lacroix, Dominique Chanteau, a adapté sa gestion des risques à un marché de fournisseurs de composants électroniques dominé par quelques géants mondiaux. Ses réponses passent par beaucoup d’anticipation et une digitalisation des relations fournisseurs mise au service de gains de compétitivité.

Lacroix : « Le nearshoring sur le marché de l’électronique est assez illusoire »
Lacroix : « Le nearshoring sur le marché de l’électronique est assez illusoire »

Comment appréhendez-vous la problématique de gestion des risques à laquelle est confronté le marché de l’électronique ?

Dans le cadre de l’activité électronique, qui représente près de 70 % du chiffre d’affaires, du groupe Lacroix, nous avons deux marchés différents en termes d’achat. Le premier est un marché de composants électroniques standards, sur étagère. C’est un marché complètement mondialisé représenté par de très grands acteurs, comme Intel et TSMC, qui peuvent fabriquer leurs composants à plusieurs endroits sur la planète. Le second est un marché de composants sur plan : pièces injectées, pièces découpées, pièces mécaniques… Ce marché est beaucoup plus fragmenté et beaucoup plus local.

La gestion des risques est un objectif crucial dans le marché des composants électroniques. Cela implique de s’assurer que nous avons plusieurs sources d’approvisionnement ou que, lorsqu’une seule source est possible, nous avons un contrat spécifique avec le fabricant qui nous sécurise sur la durée de vie du produit. Mais l’essentiel de ce que nous pouvons faire est préventif. Beaucoup de choses se jouent au stade de la conception, notamment grâce à l’action des acheteurs projets impliqués dans nos bureaux d’étude, pour y insuffler la stratégie achats en optimisant les coûts de la nomenclature et en sécurisant les risques. Nous nous appuyons également sur un outil spécifique à l'électronique qui s’appelle Silicon Expert. C’est une vaste base de données qui fournit plusieurs informations cruciales : durée de vie estimée de chaque composant, niveau de maturité, date de mise sur le marché, niveau de risque environnemental, s’il existe des composants identiques ou similaires sur le marché et si le composant est disponible chez plusieurs distributeurs.

Nos fournisseurs peuvent avoir des politiques différentes d’une zone géographique à l’autre. Nous avons donc intérêt à être capables de mener des négociations globales

Comment les Achats vont-ils accompagner l’ambition de réaliser 70 % du chiffre d’affaires hors de France affiché dans le plan stratégique Leadership 2025 ?

Cela passe par le fait de se structurer et de s’appuyer sur l’organisation adaptée. Notre organisation achats couvre l’ensemble des sites de l’activité électronique, tout en étant présente en France, en Pologne et en Chine. A la suite du rachat de Firstronic conclu fin décembre, nous allons conserver une organisation achats unique, mais certains acheteurs corporate pourront se situer au Michigan et au Mexique. Cette présence internationale des Achats est importante parce que, même si le marché du composant électronique est mondial, nos fournisseurs peuvent avoir des politiques différentes d’une zone géographique à l’autre. Nous avons donc intérêt à être capables de mener des négociations globales pour pouvoir bénéficier des opportunités sur chacun des marchés quand nous avons, par exemple, des problématiques d’approvisionnement.

Sur le marché des composants sur plan, nous avons plutôt une approche régionale, voire locale. Notre maillage de fournisseurs est beaucoup plus fin et nous privilégions des relations de proximité pour des raisons économiques autant qu’écologiques. Nous avons également des relations de proximité avec certains acteurs un peu plus importants - dans l’injection plastique, par exemple - qui ont des sites de fabrication proches de nos usines.

Le rapprochement de certaines de vos sources de l’Europe est-il une option que vous étudiez ?

Le nearshoring sur le marché de l’électronique est assez illusoire. Nous avons un partenariat avec le fabricant franco-italien STMicroelectronics, ils ont des usines à Tours, à Grenoble, en Italie, mais aussi en Chine, ou encore en Malaisie. En dépit de nos très bonnes relations, nous n’avons évidemment pas d’influence sur leur stratégie industrielle. Comme tous les acteurs de l'électronique, ils sont sur un marché mondial sur lequel la France pèse environ 3 %.

Nous pouvons avoir une influence sur les pièces mécaniques, ou encore les pièces d’interconnexion et nous essayons en effet de travailler avec des fournisseurs plus proches de nos usines

Vous avez participé à un groupe de travail conduit par PWC sur la relocalisation de certains achats. Sur quels sujets avez-vous travaillé ?

Nous avons orienté nos travaux d’une part sur les circuits imprimés et d’autre part sur les activités de sous-traitances, sur lesquelles Lacroix Electronics était présent à la fois comme client et comme fournisseur. Nous pouvons avoir une influence sur les pièces mécaniques, ou encore les pièces d’interconnexion et nous essayons en effet de travailler avec des fournisseurs plus proches de nos usines. Le marché de la sous-traitance électronique est un marché très concurrentiel, mais cela reste en accord avec notre ligne directrice qui est de travailler avec des fournisseurs de proximité. Ce qui ne signifie pas forcément travailler uniquement en France. Nous voulons travailler d’une manière générale avec des fournisseurs à proximité de nos sites de production.

Nous avons également une carte à jouer en Europe, en investissant massivement sur certaines technologies, comme par exemple des technologies de puissance, nous pouvons acquérir une compétence qui nous rende incontournable vis-à-vis du marché mondial.

Jusqu’où pouvez-vous pousser la collaboration avec vos fournisseurs ?

Ce qui fait la valeur de nos cartes électroniques, ce sont les composants électroniques eux-mêmes, qui sont des produits standards. L’enjeu pour nous est donc d’être en collaboration étroite avec un certain nombre de fournisseurs pour être à l’écoute de leurs feuilles de route technologiques, de façon à voir avec eux quels sont les meilleurs composants à utiliser pour l’application que nous cherchons.

Sur des composants mécaniques, il nous est en revanche arrivé de réaliser des co-développements en nous appuyant sur des techniques de pointe, par exemple avec des fournisseurs de pièces plastiques. Une personne dédiée à la qualité travaille sur ces questions au sein des bureaux d’études.

Nous avons le perpétuel souci d’améliorer nos coûts indirects et la digitalisation est une des clefs du problème

Quels sont vos enjeux en termes de digitalisation des relations fournisseurs ?

La compétitivité très forte sur notre marché ne concerne pas seulement les coûts directs. Nous avons aussi le perpétuel souci d’améliorer nos coûts indirects et la digitalisation est une des clefs du problème. D’autant plus que dans nos métiers, nous devons gérer beaucoup de données. Nous travaillons sur cinq marchés et chacun peut adresser une base de fournisseurs différente. Un fournisseur de l’aéronautique ne sera pas forcément compétitif pour livrer la domotique et un fournisseur de domotique ne se situera pas forcément au niveau attendu par l’automobile. Au total, notre base de fournisseurs comprend 2 000 fournisseurs actifs et 40 000 références. La digitalisation est cruciale pour gérer cette diversité. Nous utilisons l’EDI avec nos fournisseurs depuis 2006 et nous avons un plan de déploiement pour arriver à ce que 80 à 90 % de nos échanges avec eux soient digitalisés, en particulier de nos centaines de milliers de commandes à l’année. L’EDI est couplé à SAP, ainsi que le web-EDI que nous développons pour travailler avec les fournisseurs avec lesquels nous avons moins de flux. Nous nous appuyons sur Synertrade, dont nous utilisons également les fonctionnalités de SRM. Nous mettons aussi en œuvre des outils d’OCR pour la reconnaissance des factures. 

Les achats de l’activité Electronics du groupe Lacroix en chiffres

Effectif achats : 20 personnes

Montant des achats Lacroix Electronics : 230 M d’€ d’achats directs et 15 M d’€ d’achats indirects

Sites du groupe : quatre usines sur la zone EMEA (France Pologne, Allemagne et Tunisie), deux en Amérique, une dans le Michigan et une au Mexique, plus un bureau d’achat en Chine, à Shenzhen.

Les bureaux d’études de Rennes, Quimper et Grenoble sont constitués d’une centaine d’ingénieurs R&D avec lesquels travaillent trois acheteurs projets.

 

PORTRAIT

Dominique Chanteau (61 ans, Isen Lille) est directeur des achats, reporte au directeur général de Lacroix Electronics. Il a sous sa responsabilité directe les achats production et hors production de Lacroix Electronics et assure un rôle de coordination sur l’ensemble des achats indirects groupe. Il travaille au sein du groupe Lacroix depuis 16 ans après avoir commencé sa carrière en bureau d’études chez Thomson, puis aux Achats chez Valeo et Faiveley.