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Pour les Achats, l’innovation n’est pas encore la priorité prioritaire

Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha

La place des Achats dans l’innovation (ou de l’innovation dans les Achats) n’est pas encore très prégnante, comme le démontre la dernière édition du baromètre des Achats et de l’innovation de Kedge Business School. Les freins sont nombreux, les motifs d’espoir, eux, loin d'être inexistants.

Pour les Achats, l’innovation n’est pas encore la priorité prioritaire
Pour les Achats, l’innovation n’est pas encore la priorité prioritaire

Quand il est question du rôle des Achats dans l’innovation, difficile de trouver une réponse toute faite. Le paysage se caractérise en effet par une certaine hétérogénéité, la tendance, elle, n’est guère réjouissante, comme le montre la troisième édition du baromètre des Achats et de l’innovation de Kedge Business School. Mené trois mois durant, du printemps à l’été 2022, ce travail, aussi bien business que pédagogique, s’appuie sur une enquête réalisée par et avec des managers achats et acheteurs en formation par alternance au sein de diverses organisations. Pas moins de 300 services achats ont été audités dans le cadre du dispositif pédagogique établi par Romaric Servajean-Hilst, enseignant-chercheur à Kedge Business School et directeur académique des programmes executive en Achats et Innovation. 

L’optimisation financière en tête des priorités achats 

S’agissant des priorités, outre la gestion des risques de rupture des chaînes d’approvisionnement, désormais sur le podium des trois priorités prioritaires des Achats - comme au plus fort de la crise COVID, mais avec un niveau encore plus important - le suivi de la relation fournisseurs et la réduction des coûts trustent une nouvelle fois l’attention des directions achats. L’innovation et l’anticipation, quant à elles, entendues au sens large (innovation, RSE, veille marché et veille technologique…) restent encore assez marginales. À peine plus d’un cinquième des fonctions achats auditées ont un département dédié à l’innovation.

Le discours des directions achats est assez différent des remontées du terrain. Beaucoup se targuent de faire de la stratégie mais imposent à leurs équipes bien autre chose

Et de fait l’implication des Achats dans des projets innovants est loin d’être systématique. « La vision court terme est monnaie courante aux Achats. Le discours des directions achats est assez différent des remontées du terrain. Beaucoup se targuent de faire de la stratégie mais imposent à leurs équipes bien autre chose », pointe Romaric Servajean-Hilst, qui regrette également un certain recul en matière de veille des marchés et technologies ; matières qui pourraient pourtant permettre aux Achats de mieux se parer aux ruptures et crises. « L’anticipation, la RSE, l’innovation et la veille stratégique ne sont pas des grandes priorités aux Achats. Or, ces pratiques permettent justement de mieux contenir les coûts complets, d’anticiper les potentielles ruptures et d’assurer la continuité. Mais certaines directions préfèrent opérer le nez dans le guidon », déplore-t-il. Bonne nouvelle tout de même, l’achat responsable connaît un frémissement à la hausse et constitue une priorité certaine pour 27 % des directions achats auditées.

Une implication en amont qui laisse aux Achats tout le loisir de se montrer

Tout n’est donc pas à jeter. D’autant plus que, comme l’indique l’étude, l’innovation aux Achats gagne un peu de terrain. Alors que l’innovation était une priorité pour seulement 16 % des directions auditées en 2020, elle l’est désormais pour 23 % d’entre elles. En outre, 29 % des directions achats auditées possèdent un climat des plus favorables en matière d’innovation et plus de la moitié (55 %) sont impliquées toujours ou, au moins, la plupart du temps dans des projets d’innovation avec des fournisseurs. Mieux encore, 64 % d’entre elles sont impliquées au début des projets dits innovants. Un taux qui démontre tout l’investissement des Achats dans des projets de ce type quand ils existent. 

Et si les directions des achats ont leur mot à dire, c’est aussi parce qu’elles ont démontré tout leur intérêt à être incluses dans ces démarches. Et pour cause, plus tôt elles sont impliquées, plus elles peuvent démontrer leur valeur ajoutée, en pesant sur les coûts engagés et en aidant dans le choix de partenaires innovants. Avec un point clé : ce rôle dépasse largement le seul cadre de la gestion administrative des tiers amont, qui reste évidemment très important. « C’est en impliquant les Achats au départ du projet que l’on peut bien acheter. Le fait de les pousser au début du projet leur permet d’afficher leur valeur ajoutée et d’attester de leur intérêt et support. Avec les Achats engagés en amont, l’organisation peut raisonner en coûts complets et coûts évités, car un meilleur travail aura été effectué au préalable sur la définition du besoin et le cahier des charges », clame l’enseignant-chercheur.

Une influence certaine, mais des freins nombreux

Parmi les bons élèves en matière d’innovation, Romaric Servajean-Hilst cite notamment les départements achats de GRTgaz et de MBDA, très en avance et matures sur « des initiatives autour de l’innovation collaborative et autour des achats stratégiques ». Et celles-ci, comme d’autres impliquées dans des projets d’innovation, jouent un vrai rôle, jouissant d’une capacité à influer sur les décisions du schéma industriel de leur entreprise. « Elles sont en mesure d’ouvrir le champ des possibles. Elles sont considérées, car elles sont capables de nourrir la réflexion », décrit Romaric Servajean-Hilst. Mais certaines, quand bien même en mesure de le faire, ne le pourront pas et ce qu’importe la motivation de leurs acheteurs. Et cela pour une raison toute simple : leur entreprise ne veut pas ou ne trouve pas un intérêt particulier à innover.

L’arrivée d’un nouveau directeur achats groupe peut littéralement faire s’effondrer les initiatives en matière d’innovation aux achats

Au moins 15 % des entreprises ne souhaitent en effet simplement pas se remuer en matière d’innovation. Bien difficile d’avancer dans ce cas donc et de faire émerger une culture d’innovation avec un tel désalignement en matière de stratégie et d’approche pour certaines directions achats. Au demeurant, quand les entreprises sont ouvertes en matière d’innovation, le management intermédiaire peut apparaître comme un résistant au changement et un élément bloquant, tout comme l’arrivée d’un nouveau CPO. « L’arrivée d’un nouveau directeur achats groupe peut littéralement faire s’effondrer les initiatives en matière d’innovation aux achats. Et l’arrivée d’un nouveau CPO, très concerné par le sujet, ne peut en revanche suffire. La question du management intermédiaire est primordiale, il faut savoir s’entourer et embarquer », confirme Romaric Servajean-Hilst. « Le grand écart entre certaines directions des achats est pour le moins déstabilisant », poursuit-il.

Par ailleurs, une fois encore, le manque de ressource-hommes et le manque de ressources-temps est pointé du doigt par l’Observatoire des Achats et de l’innovation comme un frein de premier ordre. « C’est le frein structurel principal à l’innovation aux Achats. Ils n’ont pas le temps et on ne leur laisse pas le temps », insiste Romaric Servajean-Hilst.