Devoir de vigilance : un peu plus d’une cinquantaine d’entreprises pointées du doigt par des ONG
Par Mehdi Arhab | Le | Éthique et conformité
Alors qu’elles viennent de mettre à jour leur outil de suivi de l’application de la loi du devoir de vigilance, les ONG CCFD-Terre Solidaire et Sherpa pointent du doigt près de soixante entreprises qui n’auraient pas publié leur plan de vigilance. Et d’autres pourraient bien être épinglées, mais certaines données ne sont pas accessibles.

En matière de devoir de vigilance, beaucoup de choses restent encore à faire. Et de nombreuses entreprises sont encore loin de se conformer à la loi française relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre. Récemment, plusieurs grands groupes et grandes enseignes, parmi lesquels Edenred, Picard, Euro Disney, McDonald’s ou encore Randstad ont été pointées du doigt par les ONG CCFD-Terre Solidaire et Sherpa après qu’elles ont mis à jour leur radar de vigilance, un outil de suivi de l’application de la loi sur le devoir de vigilance. Les deux ONG s’appuient notamment sur le travail de recherche de Datactivist, une société coopérative qui s’attache à analyser des données.
Selon les deux ONG toujours, pas moins de 57 entreprises opérant en France n’auraient pas publié leur plan de vigilance, soit près d’un quart des entités concernées. Or, nul n’est censé ignorer la loi et la loi française relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordres a fêté ses sept ans en 2024. Celles-ci ne pourront donc pas plaider l’ignorance.
La directive européenne, un « game changer » ?
Pour rappel, le texte de loi ne vise pour le moment que les multinationales françaises de plus de 5 000 salariés dont le siège se trouve en France, et de plus de 10 000 salariés avec leurs filiales à l’étranger. Toute entreprise soumise au devoir de vigilance a l’obligation légale de publier dans son rapport annuel un plan de vigilance et de le mettre en œuvre de façon effective, afin d’identifier et de prévenir les risques d’atteintes aux droits humains et à l’environnement.
La liste des entreprises épinglées a été formée à partir d’informations disponibles sur certaines bases de données publiques et financières. Or, certaines données d’entreprises n’étant pas accessibles, la liste n’est bien entendu pas exhaustive. En 2024, le CCFD-Terre Solidaire et Sherpa ont annoncé avoir répertorié sept nouvelles affaires, dont l’assignation de TotalEnergies concernant des actes de torture commis sur l’un de ses sites au Yémen ou encore la mise en demeure de Carrefour sur son approvisionnement en thon issu de pêcheries industrielles impliquées notamment dans des violations de droits humains. Dans l’ensemble, 13 actions en justice ont été introduites depuis l’adoption de la loi, et 30 mises en demeure ont été envoyées.
Les ONG, qui ne se satisfont pas de la simple publication d’un plan et qui réclament des mesures de vigilance adaptées, attendent beaucoup de la nouvelle directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises adoptée le 24 mai 2024. Cette directive, très largement inspirée par la « Loi sur le devoir de vigilance » française du 27 mars 2017, élargit le champ d’application de cette dernière et apporte des précisions sur le contenu des obligations auxquelles les entreprises devront se conformer en matière de respect des droits de l’Homme et de l’environnement tout au long de leur chaîne de valeur. Beaucoup plus d’entreprises devront s’y soumettre puisqu’elle s’imposera aux entreprises européennes de plus de 1 000 salariés et avec un chiffre d’affaires d’au moins 450 millions d’euros. Elle s’adressera également aux entreprises non européennes dès lors qu’elles opèrent au sein de l’Union.
Les sanctions en cas de non-respect de la directive pourront être particulièrement lourdes. Elles pourront en effet atteindre jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise. Si le droit français est apparu comme précurseur, des interrogations subsistent toutefois concernant les sanctions qu’encourent les entreprises en cas de manquement judiciairement constaté. En effet, lors de l’examen de la constitutionnalité de la loi du 27 mars 2017, le Conseil constitutionnel avait censuré le régime des sanctions pécuniaires faute de définition claire des infractions.