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Anaïk : « Une grande partie de notre masse achats est orientée vers la Chine »


Séverine Toutain, directrice des opérations du fabricant de cadeaux d’entreprise Anaïk, a réuni en Chine ses fournisseurs stratégiques lors de son premier “Best Partners Innovation Day” pour doper l’innovation et resserrer les liens avec ses partenaires clés. Une immersion au cœur de son écosystème pour stimuler la co-création, partager les défis et préparer le prochain cap.

Séverine Toutain, directrice des Opérations. - © D.R.
Séverine Toutain, directrice des Opérations. - © D.R.

Pourquoi avoir organisé un événement à destination de vos fournisseurs en Chine ?

Ce « Best Partners Innovation Day » était une grande première et intervient après que nous ayons entrepris de rationaliser notre panel fournisseurs, un long travail qui a pleinement mobilisé les équipes achats. Nous focalisons désormais notre attention sur la suite et c’est pourquoi nous avons invité une trentaine de nos fournisseurs - pour être exact, nous avons 30 Best Partners et en avons invité la moitié - les plus stratégiques et sur lesquels se concentre notre 80/20. Parmi ce panel, nous avons souhaité voir lesquels étaient les plus matures en matière d’innovation, et ce parce que nos prescripteurs attendent beaucoup en la matière des Achats, à l’instar des départements Style et Design. Nos fournisseurs ont un rôle important à jouer pour répondre aux attentes de nos clients internes et, derrière, de nos clients finaux. Il nous faut donc les intégrer à toutes nos discussions. Innover avec nos fournisseurs, c’est aussi penser l’entreprise comme un écosystème élargi.

Nous sommes la première entreprise de notre secteur à organiser un événement de ce type en Chine

Et quoi de mieux que de leur expliquer au cours d’un événement qui leur fait la part belle. Nous sommes la première entreprise de notre secteur à organiser un événement de ce type en Chine. Travailler de la sorte nous rapproche de nos tiers fournisseurs. La direction des achats a toujours été impliquée sur ces sujets et a d’ailleurs pleinement participé à l’avènement de l’Open Innovation chez Anaïk. Elle est la mieux placée pour la capter. C’est aussi pourquoi nous avions créé une cellule dédiée, en y détachant des ressources, qui ont tout le loisir de s’ouvrir, d’élargir leur terrain de jeu, d’aller au plus près de ce qui se fait ici et là.

Pourquoi l’avoir organisé en Chine ?

Une grande partie de notre masse achats est orienté vers la Chine, il était donc logique de s’y rendre pour réunir nos principaux partenaires. Le tissu fournisseurs y est mature et a avancé sur de nombreux sujets. Les usines qui s’y trouvent offrent des avantages certains en matière de compétitivité prix, de savoir-faire technique ; elles répondent à de fortes cadences de production et ont bien intégré les enjeux environnementaux et sociaux qui nous animent.

Outre le facteur prix, sur lequel nous les attendons bien évidemment, nous avions à cœur de leur rappeler nos enjeux en termes d’innovation. Nos nombreuses années de collaboration ont porté leurs fruits, donné des résultats plus que satisfaisants. Mais il nous faut passer un cap. Notre objectif est d’apporter un vent de fraîcheur à nos clients, et pour cela, nos fournisseurs doivent nous en apporter un. Pour eux, c’est aussi une bonne occasion de se démarquer.

La priorité était qu’ils comprennent à quel point ils sont décisifs pour l’entreprise

Sur quoi les avez-vous sensibilisés ?

La priorité était qu’ils comprennent à quel point ils sont décisifs pour l’entreprise. Beaucoup d’entre eux ont déjà su se démarquer et il était important de leur rappeler, de les pousser à continuer sur cette lancée. Au cours de l’après-midi, l’ensemble de nos partenaires sur place ont présenté des innovations exclusives pour le compte d’Anaïk devant des personnalités du groupe, lesquelles avaient fait l’objet d’un travail commun de quatre mois avec les Achats. Des prix ont ensuite été remis dans trois catégories différentes : packaging, maroquinerie et accessoires.

L’objectif était également de les faire se rencontrer et leur offrir l’occasion de se benchmarker, car cela n’est pas courant pour eux. Cet événement était une bonne occasion de leur permettre de partager leurs bonnes pratiques.

Nous nous étions fixés pour objectif, à l’horizon 2025, de relever à 25 % notre volume d’achats en dehors de la Chine, avec l’Europe en ligne de mire

Une telle initiative sera-t-elle répétée d’ici peu en Europe ?

C’est bien entendu vraisemblable, mais c’est encore un peu tôt pour l’imaginer. Nous nous étions fixés pour objectif, à l’horizon 2025, de relever à 25 % notre volume d’achats en dehors de la Chine, avec l’Europe en ligne de mire et plus particulièrement le Portugal où la filière industrielle textile y est bien structurée. Le Vieux continent pèse aujourd’hui pour près de 15 % de nos achats et nous poursuivons nos efforts pour atteindre notre objectif.

Néanmoins, les choses avancent moins vite qu’espéré en Europe, aussi bien sur le volet prix qu’en termes de maturité et de montée en gamme. Nos partenaires fournisseurs, qui ont longtemps accompagné le géant Inditex, doivent continuer à se réinventer. Cela n’est toutefois pas surprenant ; après avoir exploité les infrastructures pendant de longues années, Inditex en est désormais sorti et les confectionneurs, qui ont cherché de nouvelles opportunités, doivent s’adapter à une nouvelle réalité, de nouvelles méthodes, des temps de développement plus longs ainsi que des besoins et cahiers des charges différents…

Les limites sont là, mais nous pensons qu’elles seront dépassées à terme. Au-delà de ces considérations, nos clients ne cachent pas leur contrariété face aux prix appliqués, plus élevés naturellement. L’équation économique est assez particulière et différente d’ordinaire. En prix d’achat, le coût d’un produit façonné dans le bassin méditerranéen est bien entendu plus important que s’il l’était en Asie. Or, le marché de la beauté et du luxe s’est contracté et cela n’a pas fait nos affaires. Dans ce contexte, nos clients sont extrêmement attentifs aux conditions tarifaires qui leur sont proposées. Et si nos clients ne sont pas disposés - du moins pas encore, je l’espère - à payer plus cher, nous ne serons pas en mesure d’augmenter nos volumes.

Dans ce contexte, le Cambodge s’est imposé comme un bassin de sourcing extrêmement intéressant. Notre constat s’est d’ailleurs plus que confirmé après les droits de douane imposés par les États-Unis. Nos volumes sont plus importants qu’ils ne l’étaient il y a quelques années, notamment sur l’activité « Bagagerie ». Des fournisseurs vietnamiens ont également émergé.

La conjoncture vous semble-t-elle un frein pour innover ?

L’innovation a connu un petit stop, il faut l’avouer, non pas parce que nos fournisseurs et le groupe ne sont pas en mesure d’innover, mais parce que nos clients finaux calment le jeu et réduisent leurs coûts et leurs volumes. Nous ne sommes pas pour autant arrivés aux limites de l’exercice, le marché de la beauté et du luxe retrouvera à un moment ou un autre son allant. C’est un marché porteur, extrêmement solide et bien structuré.

Vous aviez pour projet de déployer un SRM. Où en êtes-vous ?

Nous l’avons mené à bien, ce qui nous permet maintenant de piloter nos tiers fournisseurs de façon optimale. Nous avons désormais à disposition un dashboard qui nous permet d’avoir des reporting réguliers, le volume d’achats que nous accordons à chacun de nos fournisseurs et de voir directement les axes de progrès après lecture des résultats de leurs tests sur les matières intégrées à nos produits et de leurs rapports de qualité.

Nous avons inauguré un portail fournisseurs, interconnecté à notre SRM et notre ERP

Nous avons également inauguré un portail fournisseurs, interconnecté à notre SRM et notre ERP. Cela nous facilite grandement les choses, mais cela facilite aussi grandement la vie de nos fournisseurs qui disposent d’une vision suffisamment large sur ce que l’on souhaite. Nous leur partageons de nombreuses informations : chiffres clés, besoins, date de paiement à venir, plans de progrès … Ils ont également le pouvoir d’enregistrer certains éléments (audit social, audit environnemental, etc.) dans le système si besoin. Nous avons veillé à ce que nos fournisseurs soient acteurs de leur évolution de manière à fluidifier la relation que nous entretenons avec eux.

Enfin, nous avons intégré la plateforme EcoDesignCloud, lancée par Eviden, à notre portail fournisseurs afin de récupérer la date à la source pour mesurer l’empreinte environnementale de nos produits. EcoDesignCloud calcule l’impact environnemental des supports promotionnels tout au long de leur cycle de vie, selon la méthode reconnue PEF (Product Environmental Footprint) qui analyse 16 indicateurs dont les émissions de CO2.

Vos fournisseurs chinois répondent-ils de façon satisfaisante à vos objectifs de politique achats responsables ?

Nos fournisseurs ont, tout au long de notre collaboration, été invités à revoir leurs process, leur façon d’opérer pour gagner en efficience et améliorer les conditions de travail des ouvriers … et cela parce que nos axes de travail sur l’innovation sont nombreux et introduisent des objectifs sociaux et environnementaux importants.

Les usines de nos partenaires chinois, qui nous suivent depuis un long moment dans nos démarches, ont ainsi fait de gros efforts pour s’aligner avec nos exigences. Tous sont audités et alignés sur nos engagements sociaux et environnementaux. Un vrai travail de fond a été réalisé, de nombreux investissements ont été conduits depuis plus de vingt ans et il n’est pas question de l’omettre. Sur le plan social, les progrès sont également là. Certains de nos partenaires chinois font par exemple la part belle à des personnes éloignées de l’emploi, ce qui n’est pas forcément courant dans le pays. Nous avons demandé à certains s’il était possible de se rapprocher également de structures spécialisées, comme l’on peut en voir en France avec les EA et ESAT et nous avons déjà enregistré deux réalisations.

Sur le plan environnemental, nous avons poussé nos partenaires à travailler à partir des matières éco conçues

Par ailleurs, sur le plan environnemental, nous avons poussé nos partenaires à travailler à partir des matières éco conçues. À notre demande, ils ont donc intégré depuis un certain temps des matières recyclées. Un important travail a été effectué sur le métal et le polyester. Ils ont également accéléré le pas sur des matières régénératives comme le Tencel Lyocell Lenzing issu d’eucalyptus FSC (forêt éco-gérée). Les fibres régénératives offrent des solutions innovantes face aux défis environnementaux croissants tels que la déforestation, la pollution de l’eau et les émissions de gaz à effet de serre. Beaucoup ont aussi revu leur process industriel pour le rendre moins énergivore mais aussi plus efficace. De notre côté, nous avons effectué un important travail pour remonter les filières et cartographier nos fournisseurs de rang 2 et de rang 3. La traçabilité reste un maître-mot chez Anaïk !