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GCS Achats Santé Bretagne : « La mutualisation est aujourd’hui un levier beaucoup plus complet »


Florian Vinclair, directeur du GCS Achats Santé Bretagne, souligne l’évolution de la mutualisation qui dépasse aujourd’hui la seule recherche de prix et devient un outil stratégique pour apporter expertise, performance, innovation et durabilité aux établissements de santé. Il interviendra en qualité de grand témoin sur l’atelier « #Massification : Grouper ses achats est-il le plus puissant des leviers achats ? », lors des HA ! Days - Achats publics les 2 et 3 décembre prochains.

Florian Vinclair, directeur du GCS Achats Santé Bretagne. - © D.R.
Florian Vinclair, directeur du GCS Achats Santé Bretagne. - © D.R.

La mutualisation des achats a-t-elle encore du sens aujourd’hui dans le secteur de la santé ?

Oui, elle en a même davantage qu’auparavant. Nous cherchons désormais moins un effet prix, car les plus gros gains liés à la massification ont sans doute déjà été obtenus depuis plusieurs années et sont, à mon sens, derrière nous. Aujourd’hui, l’enjeu porte davantage sur le temps humain, la disponibilité et surtout l’expertise.

Dans les établissements de santé, en particulier les hôpitaux publics, les ressources achats restent limitées, encore plus avec l’instauration des GHT, en place depuis 2018. La fonction achat est désormais centralisée au sein des établissements supports de GHT qui regroupe un large groupe d’établissements généralement. Cet établissement support se retrouve à gérer une multitude de procédures pour l’ensemble du groupement hospitalier de territoire, avec une vraie tension en termes de disponibilité des ressources humaines et des compétences achats. La mutualisation, à l’échelle régionale ou nationale, prend alors tout son sens car elle permet avant tout d’aller chercher de l’expertise dans le sourcing, la connaissance de l’écosystème, des acteurs et des fournisseurs qui peuvent répondre aux besoins.

La mutualisation permet ainsi de bénéficier d’une approche plus complète et globale, génératrice de performance

Cette expertise se retrouve aussi au moment de la passation des marchés, notamment dans le montage juridique, la négociation, ou la mise en place de stratégies achats complexes comme les systèmes d’acquisition dynamique. Nombre de procédures demandent une connaissance juridique pointue que tous les établissements n’ont pas forcément. On parle aujourd’hui beaucoup de coûts complets (TCO), or cette approche demande du temps et une forte anticipation des procédures, souvent six mois à un an à l’avance, voire plus selon les cas. Tous les établissements n’ont pas forcément les moyens d’anticiper, étant souvent dans la gestion du quotidien. La mutualisation permet ainsi de bénéficier d’une approche plus complète et globale, génératrice de performance.

La performance provient non seulement du choix de la meilleure procédure, mais aussi de la recherche de prestations d’accompagnement : formation, suivi, déploiement dans les établissements, évaluation des fournisseurs et des prestations tout au long du marché pour améliorer le service rendu. La mutualisation le permet grâce à des acheteurs dédiés à des marchés spécialisés.

Elle est également essentielle pour les achats durables - bilan carbone, analyse du cycle de vie, innovation responsable… Même si beaucoup reste à construire, la mutualisation est aujourd’hui un levier bien plus complet qu’il y a dix ans, moins centré sur le prix que sur cette approche que je qualifie de globale, prenant donc en compte les questions d’innovation, de développement durable et de TCO.

Ne devrait-on donc pas faire une différence entre massification et mutualisation ?

Assurément. La massification consiste à augmenter les volumes pour obtenir un meilleur prix. La mutualisation, elle, vise à partager les expertises, compétences et le temps entre établissements. L’effet volume existe toujours, mais il sera de toutes les manières moins générateur d’économies qu’auparavant. Ce sont avant tout l’intelligence collective, l’expertise et la disponibilité qui créent la valeur.

Ce levier massification, au-delà d’être moins puissant qu’il y a dix ans, ne représente-t-il pas aussi un risque pour une partie du tissu fournisseurs, notamment les plus petits ?

Oui et c’est un risque que nous surveillons étroitement. S’il n’y avait pas de risque de ce type, il existerait probablement un seul opérateur national centralisant tous les achats hospitaliers. Or, le milieu hospitalier peut compter sur des opérateurs à plusieurs niveaux : des opérateurs nationaux, des opérateurs régionaux et des groupements d’établissements infra-régionaux. Cela permet de préserver la diversité du tissu fournisseurs. C’est aussi une excellente manière de contourner des situations de monopoles. Des monopoles trop nombreux créeraient des risques de ruptures, comme on le voit sur les médicaments par exemple. Nous avons donc tout intérêt à maintenir une diversité d’acteurs pour garantir une concurrence saine.

Nous définissons systématiquement l’échelon pertinent selon le besoin. Si les opérateurs économiques ont une envergure nationale ou internationale, il n’est pas pertinent de lancer une procédure régionale. Dans ce cas, nous nous tournons vers les opérateurs nationaux.

Nous sommes en mesure d’ajuster l’échelle de mutualisation selon le marché

À l’inverse, si des acteurs sont plus locaux, nous envisageons alors une procédure régionale. Et si un besoin est spécifique à un GHT ou s’il existe des fournisseurs ne pouvant répondre que sur des volumes limités, c’est le GHT qui s’en charge. Nous sommes ainsi en mesure d’ajuster l’échelle de mutualisation selon le marché : national lorsqu’il s’agit de grands acteurs donc, régional ou local pour favoriser plus largement l’accès des PME notamment. Cette organisation à différents niveaux permet de garantir la pertinence des achats, de maintenir un tissu économique sain et d’éviter des situations indésirables.

Mais cette recherche de volume ne va-t-elle justement pas à l’encontre de la diversification du panel ou de l’innovation fournisseurs ? Comment concilier volume, durabilité et innovation ?

Les outils de la commande publique nous permettent de structurer les stratégies d’achat pour intégrer l’innovation et la durabilité : marchés réservés, allotissements géographiques adaptés aux capacités des acteurs, critères d’innovation… Ces outils facilitent l’accès à l’innovation et les gains de performance. Cela demande encore une fois du temps, une bonne connaissance de l’écosystème fournisseurs et de l’expertise, ce que permet la mutualisation.

Nous disposons d’ailleurs d’outils et de nouvelles solutions, y compris l’intelligence artificielle, qui soutiennent le sourcing, l’analyse et la veille. Nous testons en ce moment un outil régional dédié. La mutualisation donne le temps et les ressources pour intégrer ces leviers.

Quels sont les principaux risques et limites de la mutualisation ?

Le premier risque réside dans la perte de compétences achats en interne. Plus les établissements externalisent, plus ils perdent en agilité et en capacité à gérer des besoins spécifiques, ce qui peut devenir problématique lorsqu’un besoin donné sort du cadre mutualisé. Cela concerne le plus souvent des petits établissements, qui alors ne trouvent pas d’autre moyen que de se tourner vers un opérateur d’envergure. Or, ces derniers n’ont pas vocation à passer un marché qui ne concerne qu’un seul établissement. La mutualisation, malheureusement, gomme parfois les spécificités locales.

Le second risque, nous l’avons évoqué, c’est la création de monopoles et la mise à l’écart des petits fournisseurs, malgré les stratégies d’allotissement. Il faut toujours parvenir à maintenir un équilibre, privilégier le multi-attributaires et conserver un tissu économique diversifié pour éviter des situations de dépendances.

Comment gérez-vous les frustrations et garantissez-vous l’équité entre vos adhérents ?

Nous associons systématiquement les établissements à la définition du besoin via des groupes techniques représentatifs, quels que soient leur taille, leurs spécificités ou leur statut (EHPAD, CHU…). Nous adaptons ensuite, grâce à des outils juridiques à notre disposition, les marchés pour répondre aux différents profils (allotissement, remises logistiques, etc.). Ils participent aussi à l’analyse des offres et au choix des titulaires.

Nous avons construit depuis une dizaine d’années, au niveau régional, un livret thérapeutique du médicament unique pour l’ensemble des hôpitaux publics

Cette transparence crée un climat de confiance, renforcé par l’habitude de travailler ensemble depuis près de 13 ans. Un bel exemple : nous avons construit depuis une dizaine d’années, au niveau régional, un livret thérapeutique du médicament unique pour l’ensemble des hôpitaux publics. Ce travail commun facilite les achats, mais aussi le parcours de soins et les pratiques médicales.

Jugez-vous que l’innovation soit suffisamment intégrée dans les achats mutualisés ?

En la matière, il y a encore énormément à faire. Et il y aura sans doute toujours à faire. Nous progressons, mais nous ne sommes pas encore au niveau souhaité. Dans beaucoup de cas, l’achat d’innovation arrive trop tard, car les procédures sont très cadrées et parfois trop longues pour suivre le rythme du marché.

L’innovation nécessite du temps. Il faut écouter les fournisseurs, comprendre ce qu’ils proposent, analyser si cela répond à un besoin, puis définir le cahier des charges différemment. Ce travail en amont est indispensable, mais les établissements manquent de ressources. La mutualisation permet justement d’avoir des acheteurs spécialisés qui suivent un segment en continu, connaissent les innovations, rencontrent les fournisseurs, identifient les signaux faibles et peuvent anticiper. C’est une condition essentielle pour injecter plus d’innovation dans les marchés publics de santé.

La mutualisation vous permet-elle d’atteindre vos objectifs en matière d’achats responsables ?

Nous avançons, mais nous sommes encore loin de ce que l’on souhaite. Nous intégrons de plus en plus de critères RSE et de développement durable, mais cela reste souvent encore trop théorique. Le bilan carbone, par exemple, devient un élément incontournable. Les établissements nous demandent d’intégrer cet aspect dans les marchés et cela va devenir un standard. Mais mesurer l’empreinte carbone d’un équipement ou d’une prestation n’est pas simple. Cela demande des outils, des compétences et une méthodologie commune.

Notre groupement dispose d’un SPASER (Schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsables) fixant des objectifs pour nos procédures régionales. Nous intégrons par exemple les exigences de la loi Égalim sur la partie alimentation, des clauses environnementales à tous nos marchés comme le réclame la réglementation et développons les marchés réservés à l’ESS. Nous travaillons par exemple avec l’administration pénitentiaire pour identifier des segments adaptés. Le développement durable ne s’arrête pas à la question environnementale. C’est aussi l’aspect social, l’inclusion, l’emploi local et la capacité du fournisseur à accompagner l’établissement dans une utilisation responsable de la solution.

Nous devons aller vers des achats plus matures qui n’évaluent pas seulement le prix, mais aussi l’impact global, la durée de vie, l’entretien, la réparation, la fin de vie… C’est cela, le coût complet. Et nous n’y sommes pas totalement, même si la dynamique est bien enclenchée.

L’analyse des critères responsables reste toutefois complexe, mais nous nous appuyons sur des labels, normes et méthodologies d’évaluation (dont le bilan carbone). Les objectifs sont pluriannuels avec une montée en puissance progressive et suivis via des indicateurs. La mutualisation facilite cette démarche, car il est plus efficace de le faire une fois pour 40 établissements que 40 fois.

Pour résumer, la mutualisation est donc aujourd’hui un levier plus global qu’il y a dix ans ?

Oui, très clairement. Pendant des années, “mutualisation” voulait surtout dire “massification” pour obtenir un meilleur prix. Aujourd’hui, la mutualisation est un levier stratégique beaucoup plus complet : expertise, innovation, développement durable, accompagnement, performance globale, sécurisation du marché fournisseurs… Elle répond aux besoins d’établissements qui ont moins de ressources disponibles et davantage de complexité à gérer. La mutualisation a encore de fortes marges de progression, mais elle évolue dans le bon sens. Et si nous voulons maintenir une politique d’achat performante dans le secteur de la santé, elle sera indispensable.