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Le Collectif d’entreprises pour une économie plus inclusive précise ses ambitions et accélère le pas

Par Mehdi Arhab | Le | Ha inclusif

Lors du forum des achats inclusifs, le Collectif d’entreprises pour une économie plus inclusive s’est engagé à augmenter ses achats auprès de fournisseurs réinsérant des personnes éloignées de l’emploi. Il prévoit, à l’horizon 2025, d’augmenter de 30 % ses achats effectués auprès du secteur du travail protégé et adapté (STPA), du secteur de l’insertion par l’activité économique (SIAE) et d’atteindre quelque 200 millions d’euros d’achats inclusifs.

Les dirigeants et CPO des entreprises du Collectif posent après la signature du manifeste  - © D.R.
Les dirigeants et CPO des entreprises du Collectif posent après la signature du manifeste - © D.R.

L’histoire avait débuté par une simple discussion autour d’un café entre deux hommes, Emmanuel Faber, alors PDG de Danone et Thomas Buberl, directeur général du géant des assurances Axa. En pleine crise des gilets jaunes, en fin d’année 2018, les deux dirigeants s’étaient réunis pour évoquer la situation du pays. « Tout le monde se tournait du côté de l’État et du gouvernement pour qu’ils résolvent cette situation. Tous deux, nous pensions que les entreprises, qui sont au milieu de tout, pouvaient apporter des réponses efficaces », a rappelé Thomas Buberl en ouverture de la matinale. Lui et Emmanuel Faber avaient décidé de se mettre en rapport avec une petite dizaine de dirigeants, les poussant à s’unir et agir en faveur d’une économie plus inclusive.

Clariane (Korian), Sodexo, Schneider Electric, Veolia … Tous ces grands groupes se sont laissé séduire par l’initiative des deux patrons. C’est ainsi que le Collectif d’entreprises pour une économie plus inclusive est né. Depuis, d’autres grands donneurs d’ordre ont rejoint ce groupe, consolidant sensiblement les rangs du Collectif. Cinq ans plus tard, le voilà donc renforcé de façon significative. Ce réseau informel au départ est devenu un réseau d’envergure qui réunit quelque quarante grandes entreprises, de tous les secteurs d’activités, qui regroupent 10 % de la population active française, soit un peu plus d'1,5 million de salariés sur plus de 60 000 sites. Le Collectif s’est également muni d’une gouvernance et d’un plan de marche clair. « En cinq ans, nous avons fait bouger les lignes et nous pouvons en être fier du chemin que nous avons parcouru. Nous avons su créer quelque chose qui marche et qui produit des résultats », s’est félicité le directeur général d’Axa, président du collectif avec Sophie Boissard, directrice générale de Korian.

En effet, le Collectif s’est, au fil de l’eau, imposé des objectifs ambitieux, s’engageant notamment à développer l’apprentissage, à travers l’alternance, le mentorat et la formation professionnelle. En un temps assez réduit, les entreprises du Collectif ont augmenté, comme prévu, de 30 % le nombre d’apprentis au sein de leurs effectifs. Ils ont également développé des produits services accessibles, afin d’atténuer les dépenses contraintes des Français et de ne pas brutaliser leur pouvoir d’achat. Après avoir mené de front ces deux actions, le Collectif concentre, depuis deux ans désormais, ses efforts sur les achats inclusifs. Elle en fait son nouveau cheval de bataille. Et il faut dire qu’en effectuant chaque année, en moyenne, pour un peu plus de 100 milliards d’euros d’achats sur les terres de France et de Navarre, la force de frappe des entreprises du Collectif est colossale. En orientant leur volume d’achats vers des entreprises de l'économie sociale et solidaire (ESS) et vers les territoires délaissés, ces donneurs d’ordre espèrent bien impulser une dynamique nouvelle. « Nous avons une influence immense sur les territoires du pays », a rappelé Thierry Mallet, PDG de Transdev. Comme l’a expliqué Edouard Hénaut, directeur général France du groupe, la multinationale de transport achète déjà pour 15 millions d’euros auprès d’entreprises implantées dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV) et pour une trentaine de millions d’euros auprès de fournisseurs inclusifs. Un volume qui pourrait évoluer, du simple au double, a affirmé le directeur général. « Cela représente un total de 1 500 fournisseurs, soit 10 % de notre panel. Par notre action, nous participons à la revitalisation des territoires », a-t-il précisé.

Un engagement qui prend davantage forme

Pour accélérer le pas, les membres du Collectif ont partagé cette dernière année leurs (bonnes) pratiques, leur panel de fournisseurs issus du secteur du handicap et de l’économie sociale et solidaire, et défini des grilles de suivi. Ils ont également rédigé, en collaboration avec l’Agence des Économies Solidaires, un guide des achats inclusifs. « Nous nous sommes rendu compte, après le premier forum l’an dernier, que nous avions besoin d’outils et de méthodes. Certaines entreprises sont plus en avance sur le sujet et peuvent aider les autres », a retracé Sébastien Bazin, PDG du groupe Accor. 

Cette deuxième édition du forum des achats inclusifs a été l’occasion d’en présenter les grandes lignes et de marquer le coup une bonne fois pour toute, par le biais de la signature d’un manifeste intitulé « Transformons notre politique d’achat pour une économie plus inclusive ». Ce document commande aux 25 des 40 entreprises du collectif qui l’ont signé d’augmenter de 30 % leurs achats effectués auprès du secteur du travail protégé et adapté (STPA), du secteur de l’insertion par l’activité économique (SIAE) et d’atteindre ainsi à minima 200 millions d’euros d’achats inclusifs en cumulé par an à l’horizon 2025 ; l’équivalent de 5 000 emplois temps plein. Bien entendu, pour rendre la chose concrète, les entreprises signataires se sont engagées à évaluer annuellement leurs pratiques. « Nous ne pouvons améliorer que ce que l’on mesure. Un certain nombre d’entreprises nous ont fait remonter leurs résultats. Nous espérons désormais que le reste du collectif nous rejoindra dans cette initiative. C’est pour nous un enjeu d’envergure », a insisté Thierry Mallet. 

Il nous faut désormais accélérer la cadence, réussir ce que nous avons commencé, sortir des sentiers battus et toucher de plus en plus de petites entreprises dans les territoires

Les motifs d’espoir sont nombreux, d’autant qu’à la suite de la première édition du forum, 91 % des fournisseurs présents ont été contactés et ont échangé avec des membres du collectif. « Près de deux tiers sont désormais en relation de travail avec des entreprises du Collectif sur des projets ambitieux. Il nous faut désormais accélérer la cadence, réussir ce que nous avons commencé, sortir des sentiers battus et toucher de plus en plus de petites entreprises dans les territoires, afin d’approfondir notre maillage. C’est une cause qui est noble et qui nous rend meilleur », a appuyé Sébastien Bazin.

« Il est possible de faire entrer ces entreprises dans nos activités et ce, sans remettre en cause nos objectifs financiers. Pour tenir notre engagement, qui constitue une remise en cause profonde et radicale de notre manière de travailler, nous devons bien identifier les enjeux de sourcing, les secteurs d’activités cibles et penser sur le temps long. Il ne faut pas aller au plus rapide, au moins cher, mais plutôt inclure des critères dans nos appels d’offres autour du handicap, de l’insertion, de la proximité. En redistribuant la valeur localement, nous nous assurons de protéger les personnes les plus modestes et fragiles et par la même occasion, nous préservons la bonne santé de nos entreprises », a complété de son côté le PDG de Transdev.  

Les achats, un levier de choix à actionner sur la durée

Le recours à des entreprises inclusives fait depuis plusieurs années partie intégrante de la politique d’achats de plusieurs grands groupe, dont Sodexo, qui constitue un parfait exemple. Son engagement s’est matérialisé par la mise en œuvre du programme Impact+, porté au Comex et lequel a consacré dans un premier temps 14 fournisseurs de l’ESS et désormais cinq de plus. Initialement, l’accompagnement ne devait s'étaler que sur une année, mais après réflexion, il s'étalera sur le temps long. Le groupe a également signé en 2019 un partenariat avec La Croix-Rouge Insertion, l’accompagnant dans le développement d’une plateforme logistique qui met en rapport 80 producteurs de fruits et légumes. Son déploiement a généré des dizaines d’emplois. « Nous représentions au départ 50 % de leurs achats et n’en représentons désormais que 28 %, cela tout en augmentant auprès d’elle nos volumes d’achats », a précisé Bruno Vaquette, président de Sodexo France, au cours de la première table ronde.

L’axe achats inclusifs gagne également en importance chez Adecco. Si la dimension RH est pour le moment privilégiée, - le groupe accompagnant des personnes éloignées de l’emploi, issues des quartiers prioritaires de la ville, atteintes d’un handicap, ou sous-main de justice -, le géant de l’intérim s’appuie désormais sur un sponsor interne de haut niveau pour promouvoir l’achat inclusif, le CFO. « Les achats inclusifs sont inscrits dans ses objectifs personnels », a d’ailleurs décrit Alexandre Viros, président d’Adecco France. 

Des retours d’expérience, en mode projet, inspirants 

Chez Orange, EDF, BNP Paribas, Axa et Engie, les achats inclusifs et les indicateurs de suivi associés, relèvent pleinement du volet sociétal de leur démarche d’achats responsables. In fine, tous ces groupes ont engagé une stratégie responsable des achats. Aurélia Tremblaye, CPO d’Engie, a profité d’une table ronde pour exposer la démarche de co-construction menée par les Achats avec l’association Les Petites Rivières. Le groupe, qui déménage son siège social dans la commune de La Garenne-Colombes (92), a conçu ce projet avec une idée en tête : faire du nouveau campus une vitrine du savoir-faire environnemental et des valeurs sociales du groupe.  

Le mastodonte en a donc profité pour en faire une vitrine des achats inclusifs, en se rapprochant de l’association Les Petites Rivières donc et du Réseau Gesat. Huit mois durant, la direction des achats a, à leur côté, défini une approche et une stratégie achats solidaires. Le but était simple : faire émerger des innovations sociales qui serviront le territoire sur lequel Engie a élu domicile. La stratégie se veut ambitieuse, mais réaliste. « Ce partenariat nous a permis de mieux connaître ce tissu touffu et complexe que forment les entreprises du secteur du handicap », a souligné la CPO. Souvent impliquée sur des opérations de sourcing ou appelée pour faire de la mise en relation donneur d’ordre-fournisseur, l’association a salué le fait « d’être impliquée en amont du projet ».

Il faut accepter de se positionner sur la durée

De son côté, Axa a aussi entrepris plusieurs démarches en matière d’achats inclusifs. La plus emblématique étant sans doute celle opérée avec Apsid’EA, qui vise à former des personnes éloignées de l’emploi à des métiers de la tech, via la mise en place d’une pépinière de talents. Pascal Pelon, directeur des achats France de l’assureur, a veillé à ne pas se précipiter. « Une telle démarche relève d’un vrai changement culturel, et impose de passer du temps court au temps long ». Une fois une formation de quatre mois effectuée, les individus ont été recrutés en CDI par Apsid’EA. Ils intègrent Axa en prestation pour au moins une année et pourraient bien être embauchés si les résultats sont au rendez-vous. De la même manière, BNP Paribas recourt à un prestataire du secteur du handicap pour des missions de maintenance du matériel IT. « L’objectif était de confier à une EA 5 à 10 % du travail », a retracé Enguerrand de Pontevès, directeur des achats groupe. Le partenariat porte aujourd’hui ses fruits et devrait même s’étendre dans les mois qui viennent. «  Il faut accepter de se positionner sur la durée, de resserrer la collaboration », a poursuivi le CPO, qui a également souligné l’importance de sensibiliser les collaborateurs sur tous les enjeux de l’inclusion, pour intégrer au mieux les opérationnels. 

Pour ce qui concerne EDF, le donneur d’ordre a initié tout récemment un partenariat avec Handicall, un centre d’appels qui emploie des personnes en situation de handicap. De son côté, Orange, qui dépense chaque année près de 20 millions d’euros auprès de prestataires du secteur du handicap, fait appel depuis près de 14 ans aux Ateliers du Bocage, spécialiste du reconditionnement des technologies et acteur majeur de l’ESS. Un partenariat de longue date, qui se caractérise par son « exigence en termes de qualité, son cadrage, et la volonté de l’inscrire dans une démarche d’amélioration continue », comme l’a expliqué Sylvie Babikian, directrice des achats groupe du géant des télécommunications.

La pérennité de nos entreprises passe aussi par leur capacité à inclure les personnes éloignées de l’emploi. Si elles ne le font pas, elles se mettent, à mes yeux, en danger

Le prestataire récolte, chaque année, 300 000 téléphones qui ont servi et en fin de vie auprès des clients particuliers et professionnels du groupe Orange. Tout ce qui peut être réemployé l’est. Les téléphones sont remis en état après que le prestataire ait, au préalable, effacé leurs données et testé leurs fonctionnalités. Les matières récupérées, précieuses pour certaines, lorsque l’appareil n’est plus en état de fonctionner, sont elles aussi réutilisées. A titre d’illustration, l’or qui a été extrait ces derniers mois des téléphones des clients d’Orange a permis de fabriquer les médailles d’or de la Coupe du Monde de Rugby 2023, qui s’est déroulée en France et qui a été remportée par les joueurs sud-africains. Tout un symbole, qui démontre bon nombre de (belles) choses … « La pérennité de nos entreprises passe aussi par leur capacité à inclure les personnes éloignées de l’emploi. Si elles ne le font pas, elles se mettent, à mes yeux, réellement en danger  », a conclu Pascal Pelon.