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Bordeaux Métropole : « La dimension sociale est un des axes forts de notre commande publique »


Nicolas Cros, directeur des achats et de la commande publique de Bordeaux Métropole, détaille comment la métropole fait de l’achat public un moteur d’inclusion sociale. Clauses d’insertion, marchés réservés, appui renforcé à l’ESS : l’ensemble des dispositifs est mobilisé pour diversifier les publics accompagnés et renforcer l’impact territorial. Il partagera son retour d’expérience sur l’atelier « Prestations humaines : l’achat public peut-il être un levier d’insertion sociale ? » aux HA ! Days - Achats publics, les 2 et 3 décembre prochains.

Nicolas Cros. - © D.R.
Nicolas Cros. - © D.R.

Considérez-vous aujourd’hui que la commande publique est devenue un véritable levier social, notamment en matière d’insertion et d’emploi ?

Oui, très clairement. L’image de la commande publique a beaucoup évolué. Elle est désormais perçue comme un outil de politique publique au sens large. C’est d’ailleurs ce qu’a souligné la commission d’enquête sénatoriale récente. Pour les praticiens, c’était une évidence, mais c’est positif que le monde politique le reconnaisse également. Et en tant qu’outil de politique publique, je trouve effectivement qu’il y a un réel objectif social.

Parmi les outils à votre disposition dans la commande publique, quels sont les principaux leviers pour intégrer des clauses d’insertion dans les marchés de prestations humaines ?

Plusieurs dispositions du Code de la commande publique couvrent le volet social. Il y a les clauses d’insertion ; l’allotissement ; les critères RSE - à manier avec précaution juridiquement - ainsi que les marchés d’insertion ou marchés réservés, où la mise en concurrence se fait uniquement entre structures, notamment d’insertion par l’activité économique.

La dimension sociale est un des axes forts de notre politique de commande publique

Comment cela se concrétise-t-il à Bordeaux Métropole ? Avez-vous des exemples où la commande publique a généré un impact social significatif ?

La dimension sociale est un des axes forts de notre politique de commande publique. Nous avons d’ailleurs défini et adopté un SPASER - Schéma de Promotion des Achats Socialement et Écologiquement Responsables - où l’insertion sociale et la promotion de l’ESS sont des composantes majeures.

Nous avons des objectifs quantitatifs importants que nous tâchons de respecter et d’atteindre. Nous déployons en ce sens l’insertion dans de nombreux métiers, pas uniquement dans les prestations peu ou non qualifiées - manœuvres sur chantiers et travaux, entretiens d’espaces verts … L’objectif est de parvenir à insérer des heures d’insertion dans une multitude de prestations, y compris intellectuelles. Le nombre d’heures y est moindre que sur des marchés de travaux, assurément, mais cela permet de diversifier le dispositif et de lui donner une autre ampleur. L’autre objectif, c’est de diversifier, là encore, les publics : hommes, femmes, diplômés ou non, juniors et seniors.

Nous avons réalisé 435 643 heures d’insertion, pour 1 267 personnes bénéficiaires

Pour donner un ordre d’idée, en 2024, uniquement pour la Métropole, nous avons réalisé 435 643 heures d’insertion, pour 1 267 personnes bénéficiaires en une année. Sur le développement du recours et le soutien à l’ESS ; une centaine de structures de l’ESS ont été titulaires, en 2024, d’un contrat avec Bordeaux Métropole. Le tout représente 17,4 millions d’euros de dépenses via la commande publique. Nous développons également beaucoup de marchés réservés, qui ont quasi doublé ces dernières années. Sous l’ancien mandat, nous en avions lancé 32 ; nous sommes désormais proches de 60. C’est un signal fort de soutien à ces entreprises.

Les TPE/PME rencontrent souvent des difficultés à répondre aux marchés publics. C’est aussi le cas pour les structures de l’ESS. Comment avez-vous travaillé en amont pour faciliter leur accès aux marchés réservés et aux partenariats ?

Nous identifions et planifions nos achats très en amont, de manière à donner de la visibilité aux opérateurs économiques et notamment aux structures de l’ESS. Ainsi, chaque marché fait l’objet d’une demande d’achat qui nous permet, après vérifications juridiques et règlementaires, d’identifier les contrats pouvant intégrer des prestations sociales. Travailler de la sorte nous a été bénéfique et nous a permis d’augmenter la couverture de nos contrats par des structures de l’ESS.

Ce mode de fonctionnement ne date pas d’hier : nous travaillons de longue date avec les acteurs de l’insertion par l’activité économique, souvent de petite taille. Nous avons de fait un certain savoir-faire et les bons réflexes. Nous collaborons notamment avec les têtes de réseau régionales qui les accompagnent dans leur structuration et leur réponse aux marchés publics.

Nous considérons que c’est aussi à nous d’adapter l’allotissement et le dimensionnement

Et plutôt que de multiplier de petits marchés symboliques, nous tâchons, après discussions avec ces mêmes têtes de réseaux, de calibrer nos marchés de façon optimale avec des volumes suffisamment conséquents, de façon que des structures de l’ESS puissent derrière se regrouper pour y répondre. Nous considérons que c’est aussi à nous d’adapter l’allotissement et le dimensionnement des marchés à leurs capacités. Cela fonctionne assez bien : les structures se regroupent souvent par lots géographiques ; le leader local devient mandataire et porte le groupement. Ainsi, via l’effet volume, les structures peuvent investir dans leur développement, continuer à se structurer via l’accompagnement des têtes de réseaux et gagner en efficacité sur des marchés importants en termes de volumes.

Comment évaluez-vous l’efficacité de ces dispositifs d’insertion ? Disposez-vous d’indicateurs de suivi ?

Le Code ne prévoit pas vraiment de cadre d’évaluation, mais nous évaluons nos progrès dans le cadre de nôtre SPASER. Nous suivons le nombre d’heures d’insertion, les publics concernés, les sorties positives, le nombre de marchés réservés, ainsi que les montants financiers engagés - qui doivent être suffisamment importants ; condition indispensable pour soutenir véritablement ces structures.

Du côté de Bordeaux Métropole, nous avons fait des marchés réservés un axe de poids de notre politique sociale. Nous comptons des marchés réservés à plusieurs centaines de milliers d’euros, ce qui a un réel impact sur la trésorerie et le développement des entreprises. Mais le dispositif est malheureusement trop peu utilisé en France, souvent par méconnaissance des structures d’insertion du territoire et parce que les discussions avec leurs têtes de réseau ne sont pas assez développées. C’est un travail de fond à mener avec les têtes de réseau qui demande beaucoup de temps : formation, planification, accompagnement… Mais il est nécessaire pour aider les structures de l’ESS à se façonner et les accompagner au titre du développement des TPE/PME à la commande publique.

Il faut mesurer l’efficacité, pas simplement cocher des cases

Faut-il, selon vous, davantage d’évolutions réglementaires ou plutôt un changement culturel pour renforcer le rôle social des achats publics ?

Selon moi, il faudrait davantage espérer un changement culturel. Ou, éventuellement, espérer la mise en place d’objectifs nationaux sans sanction, comme pour la loi AGEC. Aujourd’hui, il n’y a pas d’équivalent règlementaire pour le social. La loi Climat et Résilience prévoit tout de même que 30 % des marchés supérieurs aux seuils européens comportent des considérations sociales, mais cela peut être purement déclaratif et sans impact réel. Il faut mesurer l’efficacité, pas simplement cocher des cases et tomber dans ce qui pourrait être du « social washing » pour reprendre une expression désormais bien connue.

Quels sont vos objectifs à terme en matière d’achats socialement responsables, de marchés réservés ou d’heures d’insertion ?

Nos objectifs sont définis dans le SPASER, plutôt à usage interne. Nous avons la chance d’avoir un fort portage politique, notamment sur l’aspect social et ESS. Chaque année, je présente les résultats du SPASER en délibération, ce qui assure un certain niveau de communication et, si besoin, un réajustement des objectifs à signer le cas échéant.

Nous voulons continuer à développer et diversifier au maximum ces dispositifs

Nous faisons déjà beaucoup, mais l’objectif est assez simple finalement : nous voulons continuer à développer et diversifier au maximum ces dispositifs. Nous avons par exemple intégré des dispositifs d’insertion dans l’informatique. Le service était au départ sceptique - 7 000 heures prévues, nous avons finalement atteint 35 000 heures d’insertion, avec à la clé de nombreux recrutements du côté du prestataires. Et comme je l’ai dit en début d’entretien, nous développons et continuerons de développer l’insertion dans les marchés de prestations intellectuelles, type maîtrise d’œuvre, mais cela nécessite un accompagnement particulier des opérateurs.